LA FACE CACHEE DE L’INDEPENDANTISME CATALAN
par Hélios Privat
Il aura fallu cinq mois aux indépendantistes catalans pour proposer un candidat viable à la Présidence du Parlement catalan.
Joaquim TORRA, issu des rangs du Parti Démocrate Catalan, a été élu d’extrême justesse (66 voix pour, 65 contre et 4 abstentions) pour succéder à son mentor, Carles PUIGDEMONT auquel il a fait une totale allégeance.
Dans son discours d’investiture, ce partisan d’une indépendance auto proclamée a affirmé sa volonté d’œuvrer à la gestation de la République Catalane. Mais cette République aux accents populistes a de forts et inquiétants relents de démocratie populaire où l’autoritarisme et l’exclusion de tous ceux qui ne partagent pas la volonté d’indépendance, tiennent lieu de loi.
Tous ceux qui ont cru, et croient encore, aux discours humanistes des indépendantistes catalans risquent de se réveiller avec un goût très amer et quelques aigreurs d’estomac.
Certes, il faut se garder de tout a priori et juger le nouveau Président sur ses actes et non sur des écrits anciens ou des tweets rapidement élaborés ; mais tout de même, ne nous laissons pas aller à un optimisme béat ou à une indulgence qui risque fort de nous rendre coupables d’avoir laissé prospérer le ver dans le fruit.
Les propos de Joaquim TORRA depuis de longues années nous rappellent des moments douloureux de l’histoire du XXème siècle. Il n’est pas utile de retranscrire ici les paroles ineptes et répugnantes écrites par ce singulier personnage, puisque chacun pourra probablement en lire un florilège dans ses journaux habituels. Mais traiter les espagnols de « bestiaux » ou souhaiter la disparition de la « race » des socialistes catalans qui ont osé se « mélanger » avec des espagnols, semble aller bien au delà de la libre expression d’une pensée politique.
Ne nous voilons pas la face, les nationalismes quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent n’ont jamais servi qu’à fracturer les sociétés et ont souvent débouché sur des guerres fratricides. Mais imaginer que l’Espagne démocratique nourrirait dans son sein des idéologues racistes et xénophobes est un pas que personne n’aurait osé franchir.
On peut comprendre que sous l’emprise de discours souverainistes les émotions l’emportent sur la raison. On peut expliquer que par naïveté certains aient pu croire à des développements oratoires vantant les mérites d’une liberté retrouvée, d’une société plus juste et plus égalitaire, mais c’est oublier bien vite (ou ignorer) les origines du mouvement indépendantiste catalan. Ne refaisons pas l’Histoire, n’évoquons pas ici l’époque des « années folles », ouvrons les yeux sur les options politiques du parti aujourd’hui porteur de ce séparatisme : le « Parti Démocrate Catalan » (antérieurement « Convergencia y Unio ») est un parti de droite, libéral et conservateur, qui a souvent permis à la droite traditionnelle espagnole de conserver le pouvoir, y compris après la dictature franquiste. Contrairement aux idées reçues ou à celles qu’il veut faire croire, l’attachement de ce parti à une République qui se voudrait plus démocratique, plus juste, plus égalitaire et plus progressiste que la monarchie constitutionnelle espagnole, est aussi récent que trompeur. Depuis une dizaine d’années, ses dirigeants se nourrissent des méfaits de la crise économique qui a fortement touché l’Espagne ; ce n’est qu’après avoir tenté sans succès d’exercer un chantage auprès du gouvernement pour obtenir de l’Etat des avantages financiers (« l’Espagne nous vole »), qu’ils se sont convertis à un républicanisme de mauvais aloi tout en faisant une alliance contre nature avec un parti de gauche et les anti-système.
Mais si le mouvement indépendantiste catalan porte en lui depuis longtemps des bribes de racisme et d’exclusion à l’encontre de tout ce qui n’est pas d’origine catalane, il serait injuste de laisser croire que la majorité des catalans partage cette façon d’appréhender leur volonté de se séparer de l’Espagne. Nous devons impérativement rejeter tout amalgame : Esquerra Républicana est un parti à la gauche de la gauche, quant à la Candidatura de Unida Popular, elle rassemble des alter-mondialistes anti-système, mais à aucun moment ils n’ont été associés à une mouvance raciste vantant la suprématie des catalans d’origine. Rien ne peut nous laisser penser que le nationalisme tolérant, ouvert et intégrateur prôné par une partie de la population proche de l’indépendantisme, se reconnaisse aujourd’hui dans la xénophobie sauvage affichée par Joaquim TORRA.
D’ailleurs, dans son discours d’investiture, ce Président élu, a exprimé très clairement sa volonté de n’être le représentant que d’une partie de la société catalane, celle qui continue d’afficher sa volonté d’exister dans l’illégalité, la désobéissance civile et le mépris de toutes les Institutions. La République Catalane qu’il veut imposer n’a rien à voir avec une démocratie, et sa politique n’est qu’un activisme débridé dont l’objectif exprimé est de maintenir la confrontation avec le gouvernement espagnol en multipliant les provocations. . En poursuivant à l’excès la politique de son prédécesseur, il se dit lui même n’être qu’un Président intérimaire dont la durée de mandat sera celle que lui dictera Carles PUIGDEMONT à moins qu’il ne soit rattrapé par…la prison.
