« Présidentielle : quels enjeux pour le second tour »
Conférence à Sciences Po
25 avril 2017
Intervenants
Jean Garrigues, Historien, président du Comité d’histoire parlementaire et politique
Jérôme Sainte Marie, Président de Polling Vox
Cécile Cornudet, Journaliste, éditorialiste au journal Les Echos
Pascal Perrineau, Politologue, Président de Sciences Po Alumni
Christophe Barbier, Journaliste, éditorialiste au journal l’Express,
Jean-François Achilli, Journaliste, éditorialiste sur France Info
Le débat, animé par Anne-Sophie Beauvais, Directrice générale de Sciences Po Alumni, a porté successivement sur les questions suivantes :
1/ le second tour est-il déjà joué ?
Un second tour n’est par principe jamais joué pour Pascal Perrineau qui explique qu’en effet une nouvelle campagne démarre avec de nouveaux clivages. Au premier tour coexistait l’ancien clivage gauche-droite avec un nouveau clivage : d’un côté «et gauche et droite» avec Emmanuel Macron et de l’autre «ni gauche ni droite, Français d’abord» avec Marine Le Pen. Au second tour, un nouveau clivage va se mettre en place, entre les « patriotes » d’une part et les « mondialistes » de l’autre. Et c’est un clivage que les Français ressentent comme tel, si on se réfère aux résultats du référendum de 2005 qui n’avait rien à voir avec le clivage gauche-droite. Marine Le Pen espère refaire aujourd’hui ce clivage.
Jérôme Sainte-Marie ajoute que “le repas de la victoire a déjà eu lieu” pour Emmanuel Macron. Marine Le Pen souhaiterait que le second tour prenne la forme du référendum de 1992 et 2005 et il pourrait y avoir une surprise en sa faveur si la campagne durait longtemps ce qui n’est pas le cas donc le résultat est acquis.
2/ Pourquoi n’y a-t-il pas aujourd’hui la même atmosphère de stupeur qu’en 2002 avec l’arrivée du Front national au second tour?
Christophe Barbier précise qu’il y a en effet une absence de surprise et de gravité dans la situation car les Français ont été habitués depuis ces dernières années à voir le Front National régulièrement en tête aux élections ; il était depuis longtemps considéré comme qualifié pour ce second tour (même si cela s’est finalement fait in extremis) et le Front National aujourd’hui n’est pas le même Front National que celui avec Jean-Marie Le Pen. Enfin il ne pense pas possible de voir se reconstituer un front commun communiste-souverainiste en faveur de Marine Le Pen : si cela a pu se faire sur la question d’un traité communautaire, c’est bien différent pour l’élection d’un président.
3/ Comment Emmanuel Macron va-t-il rallier le vote populaire face à Marine Le Pen?
Cécile Cornudet souligne les différences d’agenda et de stratégie de campagne entre les deux candidats: un agenda très chargé pour Marine Le Pen alors qu’Emmanuel Macron n’a prévu qu’un événement par jour avec en revanche beaucoup d’images car il a compris qu’il y avait une colère dans la France périphérique et rurale.
4/ Le score de Fillon est-il si mauvais et pourquoi a-t-il eu cet échec?
Jean-François Achilli souligne que les élections restent de la mécanique. Il y a eu un choc majeur: les partis tels qu’ils ont été formés ne correspondent plus à l’état de l’opinion aujourd’hui. Le score réalisé par François Fillon n’est pas si mauvais si l’on considère que Jacques Chirac avait également fait le même score de 20 % en 2002. La campagne de François Fillon a été catastrophique mais il n’est pas sûr qu’un plan B aurait marché.
Jean Garrigues poursuit en revenant sur l’histoire de la Ve République. C’est aujourd’hui l’aboutissement de trois cycles historiques : après le sentiment d’échec avec l’alternance des gouvernements de droite et de gauche depuis les années 70, puis le sentiment de ré-enchantement en 2007 autour de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, la crise de 2008 a fait exploser les barrières sociale et mentale. Mais on ne peut dire que les partis sont condamnés. Le PS depuis Jaurès a connu de nombreux chocs. Et la famille de la droite a connu de nombreuses divisions qui ont été résorbées également. Le parti socialiste peut donc se recomposer, même si personne ne peut dire sur quelle base. Historiquement ces deux familles ont toujours trouvé des ressources pour se recomposer. Leur vrai problème est qu’en fait les couches populaires ne sont plus électeurs du PS ou des Républicains : l’enjeu est de reconquérir le peuple.
5/ La carte des résultats ne montre-t-elle pas deux France qui s’affrontent?
Pascal Perrineau indique que se met en place aujourd’hui un clivage fort: une France occidentale, optimiste qui va bien et de l’autre côté une France orientale qui regroupe les cols bleus, les anciennes industries avec de réelles poches de misère. Mais ce sont tous les départements qui sont clivés: d’un côté les métropoles qui ont voté Emmanuel Macron, de l’autre les zones incertaines ou non-lieux que constitue le «rurbin», qui ont voté massivement Marine Le Pen malgré la concurrence de Jean-Luc Mélenchon. Ce sont les mêmes ruptures sociales et territoriales qui se sont mises en place en Italie, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et que l’on voit à présent en France. Evoquant les paroles de Charles de Gaulle («c’est pas la Gauche, la France, c’est pas la Droite, la France »), il ajoute que toute la question est de trouver l’homme ou la femme de synthèse capable de parler à la Nation.
