« Le Brexit »
Conférence organisée par le Centre des Professions Financières,
la Fédération Bancaire Française, l’Association Française de la Gestion Financière,
la Fédération Française de l’Assurance et Paris EUROPLACE
Mercredi 29 mars 2017
Participants :
Michel Pébereau, Président du Centre des Professions Financières
Marie-Anne Barbat-Layani, Directrice générale de la Fédération Bancaire Française (FBF)
Pierre Bollon, Délégué général de l’Association Française pour la Gestion Financière (AFG)
Bernard Spitz, Président de la Fédération Française de l’Assurance (FFA)
Arnaud de Bresson, Délégué général de Paris EUROPLACE
Michel Pébereau rappelle que la ville de Londres était devenue la place financière de l’Europe en 1973. La City s’était engagée très tôt dans l’action pour s’insérer dans l’acte unique de 1987 et dès la fin des années 80, elle était la grande place financière européenne avec une adhésion sans réserve à l’ouverture. Elle était ainsi la concurrente de Wall Street. Le Brexit va mettre fin à cette situation.
Les autres places financières comme Amsterdam, Dublin ou Luxembourg espèrent pouvoir en bénéficier mais seules Paris et Francfort sont éligibles. Paris étant de plus la seule place réellement analogue à Londres comme ville-monde. Mais il est plus probable que la situation future sera analogue au modèle américain avec plusieurs places financières : Chicago et Boston à côté de New York. Il y aura donc une répartition entre plusieurs places.
Michel Pébereau a ensuite souligné les différents atouts de Paris pour succéder à la place de Londres comme grande place financière :
- La monnaie, instrument de souveraineté, l’Euro étant l’une des deux grandes devises mondiales
- Une industrie bancaire qui a réalisé sa consolidation
- L’assurance dans laquelle la France compte l’un des leaders mondiaux,
- Enfin l’épargne, qui est en France plus forte que dans les pays anglo-saxons.
Puis il a précisé que la sortie de la Grande-Bretagne était l’occasion de réformer l’Europe et de faire évoluer la position européenne sur deux axes : les règles prudentielles et les normes comptables.
- L’industrie bancaire a su s’adapter aux règles prudentielles mais cela pose impacte la rentabilité. En outre, le Comité de Bâle envisage un Bâle IV; la sagesse serait de les écarter car la seule zone à avoir mis en place un contrôle indépendant avec une Banque centrale indépendante est la zone euro. Il conviendrait aussi de revenir sur les règles prudentielles qui pénalisent les assureurs avec Solvency II.
- Enfin, il s’agit de faire émerger un vrai marché de capitaux dans la zone euro, or les normes comptables devraient être établies dans le sens de la valorisation de la gestion et plus dans la valorisation de la liquidation. L’Europe doit assurer sa souveraineté également en ce domaine.
Enfin, il faut saisir cette occasion pour corriger les handicaps fiscaux et réglementaires en France qui confisquent l’épargne et pénalisent l’investissement ; il conviendrait en effet de supprimer l’impôt sur la fortune – la France est le seul pays où un tel impôt existe-, rétablir un forfait libératoire raisonnable, baisser les charges sur les salaires notamment sur les tranches supérieures, enfin réformer le code du travail et notamment les conditions de licenciement.
C’est donc une réelle opportunité pour la France et la place de Paris : avec une monnaie de qualité exceptionnelle et des professionnels de qualité, Paris espère séduire et cesser d’être considéré par les étrangers comme un enfer fiscal.
Marie-Anne Barbat-Layani a poursuivi en évoquant sa rencontre dès le mois de juin 2016 avec l’ensemble des responsables des différentes collectivités territoriales de Paris et de l’Ile de France, pour faire le point sur les conditions d’attractivité et de compétitivité de la place de Paris : elle avait pu constater le fort consensus sur cette question, tous bords politiques confondus. L’intérêt du Brexit est de remettre le projecteur sur Paris. Il y a en effet un intérêt économique à avoir une place financière forte : c’est une condition importante que ne peuvent pas négliger les décideurs pour développer une grande capitale et qui s’inscrit dans le Grand Paris. Elle a également souligné la forte intégration européenne de l’industrie bancaire. La première directive régulant le secteur date de 1977 et le mouvement d’intégration s’est poursuivi jusqu’à la création de l’Union bancaire en 2012. Aujourd’hui, c’est le seul secteur économique totalement intégré en Europe. Pour autant, la question du Brexit n’est pas la bienvenue pour ce secteur qui avait bien d’autres problèmes à traiter comme le futur Bâle IV. En outre dans ce secteur très régulé par l’Europe, les Britanniques étaient traditionnellement de précieux alliés pour « parler business » et ils avaient la voix la plus entendue à Bruxelles. Or l’industrie bancaire française est puissante : elle comprend quatre des neuf banques européennes systémiques qui elles-mêmes représentent 40 à 46 % du financement économique européen.
