« Sortir de l’impasse catalane »
par Hélios Privat
Dans un conflit qui tend à s’enliser chaque jour un peu plus, il est permis de se demander ce qui se cache derrière les multiples appels au dialogue auxquels il est, bien entendu, impossible de ne pas s’associer.
Ne faisons pas preuve d’une naïveté coupable, la volonté de mettre autour d’une table les deux parties en présence, se teinte trop souvent d’arrières pensées pas toujours avouables, à moins qu’elles ne soient tout simplement irresponsables.
Il ne nous est pas permis de nous immiscer dans les affaires intérieures d’un pays, mais il ne nous est pas interdit de penser et encore moins de réfléchir.
On est en droit de se demander quel est l’objectif de nombreux médias français, tout comme celui de certains des universitaires interviewés, présentés comme des spécialistes de l’Espagne, qui semblent vouloir mettre sur un pied d’égalité le Gouvernement espagnol et le Gouvernement catalan.
Est-il possible de comparer l’attitude de Mariano RAJOY qui, en tant que chef du Gouvernement espagnol est garant de l’état de droit et donc chargé du maintien de l’ordre, avec celle de Carles PUIGDEMONT qui depuis plusieurs mois ne cesse d’appeler les catalans à la rébellion ?
Il n’est nullement question de cautionner l’attitude des forces de police lors du référendum fut-il illégal du 1er Octobre dernier, tout comme on ne peut nier la mauvaise gestion d’une crise qui couve depuis plusieurs années. Mais on est en droit de penser que dans la vie en général, et dans la vie politique en particulier, tout ne se vaut pas. Le dialogue est sans nul doute la seule solution raisonnable pour tenter de mettre fin à une situation qui met en péril la survie économique de la Catalogne, l’unité de l’Espagne et l’existence de l’Europe en voie de reconstruction.
Oui, sans réserve, à l’ouverture de négociations, mais pour quoi faire ?
A ce stade de la réflexion il n’est pas inutile de rappeler les faits.
L’Espagne est multiple et depuis des siècles la Catalogne a toujours eu la volonté d’être considérée comme une région différente des autres. Chaque fois que le pays a été confronté à des difficultés, les catalans en ont profité pour chercher à se marginaliser et revendiquer une place à part dans la péninsule ibérique. La situation actuelle se situe dans la continuité d’un passé toujours à la recherche d’une différenciation, d’un particularisme ou pire d’une indépendance totale vis à vis de l’Etat espagnol.
Les tensions politiques actuelles prennent leur source dans deux évènements récents et controversés :
- tout d’abord, dans la crise économique de ces dix dernières années qui a très sévèrement touché l’ensemble du pays. Celle-ci a conduit les gouvernements de droite comme de gauche à prendre des mesures contraignantes, sans pour autant empêcher ni la récession, ni un important taux de chômage.
- ensuite, en raison du rejet par le Tribunal Constitutionnel, de plusieurs articles du statut concocté en 2012 par le gouvernement socialiste de Zapatero, approuvé par le Parlement catalan. Ce recours introduit par le Parti Populaire, a considérablement envenimé les relations entre le Gouvernement espagnol actuel issu des dernières élections nationales, et la coalition majoritaire au Parlement catalan.
Par la suite, la rudesse des mesures économiques prises à la demande de l’Union Européenne par ce gouvernement classé à droite, a accru son impopularité. En décembre 2014 comme en juin 2016, bien qu’il ait gagné les élections, le Parti Populaire n’a pas obtenu la majorité indispensable pour avoir les mains libres. Cette instabilité politique qui a duré plus de dix huit mois, n’a pas permis au chef du gouvernement Mariano RAJOY, de consolider son autorité déjà entachée par la corruption indécente de plusieurs membres influents de son parti.
Dans le même temps, des élections régionales en Catalogne ont été convoquées en 2015 par Artur MAS, alors Président du Parlement de Catalogne et chef du parti Convergence et Union Démocratique Catalane. Dans sa volonté d’obtenir une amélioration du statut fiscal de sa région, il avait alors fait de la surenchère vis à vis du Gouvernement espagnol en profitant de l’état de fragilité de ce dernier. Face au refus de Mariano RAJOY il avait alors brandi la menace de l’indépendance.
Contre toute attente, ces élections se sont révélées partiellement défavorables aux partis traditionnellement majoritaires dans cette « Communauté Autonome ». Pour préserver leur habituelle majorité et pour conserver le pouvoir, ils ont choisi de s’allier aux partis d’extrême gauche, anticapitalistes et indépendantistes. Devenus otages de cette alliance contre-nature ils ont dû adopter des positions on ne peut plus intransigeantes.
