Alexia Germont, Présidente fondatrice de France Audacieuse, ouvre la Rencontre en présentant Philippe Tibi.
Diplômé de l’Ecole polytechnique, Telecom ParisTech et des universités Panthéon –Assas (Master 1 Droit des affaires) et Panthéon-Sorbonne (Master 2 Sciences politiques), Professeur de finance et de stratégie à l’Ecole Polytechnique, Visiting Professor à Jiatong Paris Tech (Shanghai) et UIBE (Beijing), ancien Président de UBS en France, Président d’honneur de l’Association des Marchés Financiers (AMAFI), association représentant les 120 banques de marché actives en France.
Philippe Tibi est également Président de Pergamon Campus, école d’économie pour dirigeants, administrateur de Xerys Gestion et de deux participations technologiques, et président du comité monétaire du MEDEF. Il est enfin co-auteur avec Francis Kramarz de Plus de marché pour plus d’Etat ! ouvrage préfacé par Emmanuel Macron et couronné par le Prix Turgot 2017 du livre d’économie financière (et qui a déjà fait l’objet d’une fiche de lecture publiée sur le site de France Audacieuse et dans le Magazine des Professions Financières et de l’Economie). Homme de vision et de conviction, il était tout naturel qu’il fût invité aux Rencontres de France Audacieuse.
Think Tank indépendant créé fin 2016, France Audacieuse est en effet un laboratoire d’idées, libre dans le ton, regroupant des personnalités issues de la société civile, légitimes par leurs parcours et leurs compétences et sans attaches dogmatiques. Association à but non lucratif effectuant un travail de pédagogie auprès du plus grand nombre, reconnue par l’administration fiscale comme organisme d’intérêt général à caractère scientifique et social, France Audacieuse vise à faire entendre les propositions de la société civile dans le débat démocratique autour de deux axes phares :
- un pilier « Economie » traitant essentiellement de la richesse produite au travers des sujets économiques, bancaires, financiers et juridiques. L’innovation et l’entrepreneuriat sont au cœur de ses préoccupations.
- un pilier « Organisation Sociétale » couvrant les politiques de santé, les nouvelles technologies, l’environnement, la Défense (y compris la lutte contre le terrorisme), la culture, le sport et la cohésion sociale.
France Audacieuse regroupe aujourd’hui 20 contributeurs, a déjà produit plus de 120 publications, et rassemblé 125 000 visiteurs uniques et 500 000 visites de son site internet.
Ouverture de la conférence
Philippe Tibi ouvre sa conférence en remerciant France Audacieuse de l’avoir invité. Il est très reconnaissant vis-à-vis de France Audacieuse qui, avec d’autres organisations, fait avancer des débats importants en France, pays qui souffre beaucoup d’un grand pessimisme, d’un manque de volonté collective. Il est important que tous les Think Tanks et les associations qui font le débat et le font progresser, puissent évoquer cette question du capital-risque qui n’est en fait pas si technique que cela, alors que c’est un sujet important pour notre avenir, celui de nos enfants et petits-enfants.
Développement économique, science, révolution industrielle, grandes entreprises, capital et institutions.
Puis il commence sa présentation par une mise en perspective historique du capital-risque. Il montre un graphique d’Angus Madison qui décrit l’évolution du PIB par tête dans le Monde, depuis Jésus-Christ. Pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité il ne s’est rien passé du côté de la croissance économique; on est dans ce que les économistes appellent la «trappe malthusienne»: la richesse et la production sont simplement en ligne avec l’augmentation de la démographie et augmentent avec cette dernière.
Puis il s’est passé une rupture importante avec la Révolution industrielle : c’est d’abord la domestication de l’énergie, les progrès dans la métallurgie, c’est un ensemble d’inventions qui sont liées à l’agriculture, au textile et au transport. Ce graphique montre donc premièrement que nous vivons une révolution exceptionnelle; deuxièmement, que c’est un développement qui est resté une exclusivité occidentale jusqu’en 1950. Seul l’Occident a pu bénéficier de l’extraordinaire augmentation du niveau de vie de ses populations. C’est ce que Pommeranz appelle la grande divergence. Munis de technologies guerrières, les Etats européens ne se sont pas seulement entretués ; ils ont aussi dominé des grands empires comme l’Inde ou la Chine. Ce qui démontre que la domination par la technologie a non seulement des conséquences visibles en termes de niveaux de vie, mais a aussi des effets géopolitiques.