Elle a ensuite présenté les préconisations du groupe qui représente 133 banques étrangères en France permettant ainsi d’avoir le point de vue étranger sur l’attractivité de la place de Paris- :
- Réduire l’écart du coût de travail entre Paris et ses concurrents. Le niveau des charges sociales a été baissé sur les faibles rémunérations – le SMIC français et allemand sont équivalents – mais la taxe sur les salaires a été fortement alourdie notamment sur les tranches supérieures des rémunérations ; ainsi là où on peut engager trois ingénieurs en Allemagne on ne peut en engager que deux en France pour le même coût.
- Régler la question du code du travail
- Augmenter l’attractivité pour les expatriés et leur famille
- Stabiliser la réglementation
Puis elle a précisé la position de la FBF qui demande que lors de la négociation sur le Brexit, deux principes essentiels soient respectés :
- L’intégrité du marché intérieur
- L’égalité des conditions de concurrence
On doit d’abord négocier les conditions de sortie et seulement après discuter de la suite. Et s’il doit y avoir une période de transition il faudra être très vigilant sur ces conditions transitoires. Le secteur professionnel attend par ailleurs une clarification rapide des pouvoirs publics sur les différents points de négociation. La place pourra toujours s’ajuster mais tout n’étant pas réalisable du jour au lendemain, il sera important d’avoir le plus vite possible les conditions de sortie de la Grande-Bretagne.
Elle a souligné que Michel Barnier était favorable à une négociation spécifique sur les services financiers. Le secteur bancaire a des liens très intimes avec la politique monétaire. C’est un domaine régalien qui justifie une négociation séparée : d’une part, ce secteur constitue une véritable industrie, d’autre part, il finance tous les autres secteurs économiques ; ce qui a justifié sa forte régulation et la surveillance des infrastructures que sont les chambres de compensation.
Le secteur n’est pas favorable à une période de transition qui risque d’être longue avec le maintien des anciennes règles qui continueraient de s’appliquer. Il faut donc que toutes les règles et notamment les règles de supervision, soient révisées.
Il est par ailleurs opposé au passeport européen pour un partenaire de cette taille qui n’est pas dans l’Europe. Les régimes d’équivalence existants à ce jour n’ont en effet pas été conçus pour une situation comme la sortie de la Grande-Bretagne ; il faut donc les revoir afin qu’il n’y ait pas d’effets de banques dites « boîte aux lettres » ou « plaque en cuivre ». Il serait enfin logique de relocaliser les chambres de compensation dans la zone euro.
Arnaud de Bresson a ensuite fermement rappelé la position de Paris Europlace : « Non, la nouvelle du Brexit n’est pas une bonne nouvelle et Paris place financière ne s’en réjouit pas. Mais le fait est là, nous en prenons acte ; et oui, cela peut être une opportunité pour la place de Paris ». Il a ensuite souligné que la place de Paris avait été très tôt mobilisée sur le sujet, et cela bien avant le Brexit: c’est ainsi qu’il y avait eu assez tôt l’annonce de la baisse de l’impôt sur les sociétés et l’amélioration du statut des cadres impatriés. Mais pour rendre Paris plus attractive il faut une plus grande stabilité de la réglementation et une baisse des charges.
Six secteurs sont impactés: l’assurance, le private equity, l’asset management, les infrastructures de marché, les FinTechs, les banques. Et si ces différents agents économiques continuent de dire à propos du Brexit « business as usual », ils sont en train dans leur ensemble, de réajuster le tir vers l’Europe. Une seule banque a annoncé sa décision de se relocaliser sur le continent : HSBC qui va relocaliser 1000 personnes à Paris dans deux ans.
D’autres établissements comme Goldman Sachs vont localiser des équipes de quelques centaines de personnes en Allemagne et en France ; pour les autres il s’agit de rumeurs et ce seront plutôt des services qui se répartiront entre Paris et Francfort. Paris pour sa part a déjà de bonnes activités de trading : c’est un marché qui est déjà en bonne position. Mais il y a deux écueils : il faut attendre les résultats de l’élection présidentielle et il faut mettre en place les réformes souhaitées.
