« Réussir l’école, c’est possible maintenant !»
par Hélios Privat
Nous sommes à quelques jours de la rentée scolaire et les incertitudes qui pèsent sur l’avenir de l’Ecole de la République ne sont toujours pas levées. Personne n’imagine que le nouveau Ministre de l’Education Nationale soit en mesure de proposer en quelques semaines une réelle refonte de notre système éducatif. Cependant, quelles que soient les difficultés pour appréhender ce que devrait être une école de la réussite pour tous, il n’est pas concevable de reproduire à l’infini un fonctionnement qui s’accommoderait de l’affichage de mesures ponctuelles dont on sait qu’elles seront valorisées par les uns, contestées par les autres et qui en définitive ne règleront aucun des maux dont souffre notre système éducatif.
Bien évidemment, il faudra redéfinir la mission des enseignants et revoir leur formation, il faudra améliorer le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans et recentrer l’école élémentaire sur les fondamentaux de tous les apprentissages. Mais nous savons tous que ce travail demande du temps, de la concertation et très certainement un investissement financier difficile à envisager dans le contexte budgétaire actuel.
Cependant, les écoles ouvrent leurs portes dans les prochains jours, et il est urgent de prendre conscience qu’il ne peut y avoir de générations sacrifiées. Il faut donc, dès aujourd’hui, proposer des mesures susceptibles de redonner à notre système éducatif le nouvel élan qui lui permettra de favoriser la réussite pour tous.
L’enfant qui entre à l’école maternelle ou élémentaire pour la première fois a rarement connu la vie de groupe avec son fonctionnement et ses règles. C’est pourtant par cette découverte essentielle qui le confronte à l’Autre, qu’il devra apprendre à l’accepter et à le respecter pour composer avec lui. Il s’initiera petit à petit au dialogue par l’écoute et l’expression orale. Peu à peu, il intègrera la notion de vie collective, se rendra compte de la nécessité de respecter les règles, il percevra qu’il a des obligations et des droits, il s’adaptera enfin aux rythmes scolaires et aux activités péri-scolaires. L’école maternelle et élémentaire doit pouvoir organiser des moments de rencontres, de recherches ou d’échanges. Elle doit concevoir des espaces et des lieux spécifiques réservés aux activités ludiques, sportives ou culturelles.
Nous savons le besoin fondamental de l’enfant qui le pousse à connaître, à comprendre, à chercher. A nous de lui donner la possibilité d’observer, de questionner, d’expérimenter, de vérifier. Il faut progressivement en fonction de l’âge, lui proposer des situations de découvertes diversifiées et une première approche de la culture technologique.
Dans ce contexte, il est primordial de privilégier de manière permanente la maîtrise du langage. A tous moments il faudra l’aider l’enfant à organiser son discours, à charge pour l’adulte de l’épauler en l’obligeant à reformuler si nécessaire.
Lire, écrire, compter, utiliser les technologies nouvelles, apprendre à interpréter des images, voilà des objectifs pratiques que l’enseignant doit lui permettre d’atteindre.
De surcroit dans la société de la communication et de l’information (ou de la désinformation) devenue la notre, il est indispensable de réfléchir, et de faire réfléchir à l’usage du numérique et à son utilisation par les enfants. La fonction ludique est importante, mais il faut lui faire comprendre que tout ne se résume pas au seul jeu.
Par ailleurs nous ne devrons pas négliger l’ouverture sur le monde : visiter des musées, aller au concert, recevoir en dépôt une œuvre d’art. Ce n’est pas toujours facile, mais il est possible de l’obliger à une fréquentation plus régulière des bibliothèques existantes ou… d’en créer.
Parallèlement, le retour de l’enseignement de la laïcité est devenu un impératif si nous voulons redonner à nos enfants le sens du « vivre ensemble » et les aider à construire leur socialisation.
Ce remodelage de l’ « école primaire » est essentiel. Cependant, je pense que le point central de tout changement se situe dans la modification du fonctionnement du collège unique.
Le choix d’élever le niveau de formation de tous les jeunes est une nécessité à la fois politique, sociale, et économique qui ne doit pas être remis en question.
