Hakim El Karoui
Auteur du rapport “un islam français est possible” – Institut Montaigne
invité du Centre des Professions Financières
Jeudi 9 mars 2017
Michel Pébereau, Président du Centre des Professions Financières, rappelle tout d’abord les grandes lignes du parcours de Hakim El Karoui. Normalien et agrégé de géographie, il a été conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon puis de Thierry Breton à Bercy. Puis il a rejoint la banque Rothschild pour y développer les activités en Afrique. En 2011, il rejoint comme associé le cabinet Roland Berger, en charge de l’Afrique et du conseil au gouvernement français. C’est en 2016 qu’il crée Volentia, société de conseil stratégique. Outre son activité d’essayiste, il est également le fondateur du Club XXIème siècle. Il est l’auteur du rapport de l’Institut Montaigne sur le thème « Un islam français est possible », publié en septembre 2016.
Entrant dans le vif du sujet, Hakim El Karoui précise que pendant toute sa carrière, il avait fait le choix d’exclure l’Islam de ses sujets d’expression publique, compte tenu de son patronyme. Mais il a changé d’avis en 2015, après les attentats. Il lui semble désormais que l’on attend des musulmans un engagement qui, à défaut, laisse le champ libre aux extrémistes des deux camps.
Pour éclairer son rapport sur l’Islam, il s’est ancré dans la réalité, porté par un travail rigoureux et scientifique, basé sur un questionnaire à l’appui d’une étude d’envergure effectuée par l’IFOP pour l’Institut Montaigne.
Le constat
En terme de population, il rappelle ainsi que le nombre de musulmans en France est d’environ 6% de la population soit d’environ 4,5 millions de personnes en métropole et outre-mer. Les musulmans sont beaucoup plus jeunes que la moyenne puisqu’ils sont environ 10% chez les jeunes. Ce pourcentage a été obtenu sur une base déclarative, en réponse à la question « êtes-vous musulmans et qu’en est-il pour vos parents ? ».
D’un point de vue géographique, la population musulmane est très concentrée dans les zones industrielles de la France des années 50. 6% de la population française est ainsi située sur 25% des départements. D’où l’impression erronée exprimée par nos concitoyens de la présence de 30% de musulmans dans la population française. Hakim El Karoui poursuit en indiquant que seulement 37% des musulmans vivent dans une zone dite sensible et qu’une élite se constitue peu à peu. Il cite à ce propos le travail effectué en ce sens par le Club XXIème siècle, insistant sur le fait que l’ascenseur social fonctionne encore. Il note à ce propos que les jeunes femmes musulmanes réussissent mieux que les garçons dans le système éducatif. Or l’islam est une culture qui survalorise les garçons. Il cite en exemple le fait que les femmes n’héritent que la moitié des hommes. Cet état de fait souligne un conflit potentiel entre la société et la famille.
En terme de pratique religieuse, Hakim El Karoui précise qu’il n’existe pas de communautarisme musulman, aucun sentiment d’appartenance à un destin commun n’étant mis en avant dans le rapport. En revanche, il existe des identités nationales d’origines qui sont très marquées, notamment chez les Turcs. Les 2/3 des musulmans se disent pratiquants. Ce chiffre est à mettre en perspective avec les 5% de la population catholique qui se rend à la messe. Cette pratique religieuse s’incarne dans le voile, vu comme un marqueur d’inégalité, et dans le halal, devenu un mode de vie. Notons toutefois que le halal n’est pas une obligation religieuse puisque les 5 piliers de l’Islam ne comprennent pas le halal. S’agissant du voile, 2/3 des musulmans y sont favorables et 1/3 des femmes le portent.
Hakim El Karoui se penche ensuite sur la dynamique de l’islamisation autour des Frères Musulmans à travers les Saoudiens et les Quatari. Il rappelle que si Al Jazeera est moins regardée aujourd’hui, elle a mis en valeur de nombreux prédicateurs. Au terme du rapport pour l’Institut Montaigne, en France, l’élite d’origine musulmane est totalement intégrée, mais elle ne dialogue pas avec les autres. On peut également isoler 4 types de comportement pour les musulmans en France:
- 25% sont totalement intégrés comme les Français, mais plus religieux
- 25% pensent que la laïcité les protègent et sont très adeptes du halal
- 25% sont étrangers et ont un problème avec la polygamie et la laïcité
- 25% utilisent la religion pour affirmer leur opposition : pour 50% de ce groupe, ils ont moins de 25%, sont peu éduqués et vivent dans des zones sensibles
Enfin, l’intervenant rappelle qu’un islamisme social est fortement ancré : la mosquée est le lieu de la sociabilité et fait le travail que l’Etat et les collectivités territoriales ne peuvent plus faire.
Les pistes de réflexion
Face à ce tableau qu’il qualifie lui-même de « très complexe », Hakim El Karoui envisage alors les pistes de réflexion.
Il rappelle tout d’abord que tous les gouvernements successifs ont commis une erreur en délégant le sujet à partir de 1989 aux états étrangers. Il préconise d’effectuer un « saut quantique » en s’appuyant sur l’élite française et musulmane. La question du financement de l’islam est évidemment centrale (les mosquées, les dons, la filière halal et le pèlerinage). En terme de gouvernance, il faut travailler avec des Français totalement indépendants.
Il suggère donc de sortir de l’inaction et de l’incantation :
- en francisant les institutions musulmanes
- en intégrant l’Islam dans le concordat pour former les ministres du culte (à noter, le conseil constitutionnel n’y est pas favorable)
- en travaillant avec les aumôniers, salariés par l’Etat
- en renforçant l’enseignement de l’arabe à l’école qui est un mode de prévention
- en ayant une stratégie digitale pour mettre des contenus pédagogiques et d’actions sociales sur You Tube, Facebook et twitter
Hakim El Karoui conclut ses propos en indiquant qu’à son avis, l’attitude à retenir vis à vis de l’islam est d’être tout à la fois ouverts mais exigeants.
Conclusion de France Audacieuse
Cette intervention de Hakim El Karoui est éclairante : elle pose, sans aucun angélisme, les termes du débat sur l’Islam français et introduit une analyse chiffrée permettant de proposer une analyse rationnelle et dépassionnée.
Le rapport de l’Institut Montaigne publié en septembre 2016 avait à l’époque été largement repris par les médias. Sa lecture exhaustive s’impose pour bien comprendre les enjeux qui sont devant nous et mettre en perspective les propositions qui sont portées, notamment en cette période électorale, sur ce sujet central.
Alexia Germont – 7 avril 2017
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