Depuis, de manifestations populaires en appels à la révolte, d’invectives en insultes, les indépendantistes ont cristallisé au près de la population catalane l’opposition et le rejet à l’égard de ce qu’ils nomment « Madrid ». Les positions de part et d’autre se sont progressivement durcies alimentées par l’attitude de l’actuel Président du Parlement Catalan, Carles PUIGDEMONT, particulièrement intraitable sur la tenue d’un référendum d’autodétermination, pourtant déclaré illégal parce que contraire à la Constitution espagnole (rappelons qu’elle a été adoptée en 1978 par une majorité d’espagnols et de catalans).
Il n’a cessé de multiplier les provocations à l’égard des institutions tout en cherchant à diaboliser ses adversaires politiques implicitement qualifiés de fascistes ou œuvrant dans la continuité de l’époque franquiste. Contrairement à ce que certains prétendent, il a écarté tout débat public, et a refusé de donner suite à une proposition de Mariano RAJOY l’invitant à venir expliquer sa position devant le Congrès.
La condition sine qua non qu’il exigeait pour reprendre un dialogue, était liée à un accord avec le Gouvernement espagnol autorisant « un référendum d’autodétermination réservé aux seuls catalans ».
C’est dans cette conjoncture que s’est finalement tenu le simulacre de consultation populaire du 1er Octobre dernier dont le caractère subversif ne peut échapper à aucun observateur averti.
Il est difficile de s’associer à tous ceux qui prétendent que ce référendum aurait dû être autorisé : pour ce faire, on aurait dû préalablement passer par une révision de la Constitution qui, dans son article 2, précise bien l’indissolubilité et l’unité de la Nation espagnole. C’est donc faire preuve d’un cynisme déconcertant de prétendre que le Gouvernement espagnol aurait dû, ou pu, permettre cette consultation populaire. Aucun gouvernement ne peut donner son aval à un acte contraire à la Constitution, et susceptible de troubler l’ordre public. Ceux qui reprochent au Gouvernement son manque de souplesse sur ce point, sont inconscients ou font semblant d’ignorer les conséquences qu’aurait pu avoir une telle autorisation.
En revanche, on peut considérer que les agissements de la police espagnole pour s’opposer à la tenue de ce vote, ont été probablement disproportionnés et contre-productifs. Le recours à la force publique était d’autant plus inutile que déclarer ce référendum illégal suffisait à l’invalider.
Cependant on ne peut renvoyer dos à dos Carlos PUIGDEMONT et Mariano RAJOY. Mettre sur un pied d’égalité un Président de Région séditieux et le Chef du Gouvernement de l’Espagne garant de la Loi, me paraît peu raisonnable.
Des discussions pour arriver à un éventuel accord eussent été possibles avant que les responsables catalans ne décident de ne plus respecter l’Etat de Droit. Aujourd’hui, retrouver le chemin d’un indispensable dialogue face à deux positions qui semblent inconciliables est devenu pratiquement impossible.
Il faut bien comprendre que PUIGDEMONT ne veut négocier rien d’autre que les conditions d’accès à l’indépendance, alors que RAJOY accepte de discuter de tout, sauf de l’indépendance de la Catalogne.
Dans ce contexte, une médiation internationale paraît improbable tant est complexe le litige actuel confronté à la situation historique de l’unité de l’Espagne. Quant à celle semble t-il envisagée, de l’église catholique, elle semble aussi dangereuse que malvenue.
De part et d’autre, il faudra faire preuve de beaucoup de prudence dans les jugements que nous sommes amenés à porter et éviter de faire des propositions qui risquent de réouvrir des blessures anciennes. Mais cette prudence ne peut en aucun cas permettre à ce qui ressemble chaque jour un peu plus à un coup d’état, de détruire la récente démocratie espagnole. Il est indispensable de crier haut et fort qu’aucun homme, fut-il plébiscité par la rue, ne peut être au- dessus des Lois.
Des solutions pour sortir de la crise sont possibles, mais en l’état actuel des positions des parties en présence, elles sont probablement peu opérationnelles :
- accorder plus d’autonomie à la Catalogne paraît compliqué tant est déjà très large celle dont elle bénéficie aujourd’hui. Elle abuse souvent de la reconnaissance par la Constitution des langues régionales : le catalan supplante peu à peu le « castillan » dans tous les actes de la vie publique. En outre, elle dispose maintenant par extension, de compétences élargies dans le domaine éducatif, ce qui lui a permis de définir les programmes d’enseignement et d’instaurer le catalan comme 1ère langue (les parents qui souhaitent que leur enfant ait un enseignement en castillan doivent l’inscrire dans le privé). De plus, elle dispose déjà dans de nombreux domaines, de pouvoirs habituellement régaliens comme la police, la justice ou la santé. Seuls en sont explicitement exclus ceux qui relèvent de la défense nationale, des relations internationales et du recouvrement de l’impôt.