Jusqu’en 1950-1970 il y a très peu de grands pays industriels: l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le nord de l’Italie, les Etats-Unis, le Japon ; les grands scientifiques sont des ressortissants de ces pays. Il y a un lien très important entre le développement scientifique, le développement de la technologie et la puissance économique de ces pays. Et le développement des firmes est concomitant avec la révolution industrielle.
L’entreprise est en effet un concept assez récent. L’homme le plus riche des États-Unis dans la première moitié du XIXe siècle est Jacob Astor, un négociant en fourrures ; sa société comptait quelques centaines de personnes, essentiellement ceux qui traitaient avec les trappeurs l’approvisionnaient en matière première et étaient des indépendants. C’est le modèle Uber ou Deliveroo. Des entreprises qui vont chercher le client, qui contractent, vont sur le marché du travail chercher de la main d’œuvre et ont recours à des entrepreneurs indépendants.
C’était alors la norme pour l’entreprise d’aller fréquemment sur le marché du travail en fonction de ses besoins et de la conjoncture. La révolution industrielle change l’organisation du travail ; car lorsqu’on emploie des technologies complexes pour fabriquer des automobiles, des chemins de fer, on a besoin d’une organisation stable avec des ouvriers, des contremaitres, des ingénieurs. On ne peut fabriquer des automobiles en allant tous les jours sur le marché du travail, on a besoin d’une organisation et de compétences spécialisées, et cette organisation n’existe que par le salariat, car cela évite à l’entreprise des coûts de transaction. La grande entreprise est intimement liée à la révolution industrielle,
qui demande l’emploi de technologies plus complexes : faire une voiture, un chemin de fer, c’est plus compliqué que de chasser les castors et de transformer leurs fourrures.
Ainsi, au début du XXe siècle, l’homme le plus riche des États-Unis est Henry Ford avec des usines de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
La deuxième raison pour laquelle le capitalisme primitif devient le capitalisme moderne, c’est que pour acheter des machines, on a besoin de capitaux. D’où l’essor des sociétés par actions, « inventées » au début du 17ème siècle, qui vont chercher chez les épargnants les capitaux indispensables au développement des grandes firmes. Le capitalisme moderne tel que connu jusque dans les années 1970-1980, est donc très lié à la révolution industrielle et aux productions réclamées par les découvertes scientifiques.
Les économistes citent d’autres facteurs de développement comme les institutions : ainsi l’Europe a eu la chance d’avoir des souverains qui acceptaient le progrès pendant que Soliman le Magnifique interdisait l’imprimerie et que la Chine se refermait sur elle-même. Un progrès scientifique et technique a ainsi pu se développer en Europe. Les grandes entreprises connues aujourd’hui sont des entreprises qui ne sont pas nées d’un concours de circonstances mais d’un alignement d’étoiles entre des découvertes scientifiques, un souverain qui tolérait la science et la curiosité intellectuelle, et des ingénieurs- entrepreneurs. Un développement cependant non linéaire et très heurté car les entreprises sont mortelles: ainsi sur le classement Forbes 500 des entreprises américaines en 1950
15 % seulement sont survivantes aujourd’hui. Une conséquence de la concurrence et d’erreur stratégiques des entreprises.
Les entreprises meurent ou grandissent pour une bonne raison : le monde change, parce que les technologies se développent et évoluent. Et ces technologies déplacent la valeur.
Quelle est la définition du capital-risque?
Il y a deux types d’entreprises : des entreprises qui créent des produits sur des marchés qui existent, elles ont alors un potentiel de développement de chiffre d’affaires, et des entreprises qui créent des produits ou services pour des marchés qui n’existent pas, elles n’ont pas de clients, elles innovent et les clients ne sont pas prêts à acheter leurs produits ou services car ils ne les connaissent pas ; elles vont donc subir des pertes.
