“ETATS-UNIS : LA TENSION MONTE
AVANT LES ELECTIONS”
par Ariane Sauvage
depuis Los Angeles
Des colis piégés envoyés à diverses personnalités démocrates, une sauvage attaque contre une synagogue de Pittsburgh, Pennsylvanie, vendredi dernier…Clairement, aux États-Unis la dernière ligne droite avant les midterm elections qui ont lieu mardi prochain, le 6 novembre, est tout sauf paisible.
Pourtant la violence semble surgir sans prévenir aux Etats-Unis car quand on se promène dans Washington, par exemple, il est impossible de déceler aucune agressivité sous-jacente, ni même beaucoup d’excitation en vue des élections. La ville reflète l’activité habituelle des young professionals allant au bureau, des bus jaunes scolaires faisant leur tournée, des dames athlétiques en route vers leur cours de yoga, tapis en bandoulière. Pas d’orateurs ni de manifestations bruyantes au coin des rues. Même décor en Charlottesville, en Virginie, qui fut pourtant le théâtre d’affrontements violents avec l’extrême droite il y a à peu près un an. On aurait pu s’attendre à plus d’ébullition sur les terres d’un des plus célèbres Père Fondateur, Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’Indépendance de la toute jeune République américaine. Mais même le Cavalier Daily, journal de l’Université de Virginie -université entièrement conçue par Jefferson lui-même- attend la dernière page pour publier un interview d’Olivia Wilde, actrice de série télévisée, venue de Californie pour soutenir…sa mère, une journaliste réputée qui brigue le siège du 5ème district de Virginie pour les Démocrates.
En revanche, à Washington, à Bethesda -banlieue proche-, à Charlottesville ou encore à Los Angeles fleurissent partout les écriteaux multicolores appelant à voter pour une multitude de postes divers.
Rappelons en effet que les midterm elections, se tiennent à mi-course des quatre années de mandat du Président en exercice, et sont généralement perçues comme une sorte de référendum sur son action. Elles sont organisées pour renouveler la Chambre des représentants (435 membres), un tiers du Sénat (qui compte 100 membres-2 par État) ainsi que les gouverneurs de certains États. Sont aussi en lice divers postes de représentation publique, dans les mairies ou les comtés, ainsi que des propositions locales. Cette année, ce sont 35 sièges de sénateurs qui sont à pourvoir, dont 26 sont aux Démocrates et 9 aux Républicains. Il faudrait donc que les Démocrates regagnent tous leurs sièges, puis en emportent deux supplémentaires pour obtenir la majorité. Et 26 pour dominer la Chambre des Représentants. Enfin, sur cinquante États, 34 doivent se choisir un nouveau Gouverneur, dont la Floride et le Texas, deux poids lourds traditionnellement républicains.
Le parti qui contrôle le Sénat a du pouvoir sur les nominations proposées par l’exécutif, celui qui contrôle la Chambre des Représentants peut faire ouvrir des enquêtes sur de fâcheuses questions, comme par exemple la déclaration d’impôts de Donald Trump, qu’il a toujours refusé de rendre publique.
Aussi, même si l’excitation n’est pas visible, elle est quand même là, en version sérieuse. Car les enjeux sont parfaitement clairs pour tout le monde. Ce n’est pas un hasard si le Président lui-même aura assuré trente meetings politiques dans les cinq dernières semaines, bien plus que George W. Bush et Barack Obama en leur temps.
Alors, en ce mois de Novembre 2018, ces élections vont-elles voir arriver la grande vague bleue des Démocrates qu’ils espèrent avec ferveur, comme une revanche sur l’élection tant contestée de Donald Trump en Novembre 2016 ? Pour le moment, à moins d’une semaine avant le vote, les prédictions sont plus qu’incertaines. Chaque camp se bat avec une pugnacité incontestable, à grand renfort de mails des candidats demandant autant d’attention à leur campagne que des fonds pour la mener à bon terme. Les publicités télévisées abondent, à peu près autant que les débats. Mais rien n’est joué. Si l’on prend le Texas par exemple, le Président Trump est venu en personne soutenir le sénateur Ted Cruz, en campagne pour un deuxième mandat, bien que celui-ci ait été son adversaire acharné à la Présidentielle. Car son challenger, Beto O’Rourke, politicien de 46 ans, le talonne sans relâche dans les sondages, n’étant plus qu’à trois points derrière lui.
