« Ecologie ou éco-sensibilité?»par Docteur Jacques Hassin
Dans un de ses derniers livres intitulé « La Voie »[1], dans le chapitre intitulé « La voie écologique », Edgar Morin dans ses propositions d’une politique de civilisation parle de l’avènement d’une conscience « écologiste ». L’écologie est la première science qui ressuscite la relation entre les humains et la nature (j’insiste sur le terme de science). Elle met en évidence notre relation de vie et de mort avec la biosphère. Elle nous oblige à repenser notre planète, à y lier notre destin et, finalement à nous repenser nous-mêmes.
Sur ces objectifs à atteindre pour préserver l’existence des Homo sapiens que nous sommes, on ne peut qu’être tous d’accord. Il devrait y avoir un consensus et en la matière, l’Accord de Paris fixe un certain nombre d’objectifs par exemple sur le réchauffement climatique. En revanche, sur les moyens d’y parvenir les stratégies divergent notablement. Aussi, lorsqu’Edgar Morin se définit non pas comme un écologiste mais comme un éco sensible, est-ce une coquetterie de langage ou une réelle différence de fond ?
Sur l’écologie
Le terme est aussi connu sous les noms de bio-écologie, bionomie ou science environnementale. C’est la science qui étudie les êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) dans leur milieu et les interactions entre eux. L’écologie humaine est définie comme étant le rapport triangulaire entre les individus d’une espèce, l’activité organisée de cette espèce et l’environnement de cette activité.
L’environnement est à la fois le produit et la condition de cette activité et donc de la survie de l’espèce. L’écologie politique est un ensemble de courants, largement diffusé dans les années 1970, qui insiste sur la prise en compte des enjeux écologiques dans l’action politique et dans l’organisation sociale. Cette force politique ne pèse quasiment plus rien dans les élections et on peut se demander si cette écologie politique ne va bientôt pas disparaitre ou tout le moins démontrer le peu d’intérêt qu’elle suscite chez nos concitoyens. Il ne s’agit pas d’approfondir cette question mais d’avancer quelques commentaires. L’écologie est souvent perçue comme dogmatique, normative et apocalyptique concernant la fin de l’humanité.
Dans notre immédiateté, nous faisons fi de l’histoire depuis 290 millions d’années avec les premiers vertébrés bipèdes. Toutes les espèces ont dû s’adapter aux modifications environnementales (climat, température, alimentation). Celles qui n’ont pas pu ont disparu. C’est parce qu’ils l’ont fait que nous sommes la seule espèce d’hominés ayant survécu. La question est donc : Serons-nous capable de nous adapter non seulement aux modifications environnementales mais aussi aux modifications profondes du lien social en pleine mutation ?
Le chamane des chasseurs-cueilleurs invoquait les esprits animaux pour leur demander de leur pardonner d’être obligés de prélever quelques animaux pour se nourrir. Les tribus d’Amérindiens brésiliens encore existantes, mais de moins en moins nombreuses, sont encore en harmonie avec la nature pour se nourir et se soigner. Bien sûr on ne fera pas de retour vers le passé, mais on peut essayer de trouver chez ces «sauvages chasseurs-cueilleurs» quelques pistes de réflexion. A condition de le faire pendant qu’il est temps.
Pour moi, cette écologie répressive est basée sur un sophisme (argumentation à la logique fallacieuse. C’est un raisonnement qui cherche à paraître rigoureux mais qui n’est en réalité pas valide). Cela a des effets contre-productifs. Considérer que plus on empêche les automobilistes de circuler moins ils prendront leur voiture ne se vérifie pas à ce jour.
On n’a jamais réussi à étouffer et à embrigader un corps social sur le long terme pour changer le comportement de chacun. La pensée unique politiquement correcte ne saurait exister dans nos démocraties. Réduire les grands axes de circulation à une seule voie au bénéfice des vélos et des transports en commun, avec l’objectif d’empêcher les banlieusards de prendre leur voiture ne sera pas atteint et de plus il est possible que tous les embouteillages augmentent la pollution de Paris.