Quand on crée une entreprise, il faut de l’argent. Mais une entreprise de ce type, qui n’a pas de clients, n’a pas de garantie, ne sera pas financée par une banque qui ne prête que contre des garanties. L’entrepreneur doit donc aller voir des capital-risqueurs (venture capitalists) qui sont des financiers qui ont intégré cette donnée : parmi les entreprises qui vont à leur rencontre, beaucoup vont mourir. Ces financiers ne vont pas prêter d’argent mais vont rentrer dans le capital, devenir coactionnaires des entrepreneurs. Ils espèrent que dans leur portefeuille d’entreprises, il y aura des Google dont la valorisation et le succès permettront de compenser et dépasser le montant des pertes subies avec les entreprises qui auront disparu.
Cela a été la réponse des Etats-Unis. Le capital-risque y a été inventé dans les années 1950. Coïncidence ou pas, c’est aussi le « moment Spoutnik », lorsque les Etats-Unis ont vu que l’URSS les dépassait. Ils ont alors développé l’industrie des semi-conducteurs, nécessaire pour le spatial. Le spatial est ainsi à l’origine de 30 à 40 % de commandes de semi-conducteurs dans les années 1960. Le secteur de capital-risque s’est ainsi développé pour financer l’innovation de rupture, portée par une entreprise qui n’a pas de marché ou pas de marché immédiat.
Le capital-risque s’est d’abord développé en Californie et autour de Boston, près des grandes universités.
On peut aujourd’hui avoir un retour d’expérience: selon une étude de Stanford parue il y a deux ans, sur une base recensant toutes les sociétés cotées après 1979 (moment où le venture capital a monté en puissance grâce au financement des fonds de pension), 43% ont fait appel au capital-risque –elles sont donc nouvelles- et représentent plus de la moitié de la valeur boursière des sociétés américaines. Et c’est surtout 82 % des budgets de recherche et développement actuels. Cela donne une idée de la capacité et de la puissance de ce système pour inventer les entreprises qui sont les plus grandes entreprises du monde aujourd’hui : Google, Apple, Amazon, Facebook et auparavant Microsoft ont été créés par ce système.
Aujourd’hui la valeur du GAFA c’est 60 % de plus que la valeur du CAC 40. C’est une valeur qui a été créée en 20 ans. Il faut aussi garder en tête que la moyenne d’âge du CAC 40 c’est 100 ans ; et quand des entreprises nouvelles y entrent, elles sont « vieilles » aussi ; ce sont de très belles entreprises et très fortes, mais c’est probablement un indice qu’en Europe– car le CAC 40 français est emblématique de la situation européenne- nous n’avons pas su créer de nouvelles industries. Dans le domaine des grandes sociétés récentes créatrices de nouvelles technologies en Europe, il n’y a guère que Dassault Systèmes et SAP, belles entreprises mais de capitalisation bien inférieure à leurs homologues américaines. Il y a donc un décalage sur le stock des entreprises existant ; quand on regarde les 50 plus grandes entreprises du monde, en 2006 il y avait 17 entreprises européennes, en 2016 il n’y en a plus que 7.
Il y a donc un faisceau d’indices qui montrent qu’on a déjà un problème avec les entreprises existantes. Par exemple Alcatel rachetée par Nokia qui rencontre elle-même des difficultés. Aujourd’hui la fusion de Siemens et Alstom : un symbole des défis auxquels sont confrontés les entreprises européennes. C’est une conséquence d’une nouvelle concurrence, non seulement des Etats-Unis mais aussi de la Chine. Il y a une difficulté des entreprises européennes à faire face à une concurrence nouvelle, avec la technologie qui évolue, malgré la mondialisation qui a aussi ouvert des marchés.
Que va-t-il se passer demain ?