« Le collège pour tous » en permettant à toute une génération d’élèves de se retrouver ensemble dans un même établissement, prédispose à une certaine homogénéité entre adolescents issus de milieux différents et offre ainsi à chacun la possibilité d’élever son niveau de formation.
Mais cet objectif, indispensable pour maintenir notre pays dans le peloton de tête des pays industrialisés, nécessite que l’on fasse de vrais choix. Contrairement à ce qui a été fait, la massification de l’enseignement ne consiste pas à donner à tous les jeunes, au même moment la même formation et le même enseignement. Je crois au contraire que c’est en diversifiant les contenus et en adaptant les méthodes aux capacités de chaque individu, que l’on permettra à chaque enfant, à chaque adolescent d’optimiser ses capacités et de faire les choix individuels qui lui permettront d’atteindre son meilleur niveau de qualification.
Une Ecole plus juste, plus égalitaire, ce n’est pas une Ecole qui coupe toutes les têtes qui dépassent, c’est une Ecole qui apporte à chaque élève la nourriture intellectuelle dont il a besoin, qui s’adapte au rythme d’apprentissage de chaque individu et qui met en place les structures lui permettant d’aller le plus loin possible dans la poursuite de ses études.
Les solutions sont multiples, elles ont déjà été expérimentées, elles sont connues de tous : il reste à l’Institution (ou à chaque établissement) de faire le choix de celles qui permettront à un maximum d’élèves d’atteindre les objectifs attendus.
Au collège comme plus tard au lycée, les difficultés essentielles auxquelles sont confrontés les élèves en situation d’échec, peuvent être facilement répertoriées. Elles sont connues et peuvent être regroupées autour de trois axes principaux :
- les difficultés d’assimilation des programmes dues à une mauvaise compréhension et à des problèmes d’expression écrite et orale.
- le manque de travail personnel en raison des conditions de travail difficiles à la maison et à l’absence d’aide ou de soutien parental.
- les inégalités culturelles souvent conséquences des inégalités sociales.
L’institution scolaire peut apporter des réponses rapides, efficaces et peu coûteuses financièrement, dont on peut penser qu’elles auront un impact à brève échéance sur les résultats scolaires de tous les élèves. Je propose de les traiter point par point :
- les difficultés d’assimilation des programmes :
Il est possible de renforcer les horaires des disciplines dites fondamentales (français, mathématiques, langues vivantes) par une répartition différente du nombre d’heures de cours en classe entière et en petits groupes. Ces dédoublements pourraient être mis à profit pour permettre aux élèves en difficulté de bénéficier d’une aide personnalisée pendant que leurs camarades pourraient approfondir certains points hors programme. Ainsi chacun pourrait progresser individuellement en fonction de ses possibilités et de ses capacités.
- le manque de travail personnel :
La mise en œuvre d’études dirigées obligatoires pour tous les élèves entre 16H30 et 18H, en offrant une aide personnalisée aux devoirs, réduirait une partie des inégalités. Destinée à tous les élèves sans distinction, elle permettrait que soit effectué dans l’établissement scolaire le travail personnel attendu par les professeurs. De plus, elle favoriserait l’accès aux ressources documentaires de l’établissement, tout en évitant de voir trainer à l’extérieur des jeunes dont on sait qu’ils peuvent être sensibles aux pressions qui s’exercent dans certains quartiers.
- les inégalités culturelles :
Le déficit culturel des élèves majoritairement issus de milieux défavorisés, pourrait être compensé en organisant régulièrement le mercredi des sorties obligatoires (cinéma, théâtre, musique, musées). Ces sorties pourraient être encadrées par des bénévoles (parents, associations, étudiants) et exploitées en classe par les professeurs.
Compte-tenu de la situation économique actuelle, on ne peut ignorer le coût de la mise en œuvre de ces propositions. Je suggère donc que les moyens supplémentaires en heures d’enseignement soient compensés par les économies faites grâce à la diminution notable du nombre de redoublants. Les professeurs volontaires, les personnels de surveillance, les futurs enseignants dans le cadre de leur formation ou les emplois aidés pourraient assurer l’encadrement des études dirigées. Quant aux activités culturelles, elles pourraient être financées par la collectivité territoriale si elle acceptait de faire des choix plus judicieux que ceux qui sont actuellement en vigueur dans les Départements et les Régions.
Une simple circulaire accordant une plus grande autonomie aux établissements et aux équipes pédagogiques suffirait pour la mise en place de ces mesures. Faut-il préciser qu’être enseignant, c’est un métier et que les professeurs sont capables, en liaison étroite avec les Proviseurs et les Principaux, de définir les besoins de l’établissement dans lequel ils exercent tout en respectant le cadre des moyens qui leur sont attribués. Eux seuls ont la meilleure connaissance de leurs élèves, eux seuls, après consultation et information des parents, sont les mieux à même de définir les besoins et l’orientation des jeunes qui leur sont confiés.
Il resterait ensuite à redéfinir les objectifs du baccalauréat et revoir ses conditions d’obtention. Devenu aujourd’hui un simple Certificat de Fin d’études Secondaires, il conviendrait d’en alléger les épreuves ou de les limiter à la vérification de certaines connaissances ou savoirs faire. Mais il ne peut plus à lui seul conditionner l’accès à des études universitaires. La poursuite d’études supérieures devrait faire l’objet d’un examen d’entrée spécifique afin de vérifier les aptitudes du futur étudiant à poursuivre ses études dans la spécialité choisie avec de réelles chances de réussite. Je ne méconnais pas les réticences, voire les oppositions à cette nouvelle disposition qui, tout en permettant des économies substantielles pour l’Etat, responsabiliserait élèves et parents dans le choix qu’ils seraient amenés à faire dès la fin des études secondaires, et éviterait les frustrations dues aux trop nombreux échecs des étudiants.
Toutefois, nous devons être conscients que qu’elles que soient les dispositions prises pour rendre l’Education Nationale plus performante, il y aura toujours une part incompressible de réfractaires à l’école ou en situation d’échec scolaire. Il convient donc en parallèle, d’encourager tous les dispositifs susceptibles de permettre à un maximum de jeunes d’acquérir un diplôme ou une formation, leur permettant de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle (apprentissage, écoles de la deuxième chance, internats, dispositifs d’insertion).
Ceci étant posé, il me semble évident que la modernisation du système éducatif français ne peut se faire par des mesures ponctuelles mises bout à bout. Je le répète à nouveau, elle exige une clarification de ses objectifs et des contenus d’enseignement, une simplification de son fonctionnement institutionnel, une révision de la formation des maîtres et de leur statut. Une telle réforme en profondeur doit s’inscrire dans la durée c’est à dire au moins pour les dix ou vingt prochaines années.
C’est à n‘en pas douter une obligation pour l’Etat Nation s’il veut préserver son unité et maintenir la cohésion sociale. Mais c’est aussi une exigence pour la République afin de faire vivre les valeurs de progrès chères à Condorcet, et redonner tout son sens à l’Ecole publique de Jules Ferry et de Ferdinand Buisson.
Cette Ecole risque un démantèlement progressif si elle ne répond plus aux attentes d’une majorité de la population. L’attrait pour les écoles privées jugées plus performantes, les régionalismes renaissants et les communautarismes de toutes espèces auront tôt ou tard raison d’elle si on ne l’adapte pas aux exigences de la société actuelle.
Repenser notre système éducatif est devenu une obligation pour tout gouvernement qu’elle que soit sa couleur politique s’il ne veut pas devoir faire face à des critiques acerbes faute d’avoir manqué à l’une de ses missions régaliennes.
Je crois que l’actuelle prise de conscience devant les difficultés de toutes sortes auxquelles se heurte notre pays, est de nature à faire aboutir un projet difficile mais ambitieux.
Les femmes et les hommes politiques de tous bords doivent pouvoir se rassembler autour d’un projet pour notre jeunesse. Une Ecole de la réussite pour tous n’est ni une idée de droite ni une idée de gauche, c’est une obligation morale pour tous ceux qui nous gouvernent.
J’ai parfaitement conscience de toutes les difficultés et de toutes les oppositions qu’il leur faudra surmonter pour rénover en profondeur notre système éducatif. Je ne minimise pas le courage politique indispensable pour entamer une réforme de fond, mais je mesure aussi les risques encourus pour toute la Nation si on se laisse enliser dans le marasme actuel.
Hélios PRIVAT
Le 25 août 2017