6/ Quelle serait l’éventualité d’un gouvernement de cohabitation avec Emmanuel Macron?
Cécile Cornudet indique que c’est en effet la grande préoccupation de l’entourage d’Emmanuel Macron. Les Républicains espèrent gagner les législatives mais une déperdition est possible. Le plus probable est qu’il aura une majorité composite à créer autour de lui.
Jean-François Achilli considère que si Emmanuel Macron est élu président, soit il aura une recomposition autour de lui avec une majorité, soit les Républicains seront majoritaires mais en ce cas doit-on parler de cohabitation?
Pascal Perrineau souligne que ces élections législatives seront d’un nouveau type mais rappelle le précédent avec le général de Gaulle dont le mouvement UNR n’avait eu que 38 % à l’Assemblée nationale et qui avait donc dû constituer une majorité composite. Il n’y a pas de majorité macroniste; ce sera donc une majorité de coalition.
Christophe Barbier ajoute que soit Emmanuel Macron aura une majorité, soit il devra chercher une majorité sur chaque texte et ce sera une cogestion, soit il pourra relancer une pratique référendaire ou gouverner par ordonnance et sondage sur ces ordonnances. Le problème se pose plutôt pour le gouvernement d’attente entre l’élection présidentielle et les législatives: va-t-il conserver le gouvernement actuel ou élaborer un gouvernement avec la vieille garde autour de lui ou encore un gouvernement avec de nouveaux membres de son mouvement?
Jean Garrigues précise qu’il y a déjà un rapprochement de certains membres du parti Les Républicains avec Emmanuel Macron et que le modèle politique de Emmanuel Macron serait la gouvernance que Jean-Yves le Drian a mise en place au conseil régional de Bretagne.
7/ Les primaires sont-elles une bonne chose?
Jean-François Achilli ne le pense pas: elles allongent le temps de la campagne présidentielle qui a démarré en septembre dernier et va se dérouler jusqu’en juin. Cela fait par ailleurs sortir des candidats plutôt extrêmes tout en coexistant avec le système des 500 parrainages.
Cécile Cornudet pense plutôt l’inverse : si François Fillon n’avait pas eu ses affaires il serait élu et on penserait que cela a bien fonctionné. Ce ne sont pas les primaires en elles-mêmes qui ont fabriqué des candidats radicaux. Il faudra peut-être revoir les règles pour le président sortant et quand il y a un problème avec un candidat.
Jérôme Sainte-Marie abonde dans ce sens en rappelant qu’il y a un an les commentateurs louaient les primaires et les critiquent aujourd’hui uniquement à cause du résultat.
Pascal Perrineau ajoute qu’il sera difficile de revenir sur des droits accordés à des électeurs.
Pour Jean Garrigues, ces primaires ont été un «cache-misère» des partis ; elles ont désigné les plus mauvais candidats pour remporter les élections et ne sont pas dans l’ADN de la Ve République du rendez-vous d’un homme avec un peuple. Elles ont une vertu mais il faudra réfléchir sur la manière de les mettre en adéquation avec les institutions ou bien modifier les institutions.
8/ Au soir du premier tour Jean-Luc Mélenchon a refusé de donner une consigne de vote pour le second tour, déclarant suspendre sa décision à celle des militants de France Insoumise. Comment comprendre cette position?
Jérôme Sainte-Marie rappelle que cela s’explique par la perspective présidentielle, le programme d’Emmanuel Macron et le clivage mondialisme-souverainisme qui traverse la gauche.
Jean-François Achilli explique également que Jean-Luc Mélenchon était convaincu d’être au second tour, qu’il a une réelle détestation de François Hollande et donc d’Emmanuel Macron et qu’enfin il souhaite gagner ainsi du temps.
Pascal Perrineau souligne qu’ « on ne combat pas l’effet en votant pour la cause », que Jean-Luc Mélanchon est ainsi cohérent avec la culture de l’abstention révolutionnaire et que sa position est majoritaire dans son électorat.
Conclusion de France Audacieuse:
- Cette conférence-débat s’inscrit dans le cadre des conférences de Sciences Po sur le thème des élections de 2017. Il faut saluer ce travail de grande qualité mené par Pascal Perrineau et Anne-Sophie Beauvais.
- Lors d’une précédente conférence, tenue le 18 janvier 2017 et dont France Audacieuse avait rendu compte, différents scénarii avaient été évoqués ainsi que l’éventualité de la reconstruction du paysage politique français.
- Ce n’est aujourd’hui plus un scénario mais une réalité dont les contours se préciseront lors des élections à venir, celles du second tour et des législatives.
Nathalie Kaleski
29 avril 2017