Tribune Libre
“La prise de conscience européenne”
par Hélios Privat
La cathédrale Notre Dame de Paris est aujourd’hui ravagée par un funeste incendie. On ne peut cacher la tristesse que cet événement suscite chez de nombreux compatriotes. Mais les Français ne sont pas les seuls affectés par la dévastation de ce patrimoine culturel qui transcende la simple sphère religieuse. C’est l’Europe toute entière qui est touchée. L’émotion ressentie immédiatement dans toutes les capitales prouve, s’il en était encore besoin, l’attachement des Européens à ce qui les unit. Il ne s’agit pas ici uniquement de géopolitique, c’est bien la prise de conscience au plus profond de nous mêmes, que nous partageons une même civilisation.
Cette communion de nos peuples dans l’émotion, nous l’avons perçue au travers de l’information transmise par tous les médias et par la solidarité manifestée par de nombreux chefs d’Etat ou de Gouvernement. Cela nous aide à faire face à l’obligation de surmonter les obstacles pour retrouver l’espoir. Face aux difficultés du moment, comment ne pas évoquer la phrase de l’écrivain français Louis-René des Forêts : « Ce qui a été perdu ne se retrouve pas, vaine quête de jadis, mais se reconstruit… »
Ce rappel à la réalité nous oblige à penser à l’avenir parce que la vie continue et qu’il nous appartient de la façonner, en prenant en compte les exigences du lendemain.
Aussi, devons nous nous rappeler que dans quelques semaines s’ouvrira officiellement la campagne électorale pour les élections européennes.
Les débats seront animés et France Audacieuse doit être le think tank qui sera porteur d’idées fortes. «Réveillons notre Europe», l’excellent livre de sa Présidente Alexia GERMONT, nous offre autant par ses analyses que par ses propositions concrètes, une vision à moyen terme des buts assignés aux politiques futures pour donner un souffle nouveau à l’Union Européenne.
La construction de l’Europe est loin d’être achevée, pas seulement parce que le monde est en perpétuel mouvement, mais aussi et surtout en raison des réticences et des oppositions que son projet suscite encore de nos jours.
Nous n’avons pas de conseil à donner aux différents partis politiques, mais nous avons le devoir de les conscientiser sur les attentes d’une partie importante de la population européenne. Le résultat des prochaines élections devra dessiner un nouveau visage de cette Europe que nous, au sein de FRANCE AUDACIEUSE, appelons de nos vœux.
Après des années de crise, la société a besoin d’une respiration, elle demande à sortir des idéologies habituelles, attend des réponses concrètes aux problèmes concrets qu’elle rencontre. Nous savons bien qu’il n’y a pas de solution simple pour résoudre des problèmes complexes, mais il reste à trouver des équilibres.
Les Britanniques ont choisi de se replier sur leur île. Ils s’imposent à eux mêmes des contraintes avant de nous les faire subir. Le Brexit doit être pour les Européens convaincus un véritable signal d’alarme. Ne soyons pas naïfs, dans d’autres pays des voix se font depuis longtemps entendre pour torpiller l’Union Européenne. Le mot n’est pas trop fort : c’est le cas à l’extérieur des frontières de l’U.E. parce que beaucoup la considèrent dangereuse pour leur économie ou pour leur prédominance, mais à l’intérieur elle est aussi l’objet de fortes résistances de la part de toutes les formes de nationalisme, encore très vivaces au sein de la vieille Europe.
Que l’on partage ou pas ses débordements, la crise des « Gilets Jaunes » nous a ouvert les yeux sur les changements politiques attendus par de nombreux Français. Mais faisons preuve de réalisme, les problèmes mis en exergue à l’occasion de ces manifestations ne sont pas uniquement franco-français. En effet, ils nous obligent à quitter notre propre horizon pour porter notre regard sur les autres pays européens. Force est de constater qu’il existe de nombreuses similitudes avec des revendications qui se font jour au-delà de nos frontières.