Il y a des chiffres intéressants qui donnent une idée de l’argent investi par le capital-risque dans le monde. C’est en fait l’argent qui est investi dans le capital des entreprises de demain, celles de la 4ème révolution industrielle. Sur une période de juillet 2015 à juin 2017, l’argent du capital-risque investi dans le monde c’est 270 milliards de dollars (c’est peu si on se rappelle que l’épargne financière des Français, c’est 4500 milliards d’euros) or ce montant a permis de créer les nouvelles entreprises comme celles du GAFAM, ou encore Tesla, SpaceX et également des entreprises qui ne sont pas dans le secteur de la nouvelle technologie comme Starbucks, Fedex, Costco : ce ne sont pas ici des métiers nouveaux.
Première remarque: il n’y a donc pas besoin d’avoir beaucoup d’argent, ce qui est plutôt une bonne nouvelle ; si on voulait le faire ce n’est pas très compliqué d’un point de vue strictement financier ; on peut suivre cet exemple.
Deuxième remarque : 60 % des investissements vont à des entreprises américaines, 25 à 30 % vont à des entreprises chinoises (alors qu’il y a 10 ans, seuls 3 à 4% allaient à des entreprises chinoises, cela donne une idée du développement technologique en Chine en ce moment); l’Europe ne représente que 10 à 12 % du total et cela ne bouge pas vraiment. Et en Europe, 3 pays seulement comptent.
Malgré des progrès réels les montants levés en France par exemple augmentent de façon sensible mais à partir de bases très petites.
Les leaders de demain seront plutôt américains ou chinois. Et ce sentiment est renforcé quand on regarde les licornes, ces sociétés qui valent plus d’un milliard de dollars et financées par le capital risque.
Là aussi on retrouve les mêmes types de décompte et les mêmes proportions : 46% des licornes sont américaines et 34% chinoises. L’Europe ne pèse que 9%.
Certains disent à propos des licornes qu’il s’agit de spéculation, d’une bulle et que beaucoup vont mourir. C’est vrai. par exemple Uber va peut-être disparaître. Mais ce qui est certain c’est que les grandes entreprises de demain sont parmi ces licornes.
Il y a en France OVH et BlaBlaCar, c’est tout. Quel est le problème d’être petit ? On pourrait se dire que ce n’est pas grave, mais la difficulté pour les entreprises européennes qui veulent se développer c’est qu’elles doivent affronter des concurrents qui eux sont financés.
Par exemple en Europe dans le secteur du streaming musical, il y a Deezer qui est un succès et surtout Spotify, la licorne la mieux valorisée en Europe (8 milliards de dollars), mais il y a des concurrents américains plus puissants – Apple Music, Amazon Music – qui vont se développer plus vite. Une jeune entreprise européenne a aujourd’hui très certainement des concurrents dans le monde, américains ou chinois, qui bénéficient de financements abondants, peuvent donc recruter plus d’ingénieurs, aller plus vite dans leur développement, déposer plus de brevets, cela veut dire aussi ouvrir des filiales (ce qui coûte très cher) et vendre dans le monde plus rapidement ; et la jeune entreprise sait que ses concurrents ont les moyens d’aller plus vite; le résultat c’est que dans les faits la solution rationnelle est de se vendre avant que les concurrents américains ou chinois ne ciblent ses clients.
Ainsi l’entreprise française Aldebaran (créateur de robots) s’est vendue à Soft Bank, capital-risqueur japonais pour 75 millions de dollars. Il y a une longue liste d’entreprises innovantes françaises qui se sont vendues car les actionnaires pensent qu’il vaut mieux vendre tant que l’entreprise a de la valeur, avant que le concurrent américain ne vienne s’implanter en Europe. L’autre décision rationnelle est d’aller directement aux États-Unis ou en Chine pour créer son entreprise, car on sait qu’il y a des financements abondants, même s’il est difficile d’en trouver là-bas aussi. C’est probablement plus difficile car il n’y a pas tous les systèmes d’aide comme la BPI, les prêts d’honneur, mais si vous êtes sélectionné, vous trouverez un financement abondant qui vous permettra d’accélérer et de changer d’échelle.
