« France Audacieuse y était … »
au colloque organisé par la Fondation PILEJE et l’Institut Pasteur de Lille
le 9 novembre 2017 à l’Assemblée Nationale
« Pour une politique de prévention dès l’enfance »
par le Docteur Jacques Hassin
Le jeudi 9 novembre 2017 s’est tenu un colloque dans la prestigieuse salle Victor Hugo de l’immeuble Jacques Chaban-Delmas de l’Assemblée Nationale. Il portait sur le thème : Alimentation : Pour une politique de prévention dès l’enfance. Ce colloque était co-organisé par l’Institut Pasteur de Lille et la fondation PILEJE sous l’égide de la fondation de France.
Deux parlementaires très engagés sur les questions d’environnement et de santé publique ont ouvert la séance. Madame Olivia Grégoire, Députée de Paris, porte-parole du groupe LREM s’est d’abord exprimée. Après des propos de convenance sur le travail parlementaire engagé sur les sujets de prévention, nous avons entendu avec intérêt (même si je suis médecin) que si la participation des médecins était obligatoire, la santé publique ne pouvait pas être l’apanage seulement des médecins et particulièrement sur la question de la prévention. Pour la Ministre de la Santé qui s’était déjà exprimée sur ce sujet, c’est une question transversale qui implique de nombreux ministères (la santé, les affaires sociales, l’éducation, le handicap, l’exclusion, etc.). Dans ces conditions, on peut espérer que cette question majeure de la prévention dès l’enfance, non seulement sur le plan économique mais aussi et surtout de la santé publique, sera mieux arbitré et fera l’objet de textes plus incitatif qu’ils ne le sont aujourd’hui. Monsieur Olivier Véran, Député de l’Isère LREM, rapporteur général de la commission des affaires sociales et rapporteur du PLFSS interviendra sur les mêmes thèmes en insistant (en tant que médecin aussi) sur la nécessaire sortie du tout curatif. Il rappelle que la « taxe soda » a été votée à la quasi-unanimité du parlement à l’exception du groupe de la France insoumise. Mais d’autres sujets perdurent sur lesquels il est très difficile d’agir comme l’addiction en particulier à l’alcool et au cannabis chez les jeunes voire les très jeunes, la prévention chez les enfants ou celle des risques psycho-sociaux. Il souligne également la nécessaire appréhension des questions de santé environnementale.
Madame Emmanuelle Leclerc, Déléguée Générale de la fondation PILEJE présente le programme de la journée et remercie l’ensemble des partenaires associés à ce colloque.
Le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service de nutrition, à la Fondation-Institut Pasteur de Lille, sera le modérateur de la journée. Je voudrais d’emblée témoigner de la très grande qualité scientifique de l’ensemble des intervenants. Leurs communications appuyées sur des publications scientifiques indiscutables ont toutes été d’un très grand intérêt. Sur une journée entière, il n’est pas possible d’en faire un compte-rendu exhaustif. J’attendrai avec impatience les actes de cette journée. Je me contenterai ici d’évoquer quelques éléments marquants
Première table ronde :
Tout commence très tôt et même avant : En quoi le père, la mère et l’environnement conditionnent le «capital santé » du futur adulte ?
Madame Fabienne Gomant de l’IFOP a présenté un sondage sur l’alimentation chez l’enfant. On en retiendra surtout que dans les facteurs marquants si les parents pensent pouvoir gérer à peu près l’ensemble des facteurs intervenants (sommeil, écrans, etc.) Ils se sentent peu conscients de la nécessité d’activité physique pour la bonne santé. Ils se sentent surtout particulièrement impuissants face au stress de l’enfant (comment le déceler, comment intervenir…).
Le Pr Rachel Lévy, Chef du service de biologie de la reproduction CECOS-Hôpital Tenon et Université Pierre et Marie Curie a montré comment dès la conception il existe une influence majeure du mode de vie de futurs parents. L’épidémiologie pointe une diminution inquiétante de la fertilité humaine. A côté de la santé métabolique, il faut introduire la santé reproductive. La proportion de garçons est en baisse et donc il existe moins de spermatozoïdes. On sait que le père a dès la conception un impact très important sur la santé de l’enfant. On sait aussi que chez l’obèse, l’épigénétique modifie les spermatozoïdes.