En France, en Allemagne, en Italie, en Grèce, en Autriche, au Portugal ou en Espagne (comme en Angleterre) les convergences sont notables. La contestation prend des formes semblables envers les récriminations contre « Bruxelles ».
Si les partisans d’une Europe forte veulent se faire entendre et éviter de faire la part belle aux populismes de tous bords, la campagne électorale qui se profile devra porter sur quelques thèmes ou propositions susceptibles de redonner l’espoir et d’ouvrir un nouveau champ des possibles à tous les citoyens européens.
Quatre thèmes essentiels ne peuvent être écartés des prochains débats. Des propositions concrètes devront être avancées par les représentants des partis politiques qui réclament nos suffrages :
- le pouvoir d’achat : c’est une attente forte d’une large majorité de citoyens européens. Les inégalités sociales sont de plus en plus présentes et la pauvreté chaque jour plus visible. L’objectivité nous oblige à reconnaître que nous vivons globalement mieux que les générations qui nous ont précédé, mais il n’est pas supportable que de nombreuses familles aient des fins de mois très difficiles, que certains ne puissent pas manger à leur faim et que d’autres, sans abri, soient obligés de dormir dans la rue été comme hiver. Ce n’est nullement faire preuve de misérabilisme que de constater ces faits et de vouloir réduire ce que pudiquement on appelle « la fracture sociale ».
- la désertification des campagnes : ce phénomène est transversal à toute l’Europe. Il a des conséquences néfastes sur les conditions de vie de ceux qui habitent dans une région rurale. Ceux-ci ont la très vive sensation de faire partie des oubliés de notre société. Revivifier la ruralité est une urgence pour tous ceux qui ne vivent pas dans les grandes villes ou leur périphérie. Ils attendent, plus particulièrement, que soit prise en compte la détérioration de leurs conditions de vie en leur permettant de bénéficier des services publics dont ils se sentent dépossédés depuis plusieurs années.
- le climat : nous sommes tous alertés sur la nécessité de sauvegarder notre planète. L’importance de l’écologie dans notre quotidien ne se discute plus, mais les décisions envisagées sont vécues comme punitives. Si l’on veut réellement qu’elles soient non seulement acceptées mais aussi assumées par les populations, elles doivent être le moins possible contraignantes et ne pas les pénaliser financièrement. L’écologie, pour être bien comprise doit être progressive et prendre en compte les problèmes liés à l’économie et à l’emploi.
- la défense de l’emploi : elle est partiellement une réponse aux points précédents. Elle passe très probablement entre autres choses, par une ré-industrialisation de l’Europe. Sur ce point, il est important que les candidats nous expliquent les règles qu’ils envisagent de modifier, ou de mettre en place, pour combattre la concurrence déloyale à laquelle nous sommes confrontés dans nos échanges commerciaux avec nos partenaires à l’extérieur, mais aussi parfois à l’intérieur des frontières de l’U.E. Une certaine exigence de réciprocité est attendue par toutes les classes sociales et par les jeunes en particulier.
* l’immigration : les discours pseudo humanistes pour se donner bonne conscience sont trop souvent contre-productifs. Il est indispensable d’entendre les inquiétudes exprimées par ceux qui craignent que leur culture soit en danger ou que leur niveau de vie soit amputé par l’arrivée massive d’étrangers souhaitant s’installer chez nous. L’immigration telle qu’elle se présente aujourd’hui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Nous avons le devoir moral de venir en aide aux populations dans la détresse tout en assurant la protection des citoyens européens. Réduire les peurs est un passage obligé pour les hommes politiques qui se prévalent d’une forme d’humanisme. Ils ont le devoir de dépasser les idéologies pour proposer des procédures d’asile qui soient audibles par une majorité des peuples européens.
