« Ma santé 2030 : accompagner la prévention et la vitalité »
PARTIE 2
Note de prospective par Patrick Block
La récente crise sanitaire liée au Coronavirus a mobilisé un débat politico-médiatique confus et mouvementé.
Nous avons entendu les catastrophistes, les immobilistes, les évolutionnistes, bref tous les experts (qui se trompent souvent mais avec autorité !).
Nous n’étions pas préparés selon eux.
Et, si nous préparions l’avenir ?
L’évolution numérique
Le monde de la santé en France a commencé à opérer sa transition numérique avec la mise en place du Dossier Médical Partagé qui facilite le parcours de soins et le développement de la téléconsultation. Mais, le DMP a mis 15 ans pour émerger ! Les médecins ont longtemps considéré qu’il n’était pas fiable et insuffisamment protégé. Les patients pouvaient, de fait, ajouter des informations ou en retirer, faussant la connaissance exhaustive du dossier du patient s’adressant à leur praticien. Et, certains médecins craignaient d’être jugés par un confrère leur succédant dans les soins administrés. Conjuguons innovation et confiance.
Passerons-nous dans notre transformation digitale de la 21ème position actuelle en Europe à la 15ème ou 16ème d’ici à 2030 ?
Le programme TSN (Territoire de Soins Numériques) doté de 80 millions d’euros et lancé en 2014 n’a pas connu un réel développement. Il avait pourtant comme objectif de moderniser notre système de soins dans certaines zones pilotes en utilisant des services et technologies innovantes en matière d’e-santé.
Comme l’a écrit un Institut réputé : « Augmentons la dose ! ». Lors des Assises Citoyennes du Numérique en Santé en Novembre 2020, les citoyens se sont déclarés prêts pour le numérique en santé s’il est construit pour et avec eux. Ils le veulent inclusif et simple d’accès pour gagner du temps, pour une meilleure communication, un meilleur suivi et acceptent le diagnostic en ligne. Certes, il faudra embarquer les faibles ou non-utilisateurs digitaux actuels, lutter contre l’illectronisme. L’État vient d’injecter 250 millions d’euros pour cette cause en plus des 200 millions affectés à la numérisation des services de santé à la suite du « Ségur de la Santé ». Les Français souhaitent donc une pleine prise en main de leur santé.
Mais, l’usage de services numériques et la coordination entre les professionnels de santé autour de plateformes territoriales d’appui reste difficile. Pourtant, la France dispose d’un « coffre-fort » de données parmi les plus rares d’Europe. Encore, faut-il l’ouvrir ! Soutenons l’interopérabilité de systèmes d’information souvent hétérogènes et cloisonnés. Cela permettrait d’améliorer l’efficacité de la prévention (tant souhaitée), le suivi des personnes atteintes de maladies chroniques, l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie. Le développement de la révolution numérique nous enseignera dans l’avenir si la décision médicale se rapproche d’une science exacte ou d’un art. En médecine, comme dans les entreprises diverses, la prise de décision est souvent complexe, incertaine. Atténuons les risques d’imprécision.
Misons aussi sur le télé-suivi à domicile promis à un bel avenir alors que la population médicale est en baisse dans l’attente de l’effet de la réforme récente du numerus clausus devenu le numerus apertus. Les facultés fixent depuis mai 2020 seulement le nombre d’admissions en deuxième année, en fonction des besoins régionaux.
Pendant ce temps, en quelques mois, la part des téléconsultations est passée de 0,2% à plus de 5% et a dépassé 25% pendant le premier confinement. Cette facilité à téléconsulter a divisé par huit le nombre d’appels au service du 15 pendant le confinement de mars-avril 2020. Les patients, les déserts médicaux et les urgences le réclament ! Une téléconsultation ne dure que dix-huit minutes en moyenne pour toute personne d’au moins quatorze ans. Les sujets les plus fréquents de consultation sont l’ORL, l’ostéo-articulaire, la pneumologie et la dermatologie.
Il a été remboursé, en 2020, par notre système social, treize millions de téléconsultations avec une large majorité d’utilisatrices. Il n’y en avait eu que quinze mille l’année précédente. Neuf cents fois plus !
Bien sûr, la violente douleur thoracique reste du domaine des urgences hospitalières mais pas le suivi des hyper-tensions.
La France doit démystifier la santé numérique maîtrisée et l’inscrire dans le droit public. Ne doit-elle pas, de plus, accompagner les établissements de santé dans ce déploiement, en aidant les régions encore en jachère digitale ?
Le développement de l’e-santé
Les innovations en matière de santé et les applications de l’Intelligence Artificielle (IA), que nous appellerons plutôt Intelligence Augmentée ou Auxiliaire pour ne pas effrayer, auront un caractère stratégique comme dans les transports, la défense, la sécurité et l’environnement.
Il n’est pas question de remplacer le médecin par la machine mais d’organiser des interactions vertueuses. Cette IA aura, de fait, des effets sur l’ensemble du parcours de soin tant au niveau des clichés radiologiques que du diagnostic ou de la chirurgie. 400.000 actes de chirurgie sont déjà robotisés.
Cette « médecine augmentée » rentre peu à peu dans les préoccupations françaises et l’Europe commence à participer à ce débat que la Californie, une fois encore terre de prédilection du futur, travaille depuis de nombreuses années. Google, avec son centre de recherche Calico ou Elon Musk, fondateur de Tesla et SpaceX, entre autres, misent, avec une certaine avance, sur l’augmentation de l’espérance de vie en dehors de toute fiction. Google finance dans ce but l’« Université de la Singularité » pour un « homme augmenté » doté de plus de mémoire, d’une meilleure vue, plus efficace et avec moins de douleurs. Et, si l’e-santé française n’est pas encore dans la formation des médecins libéraux, nous devons préparer la médecine « 4P » de demain : prédictive, préventive, personnalisée, participative.
La télémédecine aura été la grande bénéficiaire de l’épidémie de 2020. Une grande majorité de Français en ont une opinion positive et notamment sur la téléconsultation, déjà évoquée, à condition qu’elle s’inscrive en complément des pratiques traditionnelles et ne laisse aucun patient sur le bord du chemin.
L’IA apprend de nos préjugés et la médecine des algorithmes gouvernés. Elle permettra de passer du traitement à la prévention en rapprochant les déserts médicaux. Gagnons encore du temps !
L’évolution de la démographie et du virage numérique, la téléconsultation généralisée, une organisation territoriale remaniée assortie d’une régulation confiée aux régions, de nouvelles responsabilités données aux différents acteurs de la Santé, le réajustement des rémunérations, des financements et une organisation revus, doivent s’inscrire dans la qualité et la pertinence des soins. Les modalités tarifaires doivent aussi évoluer pour valoriser la performance, la qualité et la coordination des soins.
- Le nouveau statut d’« infirmier praticien de pratique avancée » permettra un suivi plus développé des patients. En effet, entre des infirmières ayant fait quatre années d’études et des médecins ayant passé plus de dix ans à l’université, il y a sans doute une place pour des soignants intermédiaires assistant les médecins. Sans oublier de moderniser la formation des professionnels de la santé tant lors de la formation initiale que continue.
- Les pharmaciens peuvent assister l’acte médical en réalisant les vaccinations et les téléconsultations.
- Les étudiants en médecine pourraient réaliser des stages dans les déserts médicaux. En « croix verte de proximité », le pharmacien sachant doit s’adapter au nouvel environnement, mener sa transformation numérique, assurer les vaccins de prescription obligatoire, utiliser les TROD (Tests Rapides d’Orientation Diagnostic) comme ils l’ont fait avec les tests sérologiques Covid, prévenir la iatrogénie, élargir ses services et accompagner les personnes souffrant de maladies chroniques et/ou âgées.
- La relation coordonnée ville-hôpital sera renforcée en favorisant auprès des médecins généralistes mieux rémunérés la pluri-professionnalité avec des tâches administratives allégées.
Une organisation simple et efficace
C’est à l’État d’établir le « plan d’urbanisme » et aux régions de construire les différents édifices médicaux avec un annuaire médical complet. De plus, « matchons » les médecines de ville et d’hôpital dans les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé), structurons un maximum d’ESP (Équipes de Soins Primaires) dans un souci premier de coordination des soins. La médecine ne doit pas être jugée sur ce qu’elle est mais sur ce qu’elle fait. Assurons plus de transparence des résultats pour stimuler la concurrence par la qualité. Il faut séparer clairement la définition des politiques de santé, assurée par l’État, de la gestion du risque, déléguée à un opérateur unique. Ce dernier pourrait être issu de la fusion de l’Assurance maladie et de ses différents régimes et de certains autres services du Ministère de la santé. Cet opérateur serait responsable de la régulation des dépenses dans le cadre d’une démarche décentralisée et sur une base contractuelle.