Le Pr Claudine Junien, Professeur émérite de génétique médicale, membre correspondante de l’Académie nationale de médecine a traité du sujet : épigénétique et grossesse. Pour l’OMS, les maladies chroniques vont augmenter de 17% dans la prochaine décennie. Aujourd’hui le curatif représente 95% de la prise en charge de la santé et le préventif 5%. Il faut donc inverser la tendance et orienter les efforts vers la prévention. Pour cela il faut créer les conditions pour générer un capital santé optimum pour la période critique située entre la grossesse et l’âge de deux ans, fameuse période des mille jours où se produisent de très nombreuses variations du phénotype. Il faut informer et créer les conditions d’un environnement physico-social mais aussi psycho-social permettant d’éviter l’inégalité sociale, la malnutrition, les toxiques ou la violence. Il est très important dans ce domaine au moins d’impliquer les hommes car qui dit génétique dit un père et une mère. Pour l’épigénétique, il y a des milliards de phénotypes possibles qui définissent ensemble les possibilités de caractères apparents d’un individu. Si notre génotype est unique, nous avons des phénotypes multiples qui nous donnent la capacité à réagir par rapport à l’environnement et même aux hasards de la vie. Nous possédons 60.000 milliards de cellules sexuées. Cette question étant un peu compliquée pour le profane, j’ai bien aimé cette image de la tarte aux pommes : La génétique c’est la recette de la tarte aux pommes mais pour la fabriquer il faut de l’épigénétique, du développement du phénotype et de l’environnement.
Le Dr Jean-Michel Lecerf a traité de l’accouchement, l’allaitement, et des choix cruciaux : le microbiote en question [1]. Le fœtus au départ est stérile. L’accouchement par césarienne et par voie basse modifie la flore de l’enfant. Par l’accouchement par voie basse, l’enfant hérite de la flore de l’enfant. Par césarienne c’est la flore de l’environnement qui entre en jeu. Par ailleurs, on sait que le poids de la mère influence la relation entre le mode d’accouchement et l’obésité de l’enfant. On sait que ce risque existe surtout par naissance par césarienne. Quand la mère est elle-même obèse on sait que les indications de césarienne sont plus étendues. Quoi qu’il en soit, comme pour de nombreux intervenants les bienfaits de l’allaitement maternel sont indiscutables pour l’enfant, comparé, comme on le verra, à l’allaitement artificiel.
Le Pr René Habert, professeur émérite à l’Université Paris-Diderot a développé le thème de la santé future chez l’enfant et les perturbateurs endocriniens. Même s’il existe des perturbateurs endocriniens dans certaines plantes, le problème est surtout pour les perturbateurs chimiques. Ces substances ont un effet nocif peu contesté sur la santé. On compte aujourd’hui près de 1000 molécules incriminées avec un nombre croissant. Elles sont mises en cause dans le cancer du sein, de la prostate, des testicules et du foie. Elles sont probablement à l’origine de malformations péniennes et testiculaires (cryptorchidie, torsion du cordon) [2]. Ces perturbateurs sont également incriminés dans les pathologies de la nutrition et bien sûr sur dans les troubles de la reproduction. En 1940 on comptait en moyenne 110 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme contre 66 millions en 1990. En sachant que l’adulte perd 2% de spermatozoïdes par an. A la période fœtale, la sensibilité à ces perturbateurs est particulièrement augmentée. Une altération du développement des spermatozoïdes peut intervenir après exposition du fœtus mâle à ces perturbateurs. Des milliers de publications scientifiques mettent en évidence les effets des perturbateurs endocriniens sur le fœtus. Sur ce sujet, des mesures simples et peu coûteuses pourraient être mises en place. Par exemple mettre un logo spécifique sur les aliments et les cosmétiques contenant des perturbateurs endocriniens. Ou encore distribuer un livret contenant la liste des produits dangereux aux futurs parents. Il faut développer plus encore des recherches scientifiques indiscutables sur ces perturbateurs (et avis personnel du Dr Jacques Hassin pour France Audacieuse : pour aider à s’opposer à tous les lobbys de l’agroalimentaire et de la cosmétique).
Deuxième table ronde :
Alimentation, sédentarité, sommeil : Quel impact pour les enfants et les adolescents ?
Madame Marie-Françoise Rolland-Cachera, chercheur honoraire à l’Université de Paris 13, a traité de l’alimentation des premières années, un enjeu essentiel pour prévenir l’obésité. Cela débute avant l’âge de deux ans. L’alimentation artificielle du bébé augmente sensiblement le risque d’obésité. On ne doit pas appliquer les règles diététiques d’un adulte à un enfant. Ainsi toute l’alimentation artificielle en dehors de l’allaitement fourni un excès de protéines et un manque de lipides dont le jeune cerveau a pourtant besoin. L’allaitement maternel protège de l’obésité. Les recommandations officielles considèrent que jusqu’à trois ou quatre ans il faut réduire les apports excessifs en protides sans aucune restriction pour les lipides car les enfants non allaités ont des apports insuffisants en lipides. Le lait maternel faible en protide et riche en lipides protège clairement de l’obésité infantile. Naturellement par la suite il faudra diminuer les apports en graisse mais les recommandations pour les adultes ne doivent pas s’appliquer aux nourrissons. Même si l’obésité se constitue dès le début de la vie on trouve souvent un rebond avec une obésité à l’adolescence.