Pierre Bollon a poursuivi en rappelant le fort enjeu de la question du Brexit pour la souveraineté de la France et de l’Europe. Il a souligné que l’AFG n’avait pas non plus souhaité le Brexit mais en prenait acte et considérait que cela allait conduire à une forte recomposition du marché intérieur. Il a ensuite évoqué les trois directives régissant le secteur de la gestion financière et indiqué que plus de 40 % des fonds sont des fonds cross boarders en Europe. C’est donc une industrie qui est elle-même très interpénétrée. Il considère lui aussi qu’il faudra revoir toutes les règles intra et extra-européennes car elles n’avaient pas prévu ce cas unique que constitue le Brexit, et regrette que beaucoup de temps devra être consacré à ce dossier alors que de nombreux autres dossiers très importants auraient dû être traités. Il rappelle enfin l’importance des enjeux: 3800 milliards € gérés en France dont 500 milliards € pour le compte d’étrangers.
Il est donc très important de faire la promotion de la place de Paris comme une place de gestion. Paris dispose en effet de nombreux atouts :
- c’est un marché très développé en France : avec 3800 milliards € et 630 sociétés de gestion, c’est tout un écosystème constitué de nombreuses petites sociétés entrepreneuriales avec en même temps des leaders mondiaux
- c’est un marché intérieur très compétitif avec de vrais talents (formation universitaire et professionnelle très développée pour ces métiers). Et avec le Brexit on peut espérer faire revenir des talents en France
- il suffit de 17 jours pour qu’un fonds soient agréé en France alors qu’il faut 75 jours aux États-Unis et 90 jours au Luxembourg. Le système français est donc très réactif.
Bernard Spitz, présentant la situation du secteur de l’assurance, a souligné que la question du Brexit ne concernait pas le seul secteur financier: elle pose en fait un problème de survie à l’Union Européenne car elle remet en cause ses grands équilibres et met l’accent sur ses faiblesses. Il s’agit sans doute de l’une des plus graves décisions de l’histoire de la Grande-Bretagne. Le statu quo est par ailleurs mortel or les trois principaux acteurs de l’Union européenne, la France, l’Allemagne et l’Italie, ont des gouvernements inconnus à ce jour. On peut dire que c’est le grand retour du politique. C’est en effet lui qui a créé cette situation. Tout est gelé. Personne ne peut s’engager car tout est inconnu jusqu’au printemps prochain.
Un point positif doit cependant être souligné: les relations franco-allemandes se renouent et les Britanniques n’ont pas réussi à diviser les positions française et allemande qui ont rappelé le principe «Access against acceptance of rules».
Dans ce nouveau contexte, l’assurance française devient le premier marché européen. Mais à la différence des autres acteurs de la finance, elle va devoir traiter de la révision d’une directive, la directive Solvency II, qui va se dérouler en même temps que les négociations sur le Brexit. Or cela pose de gros problèmes de conflit d’intérêt avec les Britanniques : quelle doit être leur place dans la révision de cette directive ? Interrogée depuis 6 mois, Bruxelles n’a toujours pas répondu. C’est le seul marché où il y a un gros conflit d’intérêt avec les Britanniques.
Par ailleurs, les Lloyds n’ont pas encore annoncé leur décision sur les éventuels transferts vers le Continent ; ils ont bien publié une liste de places où ils pourraient transférer leurs services, mais Paris n’y apparaît pas. Le problème est certainement lié à la taxe sur les salaires mais il y a également une différence entre la réalité et le ressenti : il faut donc faire des réformes vite tant sur le droit du travail que sur le coût du travail. (à noter, depuis la conférence, Les Lloyd’s ont annoncé l’ouverture d’une filiale à Bruxelles).
Revenant sur la question des conflits d’intérêts et de la place qui sera laissée aux Britanniques dans les associations européennes qui sont de vrais outils d’influence, Marie-Anne Barbat-Layani rappelle que le problème se pose également avec les députés britanniques qui conservent leur siège au Parlement et vont pouvoir ainsi participer au vote de l’Union Européenne sur les conditions de sortie de leur pays. Pendant le délai de deux ans de négociations, les Britanniques restent membres à part entière de l’Union Européenne.
Poursuivant sur cette question Michel Pébereau souligne qu’il ne s’agit pas d’un problème totalement nouveau. Il y a depuis longtemps des non membres dans les associations européennes et on constitue alors pour traiter certains sujets, des sous-ensembles. Mais l’amplitude de la Grande-Bretagne est telle qu’il faudra définir de nouvelles procédures. Cela devra être traité au cas par cas mais, ajoute-t-il avec humour, la France a l’habitude de ce type de structure complexe car elle a bien su inventer des structures où cohabitent les assureurs mutualistes et les assureurs à capitaux.
