INDUSTRIE ET MADE IN FRANCE
Interview de Bartolomé Lenoir
fondateur de La Chaise Française
Vous avez fondé l’entreprise La Chaise Française dont le modèle repose sur la fabrication « Made In France » . Est-il encore possible aujourd’hui de fabriquer en France du mobilier d’intérieur ?
Nous avons fondé la Chaise Française car nous voulons justement qu’il soit encore possible de fabriquer du mobilier d’intérieur en France ! Dans le domaine de la chaise, qui est un classique du mobilier, la situation est difficile. S’il reste de nombreux artisans qui fabriquent des chaises, les industriels du secteur se comptent sur les doigts de la main en France. L’enjeu réel est finalement de savoir s’il est encore possible de proposer des chaises françaises à un prix accessible à tous les français. Un des derniers fabricants a d’ailleurs déposé le bilan en septembre…
Les savoir-faire ont-ils disparu du territoire ? Quelle est votre analyse de cette filière industrielle ?
En lançant la Chaise Française, nous avons fait un grand tour des fabricants français de mobilier pour comprendre le tissu industriel du secteur. Nous avons pu constater que notre pays possède encore beaucoup de savoir-faire mais que nous sommes à un moment de rupture pour certains d’entre eux. Les tourneurs de bois étaient par exemple encore très nombreux il y a 25 ans, aujourd’hui ils sont très rares ! Concernant les industriels de la chaise, la situation est identique. Si la tendance se poursuit, nous devrons faire face à une perte de savoir-faire évidente et accepter le Made In China comme la seule solution pour nos équipements en chaise.
Pensez-vous qu’une relocalisation en France de cette filière est possible ? Est-elle économiquement envisageable?
Si nous lançons la Chaise Française, c’est que nous le pensons ! La clé de sa réalisation et de sa pertinence économique est l’écologie. Aujourd’hui faire venir des meubles de l’autre bout du monde avec du bois issu de forêts non gérées est désastreux pour la planète. Ce désastre ne peut plus durer et nous croyons à un nouveau système où la consommation locale sera favorisée économiquement.
Les consommateurs sont-ils prêts à devenir des « ConsomActeurs » pour soutenir le made in France ?
Des paroles et des actes… Comme les politiques, lorsque nous avons le pouvoir, il est difficile de tenir nos promesses ! Je crois que nous sommes tous sensibles à l’origine de nos produits mais nous sommes baignés dans une culture de la consommation. Il y a 50 ans, les jeunes couples achetaient du mobilier pour une vie entière avec un réel investissement, aujourd’hui une chaise dure 2 ans ! La priorité selon moi est de revoir notre système de consommation.
Vous heurtez-vous, au quotidien, à des lourdeurs administratives ou à des lacunes dans la maîtrise des savoir-faire ?
Nous ne constatons aucune lacune concernant la maîtrise des savoir-faire, la tradition d’ingénierie française est encore présente ! Concernant les lourdeurs administratives, c’est une autre tradition française … Nous faisons avec mais nous devrions être à 100% concentré sur notre développement commercial. Je le regrette.
Comment accueillez-vous la mise en place du Haut Commissariat au Plan ?
Pour réussir, l’industrie française doit s’inscrire dans un modèle de société, dans une vision d’Etat. En ce sens, le Haut-commissariat au plan peut nous aider à retrouver une grande politique industrielle. Une des qualités de l’industrie est de fixer les populations dans les territoires. Relancer l’industrie c’est donc aussi participer à l’équilibre démographique de notre pays. C’est en envisageant globalement notre modèle que l’industrie pourra y retrouver une place de choix.
Vous avez régulièrement écrit des tribunes sur l’appauvrissement constant du tissu productif français. Quelles pistes de réflexion proposeriez-vous pour inverser la tendance ?
Comme je le disais, je crois que la chance de l’industrie sera dans la réinvention d’un modèle de société avec une consommation plus responsable mais aussi une fabrication plus écologique. Néanmoins, cette transition devra aussi passer par des décisions politiques moins libérales économiquement que par le passé. Notre culture de consommation a la vie dure et seule une incitation économique réelle pourra la faire évoluer.
Pour le consommateur, nous pourrions par exemple taxer les produits dont l’empreinte carbone est élevée. Du côté de l’offre, le taux d’impôt sur les sociétés d’une entreprise qui fabrique en France pourrait être plus faible que celui d’une entreprise qui importe.
Propos recueillis par Alexia Germont, présidente fondatrice de France Audacieuse
Focus Business : Création en 2017, 70 revendeurs en France, nouvelle collection de chaises lancée en novembre 2020.
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