Le Pr François Carré est professeur en physiologie cardio-vasculaire à l’Université de Rennes 1, cardiologue et médecin du sport il est co-fondateur de l’observatoire de la sédentarité. Sur le thème sédentarité des enfants et des adolescents : Danger ! Il a mis l’accent sur des notions assez simples et de bon sens mais… L’inactivité physique complète est différente de la sédentarité. A l’inverse, l’activité physique n’est pas obligatoirement liée à une pratique sportive. Entre 5 et 17 ans un enfant doit réaliser au moins une heure d’activité physique par jour. Il doit limiter la position assise prolongée. Le temps de sédentarité devant un écran entre 3 et 10 ans doit être inférieur à trois heures. Ce n’est qu’entre 15 et 17 ans que cette limite peut éventuellement être dépassée. Avant 2 ans un enfant ne devrait pas être devant un écran. Pourtant des enfants de 18 mois passent deux heures par jour devant des écrans. Selon l’OMS, on constate une augmentation de l’obésité et du surpoids chez des enfants de 5 à 6 ans. Il y a en France une augmentation forte de l’incidence de diabète de type 2 [3] chez des enfants de 14 ans. Ceci lié à une alimentation déséquilibrée et souvent prise devant un écran. Augmenter l’activité physique (monter 6 étages suffit à montrer que l’on est en bonne santé. Diminuer son surpoids permet d’améliorer ses indicateurs biologiques mais aussi cognitifs.
Troisième table ronde :
Sommeil, écrans, rythme de vie : les bébés et les adolescents victimes ?
Le Pr François-Marie Caron est pédiatre au pôle femme-enfant au CHU d’Amiens et Président de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire. Il commence par dédramatiser la question des écrans. Ils ne donnent pas de crises d’épilepsie, ils ne donnent pas de troubles visuels, ils ne rendent pas autistes, ils ne rendent pas obèse (c’est l’inactivité qu’ils engendrent). Mais oui, ils perturbent le sommeil. Chez les moins de trois ans, 50% connaissent et regardent une tablette ou un smartphone mais leur cerveau ne leur permet pas d’analyser ce qu’ils voient. Avant trois ans : jouez, parlez et arrêtez la télé. 61% des moins de trois ans ont la télé allumée pendant le journal télévisé avec les horreurs qui nous sont montrées. Un jeu de cube rend intelligent, un écran ne rend pas intelligent. Il ne faut pas hésiter à laisser un enfant s’ennuyer (commentaire du Dr Jacques Hassin pour France Audacieuse : pour aider à construire son imaginaire ?). Il faut l’aider à apprivoiser les écrans et le laisser grandir…
Le Dr François Duforez est médecin du sport du sport et du sommeil, praticien attaché au centre du sommeil de l’Hôtel-Dieu à Paris est lui intervenu sur la question du sommeil chez l’enfant et l’adolescent. De façon globale, on dort de moins en moins dans le monde occidental. Plus encore, 78% des adolescents français souffrent d’une dette chronique de sommeil. 33% des actifs dorment moins de six heures par nuit. Chez l’adolescent se pose le problème des écrans avant de dormir. Les SMS à n’importe quel moment de la nuit pour demander à un ado s’il dort, la lumière des écrans qui diminuent les sécrétions de mélatonine tout cela contribue à perturber l’endormissement et le sommeil. A l’inverse, l’activité physique augmente la qualité du sommeil. Il y a une spécificité de l’horloge biologique de l’adolescent qu’il faut connaître. On peut aussi susciter un rituel spécifique qui favorise l’endormissement.
L’après-midi était consacré aux initiatives originales : Expériences, témoignages et retours du terrain
Madame Florence Rostan, chargée de mission à la direction prévention-promotion de la santé, a présenté l’ICAPS une méthode pour promouvoir l’activité physique et la lutte contre la sédentarité. L’activité physique ne se limite pas au sport. Une heure d’activité physique au détriment de la télévision permet d’améliorer la santé. La simple activité est efficace pour prévenir le surpoids.
Le Pr Frédéric Gottrand du pôle enfant au CHRU de Lille et de l’UMR 995 de l’INSERM a présenté l’étude HELENA. Cette étude européenne sur 10 ans donne une photo assez complète en particulier sur la nutrition de 3600 adolescents « normaux » entre 13 et 18 ans tirés au sort dans des villes de plus de 100.000 habitants. Le stade pubertaire influe dans tous les secteurs mais avec une différence notable entre les garçons et les filles. Les résultats non encore définitifs montrent qu’ils occupent neuf heures par jour à des activités sédentaires. Ils regardent la télévision deux heures par jour en semaine. 400 calories par jours sont apportées par des boissons sucrées et lactées. Plus de 60% ne marchent pas 30 minutes par jour. 20% sont carencés en fer et 33% en acides gras polyinsaturés. 50% prennent un vrai petit déjeuner et 20% n’en prennent pas. Ils dorment en moyenne 8 heures par nuit. Enfin, les rythmes scolaires ont un impact sur l’activité physique.