Répondant à une question du public sur le rapatriement des opérations du Forex à Paris ou Francfort, Marie-Anne Barbat-Layani indique que la Banque Centrale avait déjà tenté de les relocaliser dans la zone euro pour des raisons de stabilité financière. Mais c’est aux autorités publiques de poser les règles et cela le plus rapidement possible. Car il y aura des questions opérationnelles lourdes à gérer et de gros investissements à faire.
Michel Pébereau ajoute que depuis longtemps cette question avait été posée par les grandes banques, notamment à l’occasion de la crise financière.
Sur une question du public sur les chances de Paris et la concurrence de New York, Pierre Bollon pense que Paris pourrait être le Boston de l’Europe, le problème étant que la finance est plutôt mal aimée en France or il faut qu’une place financière soit désirée pour qu’elle se développe. Dans le même sens, Bernard Spitz souligne qu’aucune place ne coche toutes les cases. Paris a beaucoup d’atouts ; il faut les valoriser et être bon vendeur. New York ne fait pas partie des capitales européennes de substitution.
Sur une question du public s’interrogeant si la finance ne risque pas d’être considérée comme un problème franco-français, Marie-Anne Barbat-Layani indique qu’il n’est en effet pas acquis que le secteur fera bien l’objet d’une négociation à part et ne risquera pas de passer à la trappe dans une négociation globale mais il faudra rappeler que les grandes banques françaises sont également paneuropéennes et que l’enjeu clef pour l’économie européenne, c’est l’union des marchés de capitaux et le financement des grandes entreprises européennes. Elle ajoute qu’il y a également toujours comme dossiers préoccupants, les projets de séparation des banques et de la taxe «suicide» en plus des travaux du Comité de Bâle, pour établir un Bâle IV avec des normes basées sur le modèle américain qui est funeste pour les banques européennes. Pour la première fois, la Commission européenne a menacé de ne pas transposer les décisions à venir du Comité de Bâle si cela aboutissait à une mauvaise solution pour les banques européennes ; l’Europe devra montrer sa fermeté et saisir l’opportunité après le Brexit d’avoir une position nouvelle face aux États-Unis.
Concluant ce débat, Michel Pébereau a rappelé les atouts de la France qui dispose des industries financières parmi les plus compétitives du monde et de l’Europe, constituées à la fois de grands acteurs mondiaux et de nouveaux acteurs avec l’arrivée en permanence de jeunes entreprises qui démarrent. Les Français ont du talent et ne manquent pas d’esprit financier. Les banques françaises sont également les seules en Europe à ne pas avoir coûté d’argent au contribuable lors de la crise de 2009. Il y a un vrai savoir-faire. Il y a également un sens de la cohésion entre les différents acteurs des professions financières qui sont capables de travailler ensemble pour trouver des solutions ensemble même s’ils sont concurrents sur le terrain. L’Europe est l’avenir du secteur : c’est à partir de l’Europe que les acteurs français des professions financières auront la capacité de créer un secteur compétitif face aux États-Unis et à un ensemble Chine-Japon. L’avenir de la France se situe à l’intérieur de l’Europe.
Conclusion de France Audacieuse:
Avec prescience, la date de cette conférence- débat sur le Brexit avait été fixée le jour même de l’activation par la Grande-Bretagne de l’article 50 du Traité de Lisbonne !
Les interventions, de très grande qualité, ont parfaitement mis en lumière non seulement tous les enjeux du Brexit pour Paris – place financière, et pour l’industrie française financière qui joue un rôle de tout premier plan en Europe et dans le monde, mais également les difficultés tant politiques qu’économiques que vont devoir traiter les différents acteurs financiers alors même que de nouveaux chantiers sur les normes prudentielles, comptables ou réglementaires sont lancés avec les Etats-Unis et en Europe.
Le débat a permis de rappeler qu’au-delà de la question économique posée par le Brexit, c’est l’avenir même de l‘Europe qui se joue et avec lui, celui de la France.
Les associations professionnelles sont activement au travail. La société civile doit également faire sa part en venant en soutien, autant que possible, afin d’accélérer la démarche pédagogique autour de l’industrie financière. Avec un objectif commun : faire aimer aux Français cette industrie et lancer un signal chaleureux et positif aux impétrants potentiels.
Nathalie Kaleski – 31 mars 2017