« Compte-rendu de la conférence autour d’Olivia Grégoire :
quelle ambition française pour une économie internationale responsable ? »
organisée par la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale le 2 septembre 2021
par Jade Serra
A l’invitation de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, France Audacieuse a participé, en tant qu’expert, à l’intervention de Madame Olivia Grégoire, Secrétaire d’Etat chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, le 2 septembre 2021, sur ce thème « Quelle ambition française pour une économie internationale responsable ? » l’occasion également pour Alexia Germont, Présidente fondatrice de France Audacieuse, de souligner les points d’attention et porter des questionnements.
Les participants à la conférence sont accueillis par Olivier Mousson, Président de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, association fondée en 1801 par Bonaparte dans le but de relancer l’économie française. Elle a été reconnue d’utilité publique en 1824.
Ouverture de la conférence
Patrick d’Humières, Président fondateur d’Eco-Learn.fr, introduit le débat en présentant Olivia Grégoire, comme la première femme membre d’un gouvernement de la République chargée de l’économie responsable. Il rappelle son implication dans la loi PACTE qui pose la première définition d’une entreprise éco-responsable devant répondre aux enjeux environnementaux et sociaux. Patrick d’Humières souligne également que les thèmes d’actualité constituent autant de questions comme « comment concilier développement durable et attractivité ? »… mais aussi « Comment une entreprise garde-t-elle toute sa compétitivité tout en répondant aux nouvelles exigences environnementales ? ». Patrick d’Humières indique qu’à son avis le dialogue entre « ONG, société civile et business » ne fonctionne pas réellement en France, ce que l’OCDE avait soulevé peu de temps auparavant. Il affirme également que ce nouveau principe d’économie responsable n’est ni compris ni partagé, d’où la nécessité d’arriver à faire la jonction entre la politique publique et les agendas des entreprises. Puis il conclut par cette question posée à Madame Grégoire et son cabinet : face à cette « fatigue de la mondialisation » quelles sont les clés de l’action politique en cours qui permettraient de passer d’une RSE ayant montré ses limites à une économie collective responsable qui s’associe pro-activement à la régulation globale (l’Etat, la société civile) en vue de concilier les capacités de l’économie de marché aux exigences environnementales à l’aune de la Présidence française de l’union européenne et des rendez-vous G7 / G20 ?
Olivia Grégoire articule son raisonnement autour de deux axes. Pour cette dernière, la promotion d’un capitalisme plus responsable repose sur « deux jambes » :
- La révision de la NFRD, aujourd’hui devenue CSRD,
- Le devoir de vigilance.
Une phrase se répète tout au long de la conférence : « la RSE a pris l’ascenseur ». En effet, la RSE se retrouve aujourd’hui dans les développements comptables sous le nom de performance extra-financière. Elle évoque alors ce souhait qui, dans de nombreuses entreprises est déjà à l’ordre du jour, de faire en sorte que l’extra-financier, au sein de la direction stratégique, se retrouve de plus en plus intégré au même stade que le financier.
Elle évoque alors la question de l’articulation posée par Patrick d’Humières entre ONG, entreprise, société civile et État. Sur ce point, son avis diffère de celui de Patrick d’Humières puisqu’elle soutient précisément que cette articulation s’est améliorée. Elle évoque alors la réussite de la récente convention citoyenne1 qui a réussi à faire émerger les souhaits de la société civile afin d’écrire une « loi à ciel ouvert ». Elle soutient toutefois qu’il y a aujourd’hui trop de coalitions à différents niveaux, elle estime que « Trop de coalition tue la coalition » et qu’il faudrait alors les rationaliser pour être plus efficient.
Pour elle, l’économie n’est plus fondée sur la croissance ou la capitalisation mais devient plus verte pour se fonder sur plus de justice et de considération de l’humain : elle cite alors l’article 15 de la loi climat résilience2, parfait exemple d’une économie plus verte puisqu’il rend aujourd’hui obligatoire l’intégration d’un critère environnemental dans les marchés publics.
Toutefois, Madame Grégoire insiste sur la notion de « développement social » : « L’industrie française doit évidemment se dé-carboniser, mais le développement durable a besoin de l’acceptabilité sociale qui est absolument nécessaire à la transition écologique. Quand bien même l’Etat aiderait les industries françaises dans cette transition, si elles sont les seules à porter l‘effort et même les seules à le faire en Europe, nos usines seront aussi vertes que vides ». Pour elle, la France a donc deux piliers dans sa transition écologique : elle se doit de retrouver une compétitivité et une attractivité, indispensable pour son avenir; mais elle doit également préparer ses entreprises au tournant de la régulation extra-financière, qui, pour Olivia Grégoire, « n’est qu’une question de mois et non plus de décennies ».
