Cycle de conférences politiques et diplomatiques
de Grenoble Ecole de Management
“Les Etats Unis dans le monde après l’élection de Trump”
Mercredi 11 janvier 2017
Participants :
Frédéric Charillon, Professeur de science politique à l’Université d’Auvergne ; il enseigne également à Sciences Po Paris, l’ENA, Paris II
Celia Belin, Docteur en science politique, chargée de mission au ministère des affaires étrangères, chercheur associé au Centre Thucydide
Ils ont tous deux codirigé un ouvrage qui vient de paraitre aux éditions CNRS : les États-Unis dans le monde, premier ouvrage d’une collection sur différents pays et leurs rapports au monde.
Frédéric Charillon a d’abord évoqué la spécificité des États-Unis dans leur relation au monde : ils ont la conviction d’être exceptionnels et ils en ont les moyens car ils dominent le monde entier dans tous les domaines, ainsi le budget militaire américain représente 40 % des dépenses militaires mondiales. Les États-Unis sont également exceptionnels à un autre titre : tandis que la plupart des pays traitent leur relation au monde en fonction de « cercles de priorité », ce n’est pas le cas des Etats-Unis. Il y a trois types de cercles, dont l’importance varie selon la puissance du pays considéré :
- Le premier, le plus courant, regroupe les pays voisins : un pays s’intéresse en priorité à ses voisins, par exemple l’Union européenne pour la France.
- Dans le cadre du deuxième type de cercle, les pays s’intéressent aux pays puissants, même lointains, par exemple les États-Unis et la Chine, pour la France.
- Enfin, dans le troisième type de cercle, il s’agit de gérer des relations avec une série de pays en fonction de liens particuliers historiques, par exemple ceux que la France entretient avec certains pays d’Afrique.
Pour les États-Unis, le cercle de priorité c’est le monde entier. C’est une puissance universelle susceptible de se saisir d’un dossier international où qu’il soit.
Mais aujourd’hui les États-Unis s’interrogent sur leur place dans le monde, sur leurs relations avec les autres puissances dont la Chine, sur le retour récent de la Russie sur la scène internationale (affaires de l’Ukraine, de la Syrie) ; que ce soit sous Obama ou sous Trump, ils ne peuvent connaître leurs marges de manœuvre réelles face à une puissance comme la Chine.
Dans ce contexte, le bilan Obama est mitigé : beaucoup d’attentes déçues. L’idée d’Obama était de jouer la patience stratégique, de jouer pour l’Histoire. Ce n’est pas un interventionniste. On l’a vu quand il a décidé de ne pas intervenir en Syrie. Et le point essentiel de sa politique était la réorientation (pivot) vers l’Asie, qu’il n’a pas pu réaliser complètement à cause des événements au Moyen-Orient qui l’ont pris de court.
Celia Belin a ensuite poursuivi l’analyse sur l’héritage Obama. Il n’y avait pas vraiment une doctrine Obama ; on a dit que c’était parfois un idéaliste, parfois un réaliste. On a en fait dit beaucoup de choses sur lui ; or c’est avant tout une vision du monde fondée sur deux grandes convictions: on ne peut régler les problèmes avec des solutions militaires et les États-Unis n’ont plus vocation à s’occuper des problèmes de sécurité partout dans le monde.
De ce point de vue, il n’y a pas de rupture entre les deux présidents. Il y a même une certaine continuité entre eux deux : une retenue stratégique s’est développée avec Obama, qu’on retrouve chez Trump. Mais il y a eu une certaine humiliation des États-Unis à la fin de la présidence Obama, par exemple dans l’affaire syrienne, qui remet en question la place des États-Unis dans le monde.
Qu’en sera-t-il de la politique de Trump ? : il a plutôt soutenu l’idée que les autres pays doivent se débrouiller, mais on entre dans une ère d’imprévisibilité. Trump n’est pas un professionnel de la politique. On ne connaît pas vraiment ses convictions et ses ressorts politiques.