Le plus rassurant, ce sont les failles qui se font jour dans la majorité qui l’a soutenu : plus d’une semaine après son élection il n’a toujours pas constitué son équipe gouvernementale, les altermondialistes ont refusé de signer avec lui un contrat de gouvernement, et on ressent le malaise qui paralyse la gauche extrême qui oscille entre l’émotion républicaine et le respect de la légalité. Tout invite à la prudence et à la vigilance, pour l’heure on se pose plus de questions qu’il n’y a de réponses; si Joaquim TORRA a déjà dit ce qu’il voulait faire, il convient d’attendre de voir ce qu’il fera. Il est certain que pour l’instant il n’y a que des perdants.
Mais il va falloir se rendre à l’évidence : déjà ses premières décisions n’ont rien de rassurant. Il vient d’annoncer la composition de son gouvernement dans lequel figurent en bonne place deux « conseillers » actuellement en prison, en détention provisoire, et deux autres en fuite à l’étranger. Il est donc évident que loin d’apaiser le conflit, ces nominations ont pour seul but de défier le Gouvernement espagnol en le poussant à la faute.
Comme cela était prévisible, Mariano RAJOY refuse d’entériner ce qu’il considère, à juste titre, comme une nouvelle provocation. Fort de l’appui de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui pensent qu’il est temps de sortir de l’impasse, il envisage avec l’accord des partis constitutionnalistes de maintenir l’article 155 qui prive provisoirement la Catalogne d’une fraction de son autonomie.
Toutefois, bien que compréhensible, cette décision pourrait être contestée en raison d’un vide juridique qui ne prévoit pas explicitement les cas d’inhabilité de certains « conseillers ». Le trouble qu’elle risque de créer soulèverait de vives protestations et conduirait inévitablement à des manifestations qu’il conviendrait d’éviter par mesure de prudence. Il serait probablement plus judicieux d’accepter une composition restreinte du Gouvernement catalan en invalidant les seuls « conseillers » en délicatesse avec la justice espagnole.
En interne (et cela pourrait se mettre à l’actif d’une solution prudente), il faut s’attendre à ce que Oriol JUNQUERAS, n°2 de l’ancien Gouvernement catalan, actuellement en prison en détention provisoire pour des actes qualifiés de rébellion et pour de supposées malversations financières, ne tarde pas à réagir. Ce dirigeant de « Esquerra Republicana », soutien inconditionnel du nationalisme catalan, ne devrait pas rester longtemps muet face à la droitisation du discours des partisans de PUIGDEMONT. Il n’a aucun bénéfice à tirer d’une situation en contradiction profonde avec les valeurs qu’il a toujours défendues alors que ses alliés, actuellement en fuite en Belgique où en Allemagne, bénéficient d’un statut privilégié, et se pavanent devant les micros des médias européens en toute impunité. Il est à parier que cet homme intelligent et cultivé ne tardera pas à entrer en conflit ouvert avec ses anciens alliés.
Mais c’est aux catalans eux mêmes que revient le devoir de réagir au plus vite. La Catalogne s’enlise humainement et économiquement tous les jours un peu plus. La fracture s’aggrave lentement mais sûrement avec le reste du pays, mais aussi dans les familles. Dans les réunions amicales ou professionnelles, on évite ostensiblement de parler politique, le tourisme régresse, les échanges commerciaux s’amenuisent, les investissements stagnent et les entreprises qui sont déjà parties (on annonce le chiffre de 4000) ne sont pas prêtes de revenir. Malgré cela les réactions en public sont encore faibles. Mais les critiques bruissent de toutes parts et chacun doit prendre conscience, que c’est à cette majorité silencieuse que revient l’obligation de dire tout haut (et pourquoi pas dans la rue !), ce qui se dit tout bas par crainte d’être ostracisée.
Pour le Gouvernement espagnol le moment est venu de faire de la politique. Il ne peut se satisfaire de paroles lénifiantes ou apaisantes. Trop longtemps il s’est contenté de rassurer la population en évitant de prendre des mesures qui auraient pu cristalliser les positions en s’opposant frontalement aux nationalistes. Quand il l’a fait en octobre dernier, il était trop tard. Il n’a pu éviter le dérapage de la violence même si celle-ci a été habilement utilisée par les indépendantistes.
Maintenant il a le devoir de réparer les dommages et de proposer des réformes. Les mesures judiciaires sont nécessaires mais pas suffisantes : la justice ne peut que sanctionner, elle n’apportera pas les solutions politiques indispensables pour sortir de la crise la plus grave qu’ait connu le pays depuis l’avènement de la démocratie.