Pour ce qui est des sanctions pour les entreprises qui ne s’aligneraient pas sur cette transition éco-responsable, la réponse est claire : « le couple qui va de pair est le couple durabilité /rentabilité ». Elle rappelle alors la difficulté, voire la quasi-impossibilité pour la finance de modéliser tous les désordres du dérèglement climatique ou d’ordre social. La finance qualifie cela de cygne vert en parallèle avec le cygne noir : tous ces événements inattendus aux effets considérables, aux impacts humains incommensurables, mais contrairement au cygne noir, ces événements vont ou se sont déjà matérialisés, comme la crise de la COVID 19.
Pour la Ministre, l’économie responsable est donc un chantier européen : les entreprises, quelle que soit leur taille, vont devoir participer à la transformation du capitalisme pour renforcer leur compétitivité et leur attractivité. Toutefois, celle-ci met en garde les entreprises en précisant que : « celles qui n’entendent pas les obligations à venir de la performance extra-financière la découvriront par défaut, puisque les investisseurs sont dans la matrice » : les investisseurs vont ainsi miser sur la performance et non sur l’incertitude, et ne vont pas investir dans des actifs irresponsables. La durabilité et la capacité des entreprises à la démontrer par des données chiffrées va devenir la condition sine qua non pour la rentabilité des entreprises.
Olivia Grégoire évoque alors le manque d’accompagnement de certaines entreprises pourtant nécessaire à la transition vers une économie durable : le 27 mai dernier, le secrétariat d’Etat chargé de l’économie responsable a lancé la plateforme « impact.gouv.fr » dans le but de « savoir-faire et faire savoir ». Aujourd’hui c’est plus de 27 000 entreprises qui ont déjà signé le texte d’entrée, dont plus de la moitié sont des PME. La plateforme « impact » démontre ainsi que la RSE n’est pas qu’une affaire de grand groupe mais aussi PME / ETI. Et ceci a été entendu au niveau européen : le texte venant modifier la NFRD pour la CSRD, étend le champ d’application et couvre maintenant 5 fois plus d’entreprises. C’était une volonté de la France. Actuellement, près de 11 000 entreprises sont dans le champ d’application et demain, ce seront presque 50 000 entreprises qui seront soumises à cette réglementation.
Dans la seconde partie de son exposé, la Ministre évoque alors le devoir de vigilance : quand bien même aujourd’hui il s’applique sur l’intégralité de la chaîne de valeur, la question des seuils reste encore à débattre. Elle s’adresse alors à tous les récalcitrants qui ne comprendraient pas pourquoi l’Etat s’occupe alors de ce devoir de vigilance : « à ceux-là, je veux dire que la réponse est claire : soit l’Etat légifère et essaye d’accompagner les entreprises, dans une obligation de moyens, à contrôler leur chaîne de valeur dans leur intégralité, soit la justice le fera ». Elle pose l’exemple récent de la compagnie Shell, qui fut condamnée aux Pays Bas.
Pour conclure, la Ministre insiste sur la fonction du Secrétariat d’État dont elle a la responsabilité et explique alors que sa raison d’être n’est autre que de le faire disparaître, puisqu’il n’y aura, à terme, plus besoin de promouvoir l’économie responsable. Pour répondre à la question : comment peut-on passer d’une économie fondée sur la croissance et le capital à une économie fondée sur la vertu et l’humain tout en préservant la compétitivité ? Elle répond par ces mots : « il faut s’appuyer sur la croissance mais également sur le capital tout en faisant confiance à l’humain : la transparence vis à vis du grand public, de toutes les parties prenantes avec des actes, des données chiffrées et des preuves ».
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Puis la parole circule dans la salle auprès des quatre experts invités à débattre avec Olivia Grégoire par la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale : Pierre-François Thaler, co-fondateur d’ÉcoVadis, Anne-Catherine Husson-Traoré, Directrice générale de Novethic, Alexia Germont, avocate et Présidente fondatrice de France Audacieuse et Audrey de Garidel, cofondatrice de So Impact et déléguée générale de « M21 manager responsable », prennent tour à tour la parole.