- revoir les principes liés à l’actuelle fiscalité paraît épineux. Revenir sur une redistribution équitable des richesses par l’impôt, ne favorisera pas la justice sociale compte tenu de l’important déséquilibre existant entre Communautés Autonomes. De plus, la Catalogne est la région la plus riche, mais c’est aussi la plus endettée : lui confier plus de responsabilités dans ce domaine c’est faire un pari risqué, alors que seule l’Espagne peut garantir d’éventuels emprunts pour les différentes Communautés.
- renégocier la participation financière de la Catalogne au budget de la Nation c’est accentuer l’inégalité entre les Régions. On touche tout particulièrement, à l’une des faiblesses de l’actuelle Constitution qui autorise déjà une négociation personnalisée pour chaque Communauté Autonome qui compose le pays. Ces disparités consenties par la Loi, créent des inégalités de fait, pas toujours bien acceptées par les Régions qui n’en bénéficient pas. Les accroitre à l’intérieur d’un budget national par essence contraint, aggraverait des déséquilibres qui pourraient conduire à des surenchères peu compatibles avec la notion de solidarité entre les Régions.
- donner dans les décisions que prend l’Etat espagnol plus d’importance aux deux Communautés Autonomes qui se reconnaissent elles mêmes comme des Nations (Catalogne et Pays Basque), c’est courir le risque de soulever de très vives réactions de la part des autres Régions. Aussi, la proposition du Parti Socialiste espagnol, qui invite à reconnaître l’Espagne comme une fédération de Nations peut sembler à priori séduisante, mais outre que la reconnaissance des nationalités est déjà inscrite dans la Constitution (art.2), il conviendrait de définir plus précisément les pouvoirs qu’il souhaite leur attribuer.
Comme on peut le voir, ces différentes possibilités supposent des changements en profondeur des Institutions espagnoles. Tout ceci exigera un consensus minimal de l’ensemble des Régions qui composent l’Espagne et dans de nombreux cas une modification de la Constitution. C’est pour cette raison, qu’une issue possible serait de réunir les représentants de toutes les Communautés Autonomes et des principaux partis politiques pour qu’ils arrivent entre eux à un accord. Ce dernier serait ensuite soumis à l’approbation des deux Chambres, puis exécuté et mis en œuvre par le Gouvernement.
Malheureusement, on peut craindre que les esprits des uns et des autres ne soient pas prêts à dépasser tous les clivages pour arriver à un compromis acceptable. Si lundi 16 octobre 2017, les indépendantistes ne renoncent pas à leur folle entreprise, il ne restera plus à Mariano RAJOY qu’une option : appliquer l’article 155 de la Constitution qui priverait la Catalogne de tout ou partie de son autonomie. Mais cette décision n’est pas sans aléas, et pourrait engendrer des réactions vives de la part de la population catalane la plus indépendantiste.
Dans le meilleur des cas, la dissolution du Parlement Catalan et la convocation rapide de nouvelles élections régionales, seraient la suite logique de cette décision et un possible élément d’apaisement. Ces élections pourraient déboucher sur la constitution d’une nouvelle coalition majoritaire raisonnable, susceptible d’ouvrir la voie à un dialogue plus constructif.
Mais nous n’en sommes pas là, et tout laisse à penser qu’en l’état actuel du conflit une grande prudence s’impose. Cette crise grave tient à des problèmes certes factuels, mais elle prend sa source dans les origines et la construction de ce pays, dans son histoire comme dans sa culture. Evitons de jouer aux apprentis sorciers, abstenons nous de jugement hâtifs, simplistes ou pire idéologiques. Il est probable que toute solution passe par un large consensus entre toutes les composantes du pays, faute de quoi les mêmes dissidences ne manqueront pas à terme de resurgir.
L’idéal européen s’est construit autour de l’union des peuples, de leur mutuelle solidarité, d’une profonde volonté de vivre ensemble et de partager in fine un destin. Pendant trop longtemps les grandes Nations se sont tues. Pendant trop longtemps elles n’ont pas voulu voir ce qui se tramait de l’autre côté des Pyrénées. Pendant trop longtemps elles ont détourné le regard. Aujourd’hui, si nous souhaitons apporter notre modeste pierre pour tenter de résoudre ce conflit, ne blâmons ni l’Espagne, ni la Catalogne, aidons les à retisser des liens par tous les moyens, aidons les à bâtir leur unité.
Hélios PRIVAT
15 Octobre 2017