Cependant, il a nommé Secrétaire d’Etat Rex Tillerson, qui connaît bien les questions de géopolitique et est plutôt respecté pour son travail chez Exxon. Il a également nommé James Mattis au Pentagone ; ce choix a beaucoup rassuré les républicains car Mattis est également très respecté. Mais il a aussi nommé comme conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn – limogé par Obama après avoir été nommé à la direction de la Defense Intelligence Agency par ce même président – et qui lui, est plus controversé. La grande question est de savoir comment ces acteurs de l’administration vont travailler ensemble.
On sait que Trump est un « deal maker », qu’il n’a pas d’ancrage idéologique, qu’il est libre de ses choix et ne doit rien au parti républicain ; il est capable de tout renégocier, de tout mettre sur la table. Son entretien téléphonique avec Taïwan démontre qu’il n’a pas de tabous. Il a repris une promesse politique de transférer l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. Il est capable de faire ce qui avait été seulement envisagé par ses prédécesseurs.
Trump montre un certain scepticisme à l’égard des alliances : en cela également il se rapproche d’Obama ; on se souvient de la critique de Robert Gates, Secrétaire à la Défense lors du premier mandat d’Obama, adressée aux politiques européennes de réduction des dépenses militaires ; il indiquait alors que les Etats-Unis pourraient eux aussi réduire leurs contributions au budget de l’OTAN.
En revanche, à la différence d’Obama, Trump a promis de revenir sur les accords de libre-échange.
Sa priorité sera également la lutte anti-terroriste, sans doute en continuant la politique de son prédécesseur de guerre furtive avec les drones plutôt qu’en constituant une grande coalition plus musclée. Et dans ce monde multipolaire flottant où les jeux d’alliances se démantèlent, dans ce monde « carnivore », l’Union européenne fait figure de puissance « herbivore ». L’image de cette Europe est ignorée par Trump à la différence de celle de la France plutôt appréciée pour sa lutte contre le terrorisme.
Répondant à des questions posées dans la salle sur l’éventualité d’une procédure d’impeachment à l’encontre de Trump, les intervenants ont indiqué qu’ils ne croyaient pas à ce scénario. C’est une procédure qui prend beaucoup de temps et il faudrait vraiment que Trump soit « pris la main dans le sac » pour que le parti républicain se sente obligé de lancer cette procédure ; car ce parti, qui tient le Congrès, sait ce qu’il doit à Trump. Par ailleurs, cela ne changerait pas grand-chose à la politique étrangère américaine, car le vice-président Mike Pence est un néoconservateur traditionaliste et nationaliste : sa ligne diffère peu de celle de Trump, sauf peut-être vis-à-vis de la Russie et dans l’utilisation de Twitter.
Les intervenants ont ensuite ajouté que l’on passait sans doute trop de temps en spéculations sur la psychologie de Donald Trump ; tout ce qu’on peut dire aujourd’hui est qu’il a parlé aux délaissés de la mondialisation aux États-Unis et que son élection inaugure une nouvelle ère de dirigeants politiquement incorrects.Il faut s’attendre à nouveau à une mauvaise image américaine dans le monde. Le risque serait que Trump se ridiculise comme Berlusconi.
L’autre risque avec l’arrivée de Trump serait que des puissances comme la Chine ou la Russie décident de « tester » l’administration américaine ; mais ce sont des pays expérimentés qui connaissent les limites du jeu géopolitique; plus grave serait la tentative de pays moins « rodés » comme en son temps l’Irak de Saddam Hussein qui avait envahi le Koweït, persuadé que les Etats-Unis ne réagiraient pas.
Conclusion de France Audacieuse:
Une conférence passionnante avec deux intervenants de grande qualité, sachant capter l’attention de leur auditoire.
Leur connaissance du monde politique américain et leur maitrise des relations géopolitiques ont donné à leur présentation une hauteur de vue qui contraste avec la présentation médiatique habituelle, oscillant entre l’étude psychologique superficielle, le sensationnalisme et la dramatisation.
Ils ont ainsi souligné toute la continuité dans la politique américaine, d’un président à l’autre, et le fait que le monde n’a pas attendu Trump pour entrer dans une ère d’imprévisibilité.
Nathalie Kaleski – 16 janvier 2017