Colloque CCI France – Belgique à Bruxelles le 6 février 2017
autour de Monsieur Paul Magnette
Ministre-Président du gouvernement wallon
“Après le CETA, quelle stratégie commerciale pour l’UE ?”
Paul Magnette a rappelé les grands moments de la construction européenne qui se trouve aujourd’hui à un tournant sérieux et très grave. Le moteur de la construction européenne a longtemps été la peur – la peur de l’URSS par exemple a aidé à construire l’Europe – et à chaque fois cette construction s’est faite par étapes successives sous la pression extérieure. Ainsi l’on fête aujourd’hui le 25e anniversaire de l’euro ; or, si la monnaie unique existe, c’est en raison notamment des fortes pressions contre le franc français dans les années 80. Le moteur général en politique, c’est l’art de gérer les crises, plus que d’appliquer un programme.
Il y a eu une première période de la construction européenne : les années 50-60. La priorité était alors de construire un marché intérieur, avec en parallèle une politique d’ouverture aux pays tiers, mais une ouverture contrôlée. Cela par l’effet du tarif extérieur commun : à l’époque tout était fait pour faire converger les économies en interne, avec une ouverture contrôlée à la mondialisation. Grâce à l’effet du tarif extérieur, le blé importé, par exemple, était au même prix que le blé intérieur. Et les gains dégagés par ce tarif extérieur étaient réinjectés dans la politique agricole commune. Il y avait donc un équilibre entre la convergence interne et la protection contre le monde extérieur; cela a forgé une adhésion à la construction européenne, tout en apprivoisant la mondialisation.
Puis il y a eu le choc de Maastricht. On s’est privé du pouvoir de la monnaie et en même temps on procédait à l’élargissement de l’Union européenne aux anciens pays de l’Est. Comme l’a montré l’exemple de l’ex-Yougoslavie, il fallait procéder à cet élargissement pour prévenir de plus graves crises, mais on a accru les difficultés. Les vices qui existaient dans le traité de Maastricht sont devenus maintenant des empêchements de gérer l’Union européenne
Et il y avait aussi à ce moment les accords du GATT. L’Union européenne a été et est toujours la première puissance commerciale: il lui serait donc utile de se servir de cette puissance comme levier pour imposer sa vision du monde. Mais ce n’est pas ce qui a été fait, alors même que les négociations commerciales devenaient de moins en moins commerciales. Ainsi, ce qui a posé question dans le CETA, c’est le chapitre 8 de l’accord. Selon la DG Commerce de la Commission européenne, pour lever tous les obstacles aux échanges, il est nécessaire de réduire les réglementations non tarifaires, or il s’agit là d’éléments d’un modèle de société auxquels les citoyens européens sont très attachés.
La DG Commerce ne le comprend pas : elle est très puissante depuis le début de la construction européenne car elle a reçu dès le départ une délégation des Etats. Or l’environnement a changé et si on n’implique pas davantage la société civile, cela ne marche pas. Ainsi, dans le cadre du CETA, un mandat de 20 pages avait été confié à la DG Commerce et 7 ans après, les négociations ont abouti à un accord, annexes comprises, dépassant 2 300 pages. Cette manière de négocier ne fonctionne plus. La rébellion de la Wallonie contre le CETA est le symptôme de la fin d’un cycle.
Mais cela n’est en fait toujours pas compris par l’Union européenne qui pense qu’en soi, l’ouverture économique, c’est bon pour tout le monde. Les traités purement commerciaux relèvent du pouvoir de négociation de l’Union européