Ma santé 2030 : accompagner la prévention et la vitalité
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Note de prospective par Patrick Block
La récente crise sanitaire liée au Coronavirus a mobilisé un débat politico-médiatique confus et mouvementé. Nous avons entendu les catastrophistes, les immobilistes, les évolutionnistes, bref tous les experts (qui se trompent souvent mais avec autorité !). Il fallait changer notre logistique sanitaire jugée dégradée alors que la France, qui représente 1% de la population mondiale et 4% de la richesse mondiale, alloue 14% des redistributions sociales mondiales. Et, maintenant, place à « Ma Santé 2022 » ?
Notre système de protection sociale
Faisons, juste un instant, un petit retour historique. Pierre Laroque propose au Général de Gaulle en 1946 l’innovant système de Sécurité Sociale à la française. La Sécurité Sociale, écrit-il alors, est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Il faut débarrasser les travailleurs sur qui pèse la menace de la misère, de l’incertitude du lendemain.
Il ne manque point d’indiquer dans la préface que ces principes, avec les connaissances démographiques de l’époque, valaient pour une période d’environ cinquante ans. Cela fait donc au moins vingt-cinq ans que nos responsables politiques auraient dû s’emparer du sujet au lieu de se repasser « la patate chaude ». Il est plus facile de critiquer le pouvoir du moment que de rappeler ce qu’on n’a pas fait quand on était aux affaires ou de revendiquer les 35 heures à l’hôpital qui lui, manque, pour lui-même, de soins intensifs.
Le corps médical doit être davantage associé à la gestion. Les aides-soignants(e)s, agents d’entretien et les infirmier(e)s exposé(e)s aux contraintes physiques, psycho-sociales et émotionnelles doivent voir leur situation revalorisée. Les infirmières françaises sont les plus mal payées des pays de l’OCDE avec ce que cela entraîne comme risque de « fuites » de talents vers d’autres métiers ou vers le privé. Ayons un plan santé plus stratégique que comptable ! Les dépenses administratives ont progressé de 11% en 25 ans, ne dépensons pas moins mais mieux.
Il doit être fait plus de place à la médecine de ville, premier recours, dans notre système « hospitalo-centré ». La France gère deux millions d’hospitalisations à domicile. C’est le cas des dialyses, par exemple, mais encore en nombre inférieur à d’autres pays alors même que les patients le souhaitent. Et, c’est le cas également de chimiothérapies après suivi d’une initiation ! Sous contrôle, les médicaments peuvent aussi être délivrés à domicile. La télésurveillance doit entrer dans le droit commun.
Instaurons par ailleurs le paiement à la performance et à la qualité. Sa mise en œuvre générerait des économies surtout si elle est accompagnée de la simplification administrative : actuellement les ententes préalables demandent une tonne de papiers pour 1% de rejet !…
Parallèlement, un certain nombre d’économies sont facilement réalisables.
- Le développement des médicaments génériques et biosimilaires, la prévention, les abus de transports médicalisés, certaines prescriptions paramédicales, l’AME (Aide Médicale d’État) pour certains étrangers et les indemnités journalières abusives peuvent représenter jusqu’à 2,5 milliards d’économies. Certaines rééducations non pertinentes ajoutées aux fraudes et abus rajoutent 1 milliard à l’addition de l’assurance maladie.
- Il faut réaliser sur ces postes 4 milliards d’économies ! Quant aux 30% d’actes redondants, leur coût représente 60 milliards d’euros. Là encore, la technostructure à la française ne s’attaque pas vraiment au problème.
- L’organisation de la prévention face aux mauvaises habitudes des Français quant à l’alcool et au tabac permettrait d’éviter aussi des risques et des coûts importants.
Pour réduire le déficit précédemment évoqué, l’effort est demandé aux hôpitaux par le non-investissement et aux groupes pharmaceutiques par la baisse autoritaire de remboursement du prix de leurs médicaments.
Au passage, il est oublié que ce sont ces derniers qui financent la recherche très onéreuse, les vaccins notamment, que les États réclament en urgence dans un souci politique sans rien en financer. Le nom de certains laboratoires pharmaceutiques n’a jamais été autant cité sur les chaînes d’information que lors de la mise à disposition de ces nouveaux vaccins. On s’étonne au moment de leur mise sur le marché que notre pays ne soit pas dans la course.
- Si la France était de 1995 à 2005 le premier producteur de médicaments en Europe, aujourd’hui moins de 25% des produits remboursés sont produits sur le sol français. Le coût du travail et les délais administratifs sont à la base des décisions prises par les industriels du médicament. Les taxes sectorielles ont doublé depuis 2012 et on voudrait une relocalisation des productions.
- Le parcours du médicament est long et très cher de la recherche à l’élaboration du produit de soin dans des conditions de concurrence internationale difficiles. Il s’ensuit les problèmes de la distribution avec des acteurs qui doivent tisser un réseau soumis aux contraintes du service public et aux dispensateurs. Un chemin jonché d’embûches.
L’État depuis des années jusqu’à l’apparition de la pandémie fixait l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) a plus ou moins 2% dans un souci de maîtrise des dépenses. Le Parlement jonglait avec le prix administré du médicament, les marges des pharmaciens, les conventions sectorielles, la surveillance des prescripteurs, etc. alors que les patients sont avides de nouveaux produits. Chacun voulait réduire le « trou de la Sécu » sans y contribuer. Les efforts demandés aux laboratoires sur leurs prix avec un encouragement à l’utilisation des génériques s’est traduit par une délocalisation des productions vers des pays où la main d’œuvre est moins onéreuse. C’est ainsi que pour ne pas dépendre de sous-traitants locaux, nousdépendons d’industriels basés loin de notre zone géographique. De plus, certaines formes galéniques comme les corticoïdes en goutte pour nourrissons ne sont même plus produites dans nos régions. Peu avaient pensé qu’une pandémie soudaine et rapide pouvait se déplacer de la Chine ou de l’Inde à l’Europe (unie dans la diversité) où il n’existe toujours pas de politique commune de la santé. Quand, pour les nouveautés thérapeutiques, l’évaluation avant autorisation de mise sur le marché dure 150 jours en moyenne en Europe, l’Agence Française peut demander 500 jours.
Sauf pour le vaccin ? Chacun pourra comprendre que dans ce contexte les demandes de relocalisation rapide du curare ou du paracétamol ont peu de chances d’être des réalités proches. L’année 2020 a mis entre parenthèses la gestion des dépenses.
Une logistique décriée
S’il n’y a pas d’Europe de la santé, c’est l’Europe qui a négocié l’achat et la répartition des nouveaux vaccins anti-Covid-19. L’arrivée plus rapide que prévue dès fin 2020 des vaccins de Pfizer, Moderna et Astra-Zeneca attendus à l’automne 2021 a davantage mobilisé les chaînes d’information que les centres de vaccination.
Les questions sont multiples :
- L’ Europe a-t-elle mal négocié ?
- Où sont les doses, les seringues, les aiguilles, les réfrigérateurs ?
- La vaccination est-elle un « coup de communication politique » ?
- Les variants du virus sont-ils pris en compte ?
- Faut-il acheter le spoutnik russe si Astra-Zeneca nous « punit » à la suite du Brexit ?
Et, ce ne sont que quelques-unes des questions !…
Les Français anti-vaccins veulent devenir prioritaires ; les journalistes devenus prophètes ont plus de réponses que les médecins ; les partis politiques d’opposition plutôt « anti-confinement » dénoncent le non-confinement quand il est annoncé. Bref, la France est bien éveillée. Qu’en penser ? Sans doute, les politiques européens, pour être européens, ont-ils mal négocié avec les laboratoires le prix de la dose pour la vaccination de 450 millions d’habitants. On ne négocie pas des flacons contenant cinq doses pour annoncer qu’il est possible d’en extraire six en critiquant le « hold-up » des groupes pharmaceutiques très florissants qui ont battu des records de vitesse inattendus.
La compétence médicale du Ministère de la santé avait peut-être besoin du savoir logistique du Ministère des armées. Il fallait en temps de paix avoir une logique de guerre. Nos militaires auraient sans doute mieux réparti les doses
suivant les régions en communiquant avec les élus locaux, mieux installé les vaccinodromes, mieux assuré le transport. Le principe de précaution a une fois encore fait du tort au principe de responsabilité. Au moins, la lenteur de la mise en route aura-t-elle créé de l’impatience à être vacciné.
« Ma Santé 2022 »
Le titre complet est « Ma santé 2022 : citoyens et territoires ». Le thème de la santé fait irruption dans le débat politique national fin 2018 alors que jusque-là les élus se contentaient du jugement de l’OMS de 2001 qualifiant notre système de « meilleur du monde ». La crise démographique, l’éloignement de certains citoyens des centres urbains, des affaires médicales comme celles du Lévothyrox ou du Mediator sont soudainement rappelées par les médias.
Le réveil sonne au plus haut sommet de l’État et en septembre 2018 le Président de la République prononce un discours proposant une transformation du système de santé avec une territorialisation des soins. La Ministre de la santé en février 2019 propose, dans la foulée, une nouvelle organisation suivie d’un colloque en juin : « Ma Santé 2022 : citoyens et territoires » engage un tournant dans la politique de santé jusque-là uniquement focalisée sur la maîtrise des déficits.
La territorialisation du système de soins devient une priorité avec le concept de « gradation des soins ». La structuration pyramidale de l’offre apparaît pour la première fois. Un millier de CPTS ( Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) sur l’ensemble du territoire auront la responsabilité des soins dits « primaires ». Au-dessus, 500 hôpitaux dits de proximité, souvent submergés de demandes inadéquates, gèreront les urgences bénignes, certaines interventions chirurgicales ou gériatriques. Tout en haut, les centres hospitaliers importants assureront les soins les plus lourds.
Il est également reconsidéré, dans ce projet, les modèles de rémunération. Il faut, est-il annoncé, compter avec les patients qui revendiquent la codécision et la co-évaluation. Cela induit de substituer à la rémunération dite à l’acte ou au séjour des « paiements combinés » prenant en compte la pertinence et la qualité des soins en allant de la préparation d’un acte jusqu’à la récupération totale espérée. Des financements « populationnels » pourraient également être accordés pour la psychiatrie ou les urgences, à des institutions agréées.
Notons que pour l’heure les médecins semblent toujours attachés à la rémunération à l’acte. Autre vision en 2022 ? Et ce plan verra-t-il le jour ?
Les réformes peuvent prendre du temps en France. Ou être brutalement accélérées par une pandémie ? Il y a urgence…
Reconnaître le médecin généraliste
Le médecin généraliste doit rester au cœur du système de soin. Homme de science et de confiance, disponible, dévoué, chacun(e) le réclame. Il fait preuve d’écoute quand les politiques semblent sourds.
« Le médecin ne soigne pas la maladie mais le malade » écrivait Maïmonide. Il faut pourtant constater un désintérêt des jeunes générations pour cette discipline. Les conditions pour remotiver passent par l’amélioration des conditions d’exercice, une rémunération décente, une réduction des contraintes administratives, une primauté de l’acte clinique.
Trop de facteurs qui ne relèvent pas de la science influencent, de nos jours la décision médicale: les choix politiques du moment, l’économie, l’évolution des croyances et des cultures et le communautarisme qui guident les souhaits des patients, les peurs et/ou les espérances des malades, les médias qui ne sont jamais neutres, les vérités médico-scientifiques parfois partielles ou évolutives, la jurisprudence. La médecine connaît des avancées majeures mais c’est toujours un homme qui est « aux manettes » et mérite donc d’être reconnu.
Les leçons de la Covid-19
Au moment où différents vaccins arrivent pour nous soulager et prévenir de la Covid-19, nous découvrons aussi la défiance des Français et leur inclination à écouter les théories complotistes. Les vaccins développés trop rapidement seraient bâclés. Ils contiendraient des microparticules dangereuses.
La Covid-19 aurait été créée de toute pièce par l’homme au Laboratoire P4 en Chine pour éliminer une partie de la population. Le virus serait né grâce aux « big pharmas » et aux cachoteries chinoises, etc… De même l’hydroxychloroquine, à qui manque de longues études cliniques randomisées et des preuves fondées, ne serait pas recommandée car pas assez onéreuse pour certains laboratoires prospères et, suivant le cas, vantée ou décriée par des spécialistes sûrs d’eux – quand l’incertitude est la base de la science – ou par des médias qui ne sont que des « demi-sachants » réagissant à la minute.
Comment trouver le juste milieu entre rassuristes et alarmistes pour tranquilliser les Français et promouvoir sereinement la santé 2030 ?
En conclusion
Pour rapprocher les comportements de nos concitoyens au moment de la crise de la Covid-19 et les perspectives d’avenir ci-dessus, souvenons-nous d’Antoine de Saint-Exupéry qui écrivait que « l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ». Quand la France manquait de masques, chacun les réclamait. Quand ils furent disponibles, certains parlaient de leur inutilité et réclamaient le vaccin. Et, quand le vaccin arrive, certains refusent d’être vaccinés comme les sondages d’opinion l’annoncent ? Mais, ils y ont droit si on le leur refuse…
Les cloisonnements administratifs et interprofessionnels ont pu empêcher la co-construction de la création d’une chaîne de valeur et concilier attentes individuelles et bénéfice collectif. Les malades doivent pouvoir accomplir leur projet de vie. Les professionnels de santé doivent voir la valorisation de leurs compétences. Les établissements de santé doivent pouvoir supporter les besoins d’investissements pour une meilleurs réponse sociale. Les payeurs contribuables doivent constater une meilleure affectation des ressources. Les industriels de la santé doivent pouvoir assumer le financement et la diffusion de l’innovation. Nous sommes, toutes et tous, acteurs du futur !
La France, fière au début des années 2000 d’être le maillot jaune de la santé dans le monde, et qui dépense tant pour la protection sociale, doit savoir retrouver une autonomie stratégique. Elle a les professionnels de qualité, les soignants dévoués mais doit savoir donner envie d’avoir envie.
Comment ? Il faut réduire la lourdeur et les coûts administratifs quand on sait dépenser 57% de dépenses sociales. Il faut accélérer la médecine numérique de proximité pour soulager les établissements hospitaliers. Il faut encourager toutes les start-ups, les biotechs dans la santé en aidant leurs financements avant qu’elles ne partent à l’étranger. L’exemple de Moderna dans la vaccination contre la Covid-19 ne peut que faire pâlir notre recherche nationale. Il faut encourager la relocalisation des productions essentielles. Il faut prévoir. Contribuons, tous, à la progression de notre système vers la Santé 2030 que nous voulons.
27 octobre 2021
Sources : Ma Santé 2022. Rencontres USPO. ONDAM. PLFSS 2018. Club NILE-PLFSS (17/07/2018). Grenelle de la santé. Rapport Laroque.