Le danger c’est que l’Europe, sur des sujets importants comme la biotechnologie, la santé, l’intelligence artificielle, la robotique et toutes les activités qui réclament un investissement important, soit sortie de ce marché. Et c’est un problème qui va au-delà du référencement statistique des plus belles entreprises du monde.
C’est savoir qui va être employé, où sera concentrée la valeur, et quel sera le rôle des nationaux européens dans ces entreprises dans le monde marchand dans 30 ou 40 ans ; le succès européen a été fondé sur le fait que si on avait fait le tableau des licornes en 1800 ou en 1900 on n’aurait vu que des entreprises européennes et quelques américaines ; c’est inquiétant d’être dans une situation où on joue un rôle mineur alors que l’Union européenne est la zone économique la plus riche du monde avec 450 millions d’habitants hors Grande-Bretagne. Cela devrait donner l’ambition de tenir notre rang.
Est-ce la fin du monde, de notre monde ?
Ce n’est pas une fatalité. Il n’y a pas besoin de beaucoup d’argent. Tous ces succès sont fondés sur un appareil scientifique or la recherche européenne reste excellente et au niveau mondial. Les Chinois ont ainsi bien compris l’importance de ce domaine et font beaucoup d’efforts pour former 30.000 docteurs en sciences et technologie par an.
Car la Chine qui continue de se vivre comme un pays pauvre – ce qui est le cas quand on tient compte de son PIB par habitant- a compris que les seuls pays qui ont échappé à la pauvreté sont ceux qui ont investi dans la technologie. Il n’y en a pas tellement : le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, Taiwan et Israël.
On peut dire que s’il est facile pour la Chine ou les États-Unis de performer c’est très différent pour Israël qui a réussi alors que c’est un petit pays qui ne bénéficie pas d’un environnement géographique favorable. C’est un pays qui a investi et a réussi : la start-up Waze a été créée en Israël et rachetée par Google pour 1 milliard de dollars, la start-up MobileEye vient d’être rachetée 15 milliards de dollars par Intel. Il y a de bonnes universités en Israël et aussi de l’argent. Et cet argent est arrivé comme aux États-Unis, à la suite d’une intervention de l’État. C’est une décision politique en 1974 – autorisant les fonds de pension à investir dans le capital risque- qui a amené un afflux d’argent qui a développé le capital-risque aux États-Unis.
De même en Israël, il y a eu un plan : l’Etat a invité les meilleurs fonds américains à venir s’installer avec un modèle de développement : pour un dollar investi par le fonds, l’Etat abonde de son côté pour un montant équivalent ou légèrement supérieur, les pertes restent pour le fonds pour dissuader les charlatans, mais les bénéfices sont répartis plus que proportionnellement en faveur du fonds. C’est ainsi que 12 fonds américains sont aujourd’hui résidents en Israël et 200 fonds au total ont investi dans le pays.
Et au bout de 20 ans d’efforts, tout un écosystème de venture capitalists israéliens s’est développé.
Cet exemple montre qu’il n’y a pas de fatalité de l’échec qui ferait que la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni ne pourraient jamais avoir le même succès que les Etats-Unis ou les Chinois.
Avec François Véron (Newfund), nous avons écrit que la Trinité du capital-risque c’est l’argent, l’ambition, les institutions. Ce sont les trois ingrédients qui permettent de développer une industrie compétitive.
Si on prend le cas de la France, il y a beaucoup d’argent mais il n’est pas libre car investi dans des produits comme l’assurance vie ou des produits administrés comme le livret A, qui ne peuvent pas s’investir dans le capital risque.
Quant aux institutions, elles sont liées aux ambitions : aux Etats-Unis, les fonds sont privés ; en Chine, l’Etat a créé un fonds de 300 milliards de dollars (c’est à peu près ce que gèrent tous les fonds américains) pour investir dans des fonds de capital risque qui vont eux-mêmes investir dans des entreprises chinoises.