Le chef du Gouvernement espagnol, Mariano RAJOY, se doit d’entamer une véritable action politique. Il a le devoir de constituer une force de proposition, d’ouvrir des négociations avec l’ensemble des partis politiques et les différents représentants institutionnels de l’Etat. Il doit savoir allier fermeté et responsabilité tout en recherchant un consensus. Sa tâche est complexe et la perspective des élections à venir ne lui facilitera pas le travail. S’il est tenu de fixer les « «lignes rouges », cela ne peut le dispenser de suggérer des modifications de la Constitution, ni de repenser le fonctionnement institutionnel aujourd’hui probablement obsolète ou peu adapté aux évolutions de la société espagnole.
Parallèlement, il lui revient comme à ses interlocuteurs politiques, de surveiller le nouveau Parlement catalan pour que les institutions de l’« Autonomie » soient respectées, en même temps que les droits de tous les catalans afin que l’Espagne demeure un Etat de droit.
En effet, malgré les réticences attendues, personne ne doit oublier que lorsque le nouveau Gouvernement catalan entrera en fonctions, il disposera d’un budget approchant le milliard d’euros, et de tous les pouvoirs que la démocratie espagnole a donné aux régions autonomes. Personne ne peut négliger l’autorité qu’il aura, entre autres, sur la police, la justice, la communication et l’école.
Tous devront mettre de côté toute forme d’angélisme pour que sous le couvert d’une soi-disant démocratie, il n’en profite pour ne pas respecter la Démocratie, comme ce fut le cas pendant plusieurs mois, et comme cela risque de se poursuivre.
Compte tenu d’un passé récent, il est indispensable que chacun prenne conscience que si la confiance c’est bien, le contrôle c’est mieux !
Par ailleurs, face à l’internationalisation du conflit voulue par les indépendantistes, le gouvernement espagnol ne peut être abandonné face à ses difficultés internes. L’Espagne fait partie intégrante de l’Union Européenne, elle ne joue pas en deuxième division, c’est un Etat démocratique à égalité avec les autres Etats qui constituent l’U.E.
A ce titre, elle doit pouvoir compter sur une solidarité sans faille de la France comme de ses autres voisins.
Certes nous n’ignorons pas que l’Espagne actuelle est l’héritière d’une dictature. Nous savons tous que la démocratie dans ce pays, bien que consolidée, peut présenter encore certaines fragilités. Même s’il est légitime d’attendre de son gouvernement des réponses démocratiques, soyons cohérents avec nos engagements et veillons à ne pas lui mettre des bâtons dans les roues. Le manque de coopération judiciaire affiché par la justice de certains pays européens est aussi choquant et qu’inacceptable.
On ne peut se prévaloir du Traité de Schengen, et en même temps considérer comme mineure la justice espagnole. C’est pourtant le cas des attendus rendus en faveur des nationalistes catalans exilés dans les différents pays d’Europe.
Il faut savoir que l’indépendantisme catalan n’a rien à voir avec la démocratie ni avec une hypothétique volonté de progrès social.
L’Europe est face à une tentative de destruction d’un Etat Nation. Ses Institutions sont sollicitées indûment par un nationalisme égoïste et autoritaire qui vise à rejeter viscéralement tout ce qui a trait à l’Espagne et aux espagnols. Le pays est confronté à un national-militantisme qui cherche à faire avaliser sa volonté d’exclure tous ceux qui ne pensent pas comme eux, en internationalisant un conflit infondé, avec une Nation historique.
Nous ne pouvons pas sans cesse nous demander, sans nous l’avouer, si nous n’avons pas à faire à des prisonniers politiques ou si le gouvernement espagnol ne poursuivrait pas ses ressortissants pour de simples délits d’opinion.
Non ! La justice européenne n’a pas à faire à des exilés politiques (il ne peut y avoir dans l’U.E. d’exilés politiques issus des pays membres), elle a à faire à des hommes politiques en fuite pour se soustraire à la justice de leur pays. Ils sont accusés d’avoir tenté de contrevenir à la Constitution espagnole et sont présumés coupables de malversations financières. L’institution judiciaire des Etats où ils se trouvent actuellement, doit se prononcer sur la demande d’extradition de personnes fuyant la justice de leur pays. Elle n’a pas à se poser de questions sur le fond, elle doit coopérer avec le pouvoir judiciaire espagnol pour que les mandats d’arrêt européens que ce dernier a émis, soient conformes à sa propre législation. Personne ne peut douter que ces contrevenants seront jugés équitablement conformément aux lois en vigueur dans leur pays d’origine. Elle se doit donc d’agir avec fermeté tout en ayant conscience de la portée des décisions qu’elle prend sur l’avenir de l’Europe.
Nous ne devons pas minimiser le rôle joué par la justice des pays membres de l’Union Européenne sur la politique catalane. En mettant des obstacles à l’extradition de conspirateurs, elle discrédite et met à mal les Institutions espagnoles tout en attisant la résurgence de tous les nationalismes et de toutes les doctrines racistes.
Ne nous y trompons pas, la montée en puissance des extrêmes droites xénophobes sur notre continent est en grande partie le fruit des politiques économiques de restriction mises en place par l’U.E. ; ne leur donnons pas en outre, la possibilité de déstabiliser des Etats de Droit par des décisions de justice par trop formalistes qui s’appuient sur une imprécision des textes en vigueur qu’il est urgent de réparer.
Hélios PRIVAT
21 mai 2018