Le Dr Marie-Andrée Auquier, médecin et sophrologue, a montré avec le concours de la salle comment la sophrologie pouvait atténuer le stress en particulier chez les adolescents. Il est difficile de détecter un enfant stressé mais il faut être attentif à des troubles du comportement alimentaire, des maux de ventre ou des problèmes de peau. Le stress se manifeste plus par le langage du corps que par la verbalisation.
Enfin Madame Aminata Goloko, chef du bureau information, prévention et santé à Mantes-La-Jolie, a présenté le programme utilisé pour dix classes de CM2. C’est un jeu dans le style « trivial pursuit » sur l’alimentation. Il faut passer de la nutrition à l’alimentation et donner du plaisir, du goût de passer à la grimace au « Hum » c’est bon… Le jeu Nutrissimo junior est commercialisé par l’Institut pasteur pour 28 €. Il s’agit de composer un plateau-repas à l’aide de jetons-aliments en répondant correctement à des questions ou des défis. Un facteur d’obésité existe dès la période pré conceptuelle. A la limite il sera intéressant de sensibiliser les parents en projet d’enfant.
En conclusion, le Dr Jean-Michel Lecerf a évoqué plusieurs recommandations sur la politique de prévention chez l’enfant. En sachant que dans ce domaine (Commentaire France Audacieuse comme dans d’autres) les injonctions sont contre-productives (Commentaire France Audacieuse, je n’ai à ce jour rencontré aucune personne capable de manger trois fruits et trois légumes le midi et deux fruits et deux légumes le soir…) :
- Apprendre aux parents et aux enfants à se servir des écrans de façon appropriée.
- Accompagner un prolongement de l’allaitement maternel et augmenter le congé maternité.
- Eviter les césariennes indues.
- Donner aux enfants et adolescents le plaisir de dormir
- Etiqueter les produits contenant des substances représentant des perturbateurs avérés (sauf les perturbateurs naturels).
- Permettre aux enfants d’être attentifs à ce qu’ils mangent (supprimer les écrans à table, allonger si possible les temps de repas dans les cantines scolaires.
- Proposer aux parlementaires des textes de loi quand cela est nécessaire.
En conclusion pour France Audacieuse, le sujet de l’obésité chez les enfants de familles souvent monoparentales a été effleuré tant dans les présentations que dans les questions. Ce sujet mériterait peut-être un focus particulier. Il pourrait recenser les rares études sur cette question et peut-être initier d’autres travaux scientifiques sur la question en s’appuyant sur les associations d’aide alimentaire. En particulier en permettant lors d’ateliers cuisine de sensibiliser les bénévoles et les familles à la question de l’alimentation infantile.
Dr Jacques Hassin
20 novembre 2017
[1] – Le microbiote est l’ensemble des micro-organismes (bactéries, levures, champignons et virus vivant dans un environnement spécifique (appelé micro biome) chez un hôte animal ou végétal, le microbiote, couramment appelé « flore intestinale », est constitué de l’ensemble des micro-organismes vivant dans l’intestin. Chaque humain abrite 200 à 250 espèces. Le microbiote intestinal est évalué à environ 39.000 milliards de bactéries et celui des cellules du corps humain moyen à environ 30.000 milliards.
[2] – La cryptorchidie est l’absence d’un ou des deux testicules dans le scrotum. Elle inclut l’ectopie testiculaire, qui est l’insertion du testicule dans un autre endroit, hors des bourses et de son trajet normal, en raison d’un arrêt de la migration testiculaire lors de son trajet de descente ; entre la région lombaire où il se forme et son emplacement naturel dans le scrotum. Le testicule est dit ectopique s’il se trouve au niveau crural ou plus haut si sa descente a été bloquée. Un bébé atteint de cryptorchidie a 60 % de risque de plus que les autres de stérilité à l’âge adulte. Ces deux anomalies, notamment si elles sont associées à un hypospadias (une ouverture du méat urétral sous le gland, au milieu du pénis ou à l’angle du pénis et du scrotum) et à un micro pénis peuvent être un des éléments du syndrome de dysgénésie testiculaire.
[3] – Ce type de diabète était autrefois dénommé diabète gras et touchait des adultes présentant un syndrome métabolique avec HTA et panicule adipeux abdominal excessif.