La médecine 2030 sera entre autres appréciée sur la facilité d’accès aux données qui seront nécessairement interopérables et dotées de la cyber sécurité, sur sa bonne régulation avec une gouvernance simplifiée. Facilitons la téléconsultation entre un médecin et un patient :
- La télé-expertise entre deux médecins arrêtera un diagnostic ou une stratégie thérapeutique.
- La télésurveillance aidera le praticien à interpréter ou suivre des données biologiques ou cliniques recueillies par un autre professionnel de santé.
- La téléassistance permettra à un médecin d’assister à distance un confrère pendant un acte médical ou chirurgical. La télé-régulation interviendra avec le soutien éventuel du SAMU.
La récente pandémie a relancé également le débat sur les filières de santé qui vont de l’hôpital aux laboratoires pharmaceutiques à Doctolib en passant par Google et Apple. Chacun souhaite la souveraineté et l’éthique de notre pays. Les laboratoires pharmaceutiques sont appelés « big pharmas » quand on critique leurs revenus en oubliant leurs dépenses en recherche. Ils ne peuvent pas n’être admirés que lorsqu’ils annoncent la sortie prochaine d’un vaccin et, parmi les GAFAM, Google ou Apple que s’ils inventent la semelle connectée prédictive d’ostéoporose ou détectent une maladie de Parkinson à la simple utilisation de son téléphone portable.
Ils ont su démontrer la rapidité et la qualité de leur recherche. Historiquement, certains vaccins ont mis une décennie ou plus avant d’être disponibles. Mais, la reconquête par l’État de la souveraineté sanitaire et industrielle ne sera pas simple. La pandémie nous a enseigné que nous ne dépendons pas seulement de fournisseurs mais aussi de zones géographiques.
Le Français, doté de sa carte verte Sesam-Vitale, ne veut pas connaître le prix de son médicament. L’État va dans ce sens et développe même le « Reste à Charge = zéro » avec la participation des complémentaires santé. Avec ces couvertures nouvelles incluant des soins prothétiques dentaires, l’optique et les audioprothèses, les dépenses de protection sociale et de santé continuent d’augmenter alors qu’elles ont été stabilisées dans les pays de l’Europe du Nord. L’institutionnalisation progressive de la couverture complémentaire santé est obligatoire depuis la loi ANI de 2016. La France est le seul pays au monde où s’empilent deux couches de couverture santé obligatoire faisant que la charge liée aux soins est l’une des plus faibles au monde.
Le Parlement vote chaque année le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) qui doit tenir compte du vieillissement de la population française dans laquelle les « plus de 65 ans » sont plus nombreux que les « moins de 15 ans » et consomment toujours plus de soins. Il faut également y intégrer les innovations toujours trop onéreuses qui rendent, vu les prix de certains traitements anticancéreux, les groupes pharmaceutiques moins sympathiques que précédemment dans la course au vaccin.
Il faut prendre en charge les parcours de soins (programme ETAPE pour les nombreux diabétiques par exemple). Si, en 1970 sont apparus les systèmes permettant de mesurer le taux de sucre dans le sang avec le bout du doigt piqué jusqu’à six fois par jour, aujourd’hui place au capteur. Ce dernier, placé sous la peau, permet d’adapter régulièrement la dose d’insuline en passant simplement le capteur au-dessus d’un scanner. Indolore et précis. De plus, certains programmes alimentaires numérisés permettent d’ajuster le débit de la pompe sous-cutanée pour éviter une hypoglycémie ou conseiller des compléments alimentaires additionnels. En attendant le pancréas artificiel…
D’autres parcours de soin doivent être aussi organisés pour les autres malades chroniques avec un partage des données et la nomination d’un coordinateur. Les 3100 structures de soins avec plus de 30 milliards d’euros de dettes ne peuvent pas être la variable d’ajustement des dépenses de santé !
Le gouvernement avait annoncé le « big bang » au congrès de la Mutualité française en juin 2018. Oui au « big bang » si cela implique la prise en compte de la qualité des soins.
Références :
- Assises du Numérique en santé. Agence du Numérique en Santé. Ségur de la santé. PLFSS 2018. Plan « Ma santé 2022 ».
- Loi ANI 2016
19 octobre 2021