A la fin du mois de décembre 2016, la campagne pour les élections présidentielles semblait entamer sa course de fond.
François Fillon, candidat surprise mais porté par un enthousiasme sans précédent, s’apprêtait à affiner son programme pour le présenter désormais à l’ensemble des Français et non plus seulement aux électeurs de la droite et du centre. Nos concitoyens étaient curieux, et plutôt satisfaits, à l’idée d’un duel programmé de celui-ci avec Emmanuel Macron … et très probablement Manuel Valls. Une bonne tenue intellectuelle était attendue de cette présidentielle.
Mais la vie politique n’est plus un long fleuve tranquille dans notre pays à vif.
Le jeu s’est compliqué lorsque les espoirs de Manuel Valls de concourir à l’élection suprême ont été balayés le 29 janvier dernier par 58,65% des votes exprimés en faveur de Benoît Hamon. Un des frondeurs les plus actifs de ce quinquennat était donc porté par la « Belle Alliance Populaire » pour rompre avec le passé et défendre des propositions économiques très clivantes telles que les 32 heures, la taxe sur les robots, la dépénalisation du cannabis et bien sûr le revenu universel.
Les cartes étaient en place : Yannick Jadot en vert, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon sur des territoires voisins, Emmanuel Macron – digne héritier bien que parricide de François Hollande – au centre gauche, François Fillon sur les terres d’une droite traditionnelle et Marine Le Pen embrassant un positionnement purement populiste.
A la fin du mois de janvier, le Canard Enchaîné a donné un coup de bec à ce long fleuve tranquille en dévoilant le #FillonGate. Deux unes du magazine ont suivi les 1er et 8 février 2017, entretenant le mauvais feuilleton électoral. La tornade médiatique a laissé KO sur place les électeurs de droite qui, outre leur cruelle déception, se sont pour beaucoup sentis profondément floués. Ne nous méprenons pas, il ne s’agit nullement ici d’une prophétie sur les intentions de vote à venir, personne ne s’y risquerait, ni un jugement sur le fond du dossier. Il s’agit plutôt de souligner la profonde désillusion politique que cette affaire aura suscité. Les électeurs de droite ont voulu tourner la page des années Sarkozy en se portant sur un candidat qui prônait la probité tant intellectuelle que pécuniaire. Au mieux, leur poulain aura profité des largesses du système en tirant sur la pelote jusqu’au bout. Au pire, il n’avait de leçon à donner à personne. Triste séquence. D’un point de vue démocratique, il aurait été plus sain que cette affaire soit révélée avant les primaires car elle n’aurait alors pas privé les électeurs de droite d’un candidat vaillant aux présidentielles. Par son obstination à se maintenir dans la course, François Fillon ampute Les Républicains d’une possible victoire et surtout participe à la baisse de crédit de la parole publique. Les électeurs de droite sont désormais pris en otage, avec un risque de bascule de l’électorat tant au centre qu’à droite toute, les laissant orphelins de leur famille politique.
Pendant ce temps-là, Emmanuel Macron se sent pousser des ailes dont les battements lui permettent de suivre les courants d’air porteur. Un souffle à gauche, un souffle à droite, espérant faire la synthèse de tous les déçus. Il engrange certes les ralliements et même l’alliance de François Bayrou. Mais la solidité politique compte aussi, tout comme un programme bien travaillé et cohérent. Certes, « la valeur n’attend point le nombre des années », mais il est pour le moins déroutant qu’il ne dévoile qu’une première partie de son programme seulement 60 jours avant un scrutin décisif. A se sentir investi trop tôt, on risque de trébucher.
Quant à elle, la gauche dure s’organise, heureuse de promouvoir des concepts utopistes creusant un peu plus encore la dette abyssale de notre pays. Si l’union bien improbable des trois candidats se faisait, le rêve aurait ses chances.
De son côté, Marine Le Pen se contente de faire une campagne a minima, récoltant les fruits des séquences terroristes, du #fillongate, de l’affaire Théo et du mécontentement contre l’Europe. Ses déboires judiciaires ne rencontrent curieusement que peu d’écho dans l’opinion qui semble imperméable à toute critique à son encontre. Ses premiers meetings visent une droitisation extrêmement ferme de son discours. Nous aurons tous été prévenus.
Nos voisins étrangers regardent cette campagne présidentielle avec grand désarroi. La société civile française partage également ce malaise, craignant que cette séquence ne porte en elle les désillusions de trop. Car pendant ce temps, l’omerta la plus complète pèse sur les sujets explosifs.
D’un strict point de vue économique, notre pain blanc est derrière nous. Les taux remontent progressivement mais sûrement. En 2017, il est prévu que la zone euro emprunte environ 900 milliards d’euros sur les marchés, dont 200 milliards uniquement empruntés par la France. Soyons précis : en octobre 2016, la France empruntait sur 50 ans au taux de 1,46%. Le 9 janvier 2017, le taux d’intérêt pour cette même maturité bondissait à 2,02%. En clair, la remontée des taux va donc peser sur notre budget. Notre système éducatif et universitaire est malade. Le chômage atteint des records, avec plus de 6,5 millions, notamment chez les jeunes, entretenant ce sentiment d’insécurité économique et d’absence de visibilité
Sous un angle institutionnel, la « fatigue démocratique » s’est enracinée, selon l’excellente expression employée par France Stratégie dans son rapport d’octobre 2016 sur les « Lignes de faille : une société à réunifier ». La défiance est omniprésente et la société est fortement clivée.
Quant à la lutte contre l’insécurité et le terrorisme, l’équilibre est bien fragile. Il faut féliciter et relayer autant que possible la parole courageuse, car menacée, des intellectuels musulmans qui se battent contre l’islamisme radical. Osons nommer les maux dont souffre notre société.
La classe politique dans son ensemble serait bien inspirée d’entendre le souffle du peuple qui gronde. Comme le soulignait avec beaucoup de justesse Michel Barnier, négociateur pour l’Union européenne du Brexit face au Royaume-Uni, lors d’un débat au Conseil d’Etat sur le thème « Peut-on parler d’une démocratie européenne ? », il ne s’agit pas de confondre populisme et la colère du peuple. Cette distinction est forte.
Comment se fait-il que la société civile, qui regroupe des hommes et des femmes compétents sur lesquels repose le dynamise de notre peuple, en soit réduite à rappeler à l’ordre la classe politique ? Ils ont pour la plupart fait le choix exclusif de l’exercice de la chose publique. A eux alors, dont c’est le métier, d’être à la hauteur. Qu’ils s’inspirent des économistes, des intellectuels, des professionnels aux compétence reconnues s’ils n’ont eux mêmes pas de vision.
En lieu et place, les analyses et propositions pertinentes ne viennent plus des partis politiques mais des think tanks devenus essentiels dans le bon fonctionnement de notre démocratie.
Pour conclure, la France est une belle nation, parfois rétive à la discipline, mais foisonnante d’individus libres et éclairés.
Puisse notre classe politique reconnaître sa dernière chance en se montrant responsable. Montrez l’exemple, indiquez le chemin, proposez la route, déclinez les axes retenus, mettez-y du souffle, de l’envergure… rendez-nous fiers, réinventez l’épopée française et rêvons à nouveau !
Il y a urgence.
Alexia Germont
23 février 2017