En France, il y a la BPI qui fait un très bon travail, car sans elle il n’y aurait pas de capital risque en France mais cela ne suffit pas. Pour accélérer, il faut beaucoup plus d’argent que ne peut en fournir la BPI. Le problème en France et en Europe, est qu’on n’a pas assez de fonds, et pas assez d’argent dans les fonds existants. Il y a très peu de fonds ayant une taille suffisante pour accompagner les firmes dans leur croissance (processus de scale up). Avec un fonds de 100 millions d’euros (taille moyenne des fonds) cela donne des participations moyennes de 3 millions d’euros par entreprise (pour partager les risques) ; même à plusieurs cela ne permet donc pas des financements extrêmement importants.
Il n’y a pas de fonds de 500 millions ou 1 milliard de dollars qui permettent de créer un « ticket » de 30 millions, qui permettra de faire décoller une firme. L’an dernier, la plus grande levée de fonds a été de 500 millions de dollars pour une société chinoise.
Conclusion :
- 1ère proposition : dans leur livre « Plus de marché pour plus d’Etat!» Philippe Tibi et Francis Kramarz proposent d’abord de créer un choc de financement.
En France, 10 milliards sont aujourd’hui investis dans le capital-risque, or il faut doubler rapidement ce montant. Il y a de l’argent disponible: le FRR, la PREFON, l’ERAFP, les fonds de sécurisation des retraites AGIRC-ARRCO; Au total près de 100 milliards d’euros. On pourrait ainsi affecter des montants de plusieurs milliards sans risque excessif pour les épargnants (c’est ce qu’enseigne la théorie du portefeuille). Parmi les initiatives récentes, le fonds d’innovation de rupture envisagé par le gouvernement s’élèverait bien à 10 milliards mais en fait seuls les intérêts seraient là pour le financement de l’innovation : cela ne ferait que 300 à 400 millions d’euros par an ce qui n’est pas suffisant.
Et il faut ensuite de l’argent qui arriverait chaque année.
Il faut aussi créer de vrais fonds de pension en France, par exemple avec des instruments comme les retraites type article 83. On pourrait ainsi créer des fonds de pension ouverts à tout le monde qui permettraient d’apporter plusieurs milliards chaque année, de créer un robinet de financement permanent pour développer l’industrie française. Un fonds de pension, c’est aussi une réserve de capital.
- 2ème proposition :
Inviter les fonds américains à venir s’installer en France car ce sont eux qui ont la pratique du succès (Google, Facebook, MobileEye) et qui par exemple, ont accepté que Marc Zuckerberg à 22 ans, refuse le chèque d’un milliard de dollars proposé par Yahoo pour le racheter. Certains s’opposent à cette proposition car ce serait selon eux faire venir le loup dans la bergerie. Mais le loup, si loup il y a, est déjà là (par exemple dans Critéo, 75% du capital est détenu par des actionnaires américains) donc autant avoir les fonds américains en France plutôt que de les voir prendre des décisions depuis les États-Unis et demander au management des entreprises françaises de déménager aux Etats-Unis.
- 3ème proposition :
Faire que le marché européen soit un vrai marché unique. Une des raisons de la domination de l’économie américaine depuis longtemps, c’est aussi la taille de son marché face à celui de l’Europe qui est fragmenté alors qu’il devrait être unique. Et c’est un vrai problème pour les start-up dont le développement dans toute l’Europe est ainsi ralenti considérablement.
Il faut donc assurer un avenir à nos enfants et cela revient à appliquer des recettes simples qui ont marché ailleurs. Pour cela, il faut une volonté politique et que les décideurs aujourd’hui acceptent de ne pas être sur la photo du résultat à la fin de ce processus, car il faudra 10 à 15 ans pour développer un écosystème favorable.
Après quelques questions de la salle, la soirée est clôturée par Alexia Germont qui annonce le sujet de la prochaine Rencontre qui se tiendra dans le même lieu, le lundi 29 janvier 2018 avec Bertrand Badré ancien Directeur général finance de la Banque mondiale, dirigeant du fonds Blue like an Orange Sustainable Capital, sur le thème « Finance éthique, Finance durable : est-ce que la finance peut sauver le monde ? »
Nathalie Kaleski
17 décembre 2017