Parce qu’elles concernent tous les pays qui la composent, ces questions sont devenues essentielles si l’on veut se rassembler autour d’une nouvelle Europe. Les aborder avec courage et détermination est une condition nécessaire mais pas suffisante. C’est pour cette raison, qu’il semble tout aussi indispensable que d’autres sujets soient mis à l’ordre du jour d’une campagne qui s’annonce cruciale pour notre avenir. Ces questions sont individuellement plus ou moins sensibles pour chaque citoyen européen, mais elles sont fondamentales pour l’avenir de l’Union.
Des sujets annexes devraient donc être débattus, en particulier :
- la démocratisation de nos institutions : plus il y aura d’Europe, c’est à dire plus les choix seront communs et centralisés, plus il faudra recourir à des prises de décision au plus près des personnes concernées. Plus le centre de décision s’éloignera de son lieu d’application plus il sera nécessaire de déconcentrer voire de décentraliser certains pouvoirs. Par la suite, nous serons donc probablement obligés de prendre en considération les choix et la demande grandissante d’autonomie des régions, en instituant de nouveaux modes de concertation pour répondre aux besoins des populations. Toutefois, si l’on veut éviter des dérives dangereuses pour notre unité, cette nouvelle étape de décentralisation devra être sérieusement réfléchie et murement concertée.
- La politique familiale : bien que notre pays soit moins touché que d’autres par la faiblesse du taux de natalité, celui-ci a une influence sensible sur un ensemble de problèmes sociaux et sur notre développement économique. Probablement que chaque Etat doit prendre les mesures adaptées à son cas précis pour tenter de résoudre ce déficit. Cependant, en marge des problèmes spécifiques à chacun, l’absence d’une politique familiale concertée est un facteur de tensions actuelles ou à venir. Une réflexion sur les mesures communes que nous devrions envisager, fait partie des objectifs à prendre en considération à moyen terme. En contrepoint du traitement de l’immigration et indépendamment des problèmes moraux qui ne manqueront pas de se poser, il est raisonnable de penser que l’arrivée des migrants peut aussi être entendue comme le moyen de compenser la faiblesse de notre natalité.
- La révolution numérique : nous sommes entrés depuis quelques décennies dans cette nouvelle ère. Son extraordinaire progression géométrique exige que nous fassions rapidement des efforts d’adaptation pour faire face aux mutations technologiques indispensables afin d’être compétitifs. Nous devons tirer les conséquences des changements considérables que le numérique engendre dans notre vie quotidienne. Impossible de ne pas visualiser son impact positif autant que négatif dans des domaines aussi importants que la recherche, l’industrie, le commerce, la santé, etc. Ses conséquences sur l’emploi sont grandissantes en termes de productivité, de rentabilité et donc d’adaptabilité. Notre système de formation initiale, professionnelle ou continue doit l’intégrer dans l’ensemble des dispositifs éducatifs.
* la recherche spatiale : il peut paraître à priori paradoxal de considérer que l’espace est déterminant pour l’avenir de l’Europe. Cependant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit qu’il est déjà prédominant non seulement pour tout ce qui relève des communications, mais aussi et surtout pour ce qui a trait à la sécurité de notre continent. En termes de digitalisation des moyens d’information, comme de défense du territoire il sera impératif de conquérir l’espace pour assurer notre totale indépendance.
Conclusion
La prise de conscience européenne suppose que l’on mette provisoirement de côté son élargissement pour se concentrer sur la consolidation de nos acquis et sur les inflexions souhaitées par bon nombre de nos concitoyens.
Les réticences soulevées sont le plus souvent émotionnelles et transversales aux idéologies. Pour en débattre utilement il ne s’agit nullement de disqualifier l‘adversaire, mais bien au contraire de rechercher les solutions et les points d’ancrage communs.
Nous devons apprendre à redonner du sens à la politique pour trouver des accords sur ce qui fonde notre volonté d’union. Puissent tous les candidats comprendre qu’il est indispensable de proposer un souffle nouveau, au plus près de nos aspirations, pour nous donner envie de « réenchanter » l’idée d’Europe.
Hélios PRIVAT
20 avril 2019