Ce qui est certain, en revanche, c’est l’appel réitéré et permanent de diverses entités, en plus des célébrités ou des athlètes, pour inciter les citoyens à aller voter. Michelle Obama, par exemple, parcourt le pays depuis Septembre pour diffuser sa campagne Get out and Vote. Les directeurs de différentes sociétés se sont unis dans une campagne intitulée Time to Vote, dans un but similaire : réagir contre l’absentéisme habituel des électeurs, tenus en jour de semaine par leurs obligations professionnelles ou familiales. Fin octobre, trois cents compagnies, comme Dropbox, Gap ou Southwest Airlines avaient rejoint le mouvement, qui n’est d’ailleurs pas le seul à promouvoir en ce moment l’importance de la responsabilité civique des acteurs économiques. Uber, et son rival Lyft, par exemple, offrent le déplacement gratuit ou avec un sérieux rabais, si on appelle une de leurs voitures pour aller aux centres de vote. D’autres compagnies, comme le fabricant de jeans Levi Strauss, ou des chaînes de restaurant, donnent deux heures de congé payé pour que leurs employés puissent aller voter, alors qu’aucune loi fédérale ne les y oblige. Un argument de poids pour certains et certaines qui parfois jonglent entre deux emplois, surtout dans la restauration, avant de courir chercher leurs enfants à l’école. Enfin, Patagonia, fabricant de vêtements de sport et Nature, axé sur la protection de l’environnement, a décidé purement et simplement de fermer tous ses bureaux, centres de distribution et ses boutiques le 6 Novembre pour que ses employés soient libres. Comme d’autres sociétés impliquées, le site web de la compagnie décline en plus toutes les questions de base : êtes-vous enregistré ? Comment trouver votre bureau de vote, etc…Par ailleurs, dans une ligne nettement plus partisane, Patagonia soutient officiellement depuis la semaine dernière les candidats démocrates du Nevada et du Montana.
Mais la grande inconnue de ces élections reste …les jeunes. Que vont-ils bien décider, ces millenials, motivés par la politique mais dont une enquête récente soulignait qu’ils considèrent souvent une action sur le terrain de plus grande valeur civique qu’un vote? Dans la tranche d’âge des 18-29 ans, seulement 1 sur 5 a voté en 2014… Heureusement, certains se mobilisent beaucoup comme par exemple à Los Angeles Paris Brosnan, 17 ans, fils de l’acteur Pierce Brosnan, tout juste sorti d’un stage au Sénat, qui vient de diffuser sur YouTube une vidéo réalisée avec des amis où il appelle les gens de sa génération à se poser des questions, entre autres sur l’environnement, la vente d’armes, ou encore les droits des femmes, dont ils pourraient déjà se mêler en commençant par aller voter. Un jeune Californien souligne de son côté : « Pour moi les midterm, c’étaient surtout des élections pour les gens âgés. Mais cette année, c’est différent. Le 6 Novembre, j’ai rendez-vous avec ma bande d’amis, on va tous voter et après, on va dans un bar suivre les résultats. »
Ces décisions proviennent toutes du même constat, qu’en 2014, seulement 36% des électeurs inscrits se sont donné la peine d’aller voter, le point le plus bas depuis 1942. Dans une colonne parue en Septembre dans le New York Times, le président de Levi Strauss précise: « Le jour de l’élection présidentielle de 2016, ce sont 40% des inscrits qui sont restés chez eux au lieu d’aller voter, soit 102 millions de voix perdues, plus de voix qu’aucun candidat n’a eues. Alors que le vote est un droit civique qui a été chèrement conquis. Un privilège incroyable qu’aux États-Unis, nous prenons un peu trop facilement pour valeur négligeable. » Voilà, c’est dit. Ne serait-ce pas d’ailleurs une réalité que nous pourrions tous et toutes méditer ? En 1776, Thomas Jefferson avait pourtant une foi plus optimiste de ses concitoyens: « Si la situation politique avançait dans une mauvaise direction à n’importe quel moment, le peuple les rétablira dans le bon sens par l’exercice paisible de ses droits électoraux. »
Pour ce qui est du paisible, c’est raté. Mais les droits électoraux , eux, ont encore toute leur chance.
Ariane Sauvage
2 novembre 2018