Pierre-François Thaler, Président co-fondateur d’ÉcoVadis évoque tout d’abord la notion d’achats responsables, qu’il estime indispensable dans la transition écologique des entreprises. Il souligne également l’opportunité incroyable qu’ont les PME françaises au travers des sujets de RSE notamment en matière d’achats responsables : une étude d’Écovadis montre alors que ces dernières sont beaucoup mieux notées en matière de RSE que leurs homologues des pays émergents ou de l’OCDE. Il interpelle ensuite la Ministre au sujet du devoir de vigilance dont il estime qu’il est aujourd’hui perçu par de nombreux intervenants comme un risque, demandant au cabinet de la Ministre une esquisse d’un calendrier en vue d’améliorer la vision qu’ont les entreprises au sujet du devoir de vigilance afin qu’il soit désormais perçu comme un atout. « il ne faut surtout pas que nous apparaissions comme des donneurs de leçon » répond la Ministre. Cette dernière évoque alors un accompagnement de la part des Etats européens qui proposeront aux entreprises un texte en droit pour que ces dernières se dotent d’outils permettant de contrôler l’ensemble de leur chaîne de valeur. Il s’agit là d’obligations, non pas de résultats mais de moyens. Elle souligne alors la différence entre « le poids de la contrainte que pourrait représenter le devoir de vigilance versus le risque juridique et même judiciaire ». Toutefois, la Ministre insiste « gardons-nous d’aller trop vite » pour éviter un blocage.
Anne-Catherine Husson-Traoré, Directrice générale de Novethic, prend ensuite la parole et fait remarquer que six ans après l’accord de Paris, le secteur financier n’a finalement pas le pouvoir qu’on lui prêtait, qui était celui de se dire qu’avec le poids économique qui est le sien, il aurait pu transformer l’ensemble des secteurs. Elle interroge alors la Ministre pour comprendre comment le cabinet travaille à faire comprendre le lien entre les données ESG, la transformation qu’il peut y avoir et la façon dont elle est délivrée en particulier en termes d’indicateurs d’impact. Pour ce faire, la Ministre mise sur la comparaison et l’uniformisation des des données ESG : « il y aura un standard asiatique, européen et américain : le but est de pouvoir faire parler les standards entre eux ». Toutefois, la Ministre met en garde : la publication des données, notamment celles sur « impact.gouv.fr » ne permet pas forcement d’avoir la trajectoire d’impact et de progrès de l’entreprise.
Pour sa part, Alexia Germont la publication par France Audacieuse dans les semaines à venir de fiches pédagogiques sur de nombreux sujets, dont la RSE. Elle précise que le sujet étant complexe, il est certes maîtrisé par les initiés, mais qu’il est nécessaire de le faire rayonner le plus largement. Ainsi, chacun à son niveau, les cercles de réflexion y compris, doivent participer à décoder les acronymes utilisés, les concepts maniés et les prochaines étapes impactant les entreprises. Elle rappelle que le droit est aussi le vecteur de l’action de transition vers une économie responsable. Elle souligne qu’il est fondamental que les entreprises puissent conserver leur capacité de financement que le mouvement de transition vers une économie responsable ne doit pas entraver. Enfin, elle souhaite obtenir des précisions sur l’évolution à venir de la plateforme « impact.gouv.fr ». À ce titre, outre les onglets à disposition des entreprises « je publie mes indicateurs » et « je propose mes indicateurs », le gouvernement envisage-t-il de mettre en place un onglet « je capitalise sur la publication de mes indicateurs » et un autre signalant des initiatives ou propositions utiles pour dégager un consensus. Le cabinet de la Ministre répond à cette interrogation que les données chiffrées n’étant pas auditées, elles ne peuvent donner lieu à un avantage du fait de leur publication sur « impact.gouv.fr ».
Enfin, Audrey de Garidel, cofondatrice de So Impact et déléguée générale de « M21 manager responsable », prend à son tour la parole. Elle annonce la publication prochaine d’un rapport sur ces thématiques.
Pour conclure, la conférence organisée par la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale était une occasion riche d’enseignements car donnant l’opportunité d’entendre Olivia Grégoire mettre en perspective l’action qu’elle porte au sein du gouvernement. Le témoignage des experts a également permis de creuser certains points techniques.
(1) Cette analyse, soulignons-le, n’est pas forcément partagée par tous.
(2) Loi n°2021-1104 portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets. Promulguée le 22 aout 2021.
Replay de la conférence : https://lnkd.in/ghAzgA3P
Jade Serra
Chargée de mission
France Audacieuse.
7 septembre 2021.