CONTRIBUTION AU GRAND DEBAT NATIONAL “La Clé et le Réverbère”
Tribune par François-Marie Lavoitre
Les échanges sur le pouvoir d’achat, dans le cadre du grand débat en cours, rappellent parfois l’histoire de l’ivrogne qui, ayant perdu sa clé, la cherche sous le réverbère- non parce qu’elle s’y trouve, mais parce que c’est là qu’il y a de la lumière.
Sur ce thème du pouvoir d’achat en effet, deux éléments sont dans la lumière :
Le premier est la fiscalité : quels impôts pourrait-on baisser, ou ceux de quelles catégories de contribuables, pour augmenter le pouvoir d’achat de tous ou de certains? Faut-il augmenter les impôts des plus riches?
Et le second, qui découle du premier, est la dépense publique : dans un contexte déjà contraint par la dette, et a fortiori si l’on devait baisser les impôts, quelles dépenses peut-on diminuer?
Mais d’autres éléments ne sont pas ou peu mentionnés, alors que leur prise en compte améliorerait à la fois le diagnostic et le traitement.
Ce qui n’est pas dans la lumière, c’est d’abord la richesse que nous pourrions produire et que pourtant nous ne produisons pas.
Précisons de quoi l’on parle: la richesse produite se mesure (faute de mieux) par le PIB, qui a deux composantes : le PIB marchand et le PIB non marchand. Cette distinction est importante dans le débat qui nous occupe car, sans occulter l’importance des services publics, c’est de facto une demande d’accès à un PIB marchand supplémentaire- ce qui se met dans le caddie, pour imager- qu’expriment en priorité nos concitoyens.
Rêvons un instant: ne serait-il pas plus facile de traiter la plupart des sujets évoqués aujourd’hui :
- Si, tout en maintenant le PIB non marchand à son niveau actuel ( soit 10500€ annuels par habitant), nous disposions d’un PIB marchand de 29400€ par habitant au lieu de 23500 € actuellement, avec un PIB total supérieur de 380Md€ à son niveau actuel (2291Md€ en 2017)?
- Si notre commerce extérieur était au moins équilibré, au lieu d’être en déficit de plus de 60Md€?
- Si nous comptions 1,3 millions de chômeurs au lieu de 2,8?
- Et si, grâce à ce surcroît d’activité, nous pouvions assurer le même niveau de dépenses publiques avec un budget équilibré?
Ce rêve totalement irréaliste en apparence devient pourtant une réalité si l’on franchit le Rhin. Et cette réalité aurait pu être la nôtre si, partant de situations relativement proches jusqu’en 1990 et même 2000, nous avions suivi ensuite la même trajectoire que nos voisins allemands :
- en 2000, le PIB allemand par habitant était supérieur de 2,8% à celui du PIB français, dont 8,3% au titre du PIB marchand;
- en 2017, les écarts sont respectivement de 16,6% et 24,9%.
Mais nous ne l’avons pas fait, sans trop nous préoccuper du fait que nous perdions « juste » un point de performance par an depuis 2000, non pas parce que nous n’en étions pas capables mais parce que nous n’avons jamais porté d’intérêt collectif réel à notre compétitivité. Quand nous enregistrons des déficits massifs et récurrents de notre commerce extérieur- alors que non seulement l’Allemagne, mais aussi l’Espagne et l’Italie, sont en excédent- nous en parlons à peine, et avec le même degré de fatalisme résigné que lorsque se produit une tempête de neige ou une inondation.
Quel parti politique, normalement soucieux de l’intérêt national, a explicitement mis en avant le terme- certes rébarbatif- de compétitivité ? Même les plus pro business (ou les moins anti business) n’en parlent qu’en passant, sans en expliciter les enjeux- de peur peut être de paraître trop proches des patrons?
Ce qui n’est pas non plus dans la lumière, c’est l’inégalité de la précarité des situations,et aussi égales soient-elles en dignité, entre les trois composantes de la population active :
. les 8 millions d’actifs qui contribuent au PIB non marchand, donc financés par l’impôt et qui bénéficient pour la plupart d’un revenu à vie sinon élevé, du moins garanti,
. les 12 millions d’actifs qui contribuent au PIB marchand sur le seul marché national,
. et les quelque 7 millions d’actifs du secteur exposé à la concurrence internationale.
Ce secteur exposé constitue le front de la guerre économique que se livrent les nations ; il devrait donc être soutenu autant que possible par les deux autres secteurs, qui ont partie liée à ses succès comme à ses échecs. Lorsque l’usine ferme, des commerces suivent, et parfois aussi des services publics. Les cols bleus et autres membres du secteur exposé sont à la guerre économique actuelle ce qu’étaient les poilus en 1914; on aimerait se persuader qu’ils bénéficient du même soutien de l’arrière.
Ce n’est hélas pas le cas.
Les facteurs de compétitivité sont multiples : fiscalité, droit du travail, qualité des infrastructures, adéquation de l’appareil de formation aux besoins des entreprises… Sur ces différents plans on ne pourrait que souhaiter que nos entreprises puissent au moins lutter à armes égales avec leurs concurrents étrangers. Mais tout se passe trop souvent comme si nous préférions rajouter des cailloux dans le paquetage de nos troupes, quitte à déplorer ensuite de les voir rarement victorieuses. Les impôts de production des entreprises françaises, supérieurs de plus de 70 milliards d’euros à ceux de leurs homologues allemandes, ou dans le passé les 35 heures, qui ont fait couler beaucoup d’encre en France et de champagne outre Rhin, font partie de ces (gros) cailloux.
Beaucoup de mesures techniques dans divers domaines ont été imaginées pour améliorer notre compétitivité. Mais l’enjeu est culturel avant d’être technique : profitons de ce grand débat pour mettre notre compétitivité et le sort de notre secteur exposé sous la lumière du réverbère.
Francois-Marie Lavoitre
Sources: Statistiques OCDE (PIB), COE-Rexecode 5impôts de production), Fabrique de l’Industrie (population active), calculs de l’auteur (PIB)