Passe pour la fermeture mensuelle des Champs Elysées si cela peut faire plaisir mais fermer totalement Paris à la circulation un dimanche par mois ne convaincra pas les personnes d’abandonner leur voiture. Par contre, différentes villes tout aussi sensibles à l’écologie ont su trouver des réponses intelligentes. Des parkings gratuits à l’entrée de la ville, au terminus du tramway et tout un centre-ville piétonnisé il n’y a alors aucun intérêt à prendre sa voiture. D’ailleurs les habitants en dehors de la ville ne le prennent pas. Par contre à l’entrée un très grand centre commercial avec un grand parking permet de faire ses courses et même de sortir côté centre-ville pour accéder aux petits commerçants.
Sur l’éco-sensibilité
La démarche est tout à fait différente. Il s’agit de sensibiliser un maximum de citoyens d’abord avec des gestes simples (tri des déchets, usage contrôlé de l’eau, ne pas jeter de déchets dans la nature, etc.), de convaincre les agriculteurs de cultiver bio sans pesticides cancérigènes et perturbateurs endocriniens. Convaincre nos concitoyens par l’exemple de bénévoles qui chaque été vont curer les ports, ramasser les déchets sur les plages et surtout traquer les sacs plastiques tellement meurtrier sur certaines espèces marines. C’est par l’exemple et la persuasion que l’on modifiera les comportements de chacun.
Médecin clinicien responsable d’un centre où l’on accueille 247 personnes SDF par jour, je peux témoigner de l’impact sur la santé de personnes vivant constamment dans les rues parisiennes. Le froid, la canicule et surtout les pollutions associées au retard d’accès aux soins est un facteur de mortalité précoce. Bien sûr à ce jour sur un plan méthodologique cela reste encore impossible à objectiver car les causes sont multifactorielles. Mais l’impact de l’environnement sur la santé est de plus en plus étudié sur le plan scientifique. D’ailleurs certains chercheurs tentent de faire ajouter un terme à la définition de l’OMS de 1946 [2] non modifié depuis : « La santé est un état de bien-être complet, physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie et d’infirmité ». Nous souhaiterions y ajouter le terme environnemental après celui de social [3].
Alors faut-il rejeter le Politique dans cette affaire et le remplacer par des bénévoles ? Certainement pas. le Politique est le garant du lien social, co-responsable de notre sécurité et de notre environnement. Au contraire, il doit favoriser le changement de comportement de nos concitoyens en prenant des initiatives aidant l’éco-sensibilité à se développer. Il doit protéger les citoyens en votant des lois en France et en Europe, en dehors de lobbies, des lois basées sur des connaissances scientifiques établies.
Alors je considère que le terme éco-sensibilité n’est pas une coquetterie de langage mais un chemin plus opératoire et largement pertinent pour arriver à changer nos comportements. Il n’est peut-être pas utopique d’imaginer qu’un grand nombre de citoyens du monde pourraient devenir « écosensibles ». Je suis et reste un optimiste car pour citer à nouveau Edgar Morin : « La cécité est de l’individu et la clairvoyance est de l’espèce ».
Jacques Hassin
1er octobre 2017
[1] – Morin E. : La voie : Pour l’avenir de l’humanité, éditions Fayard (2011), 306 pages.
Voir les pages 80 à 93
[2] – Cette définition est inscrite au préambule de 1946 à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette définition n’a pas été modifiée depuis 1946. Préambule adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États.
[3] – Charlier P, Coppens Y, Malaurie J, Brun L, Kepanga M, Hoang-Opermann V, Correa Calfin JA, Nuku G, Ushiga M, Schor XE, Deo S, Hassin J, Hervé C. : A new definition of health? An open letter of autochthonous peoples and medical anthropologists to the WHO, Eur. J. Intern. Med. (2017 Jan);37:33-37. Epub 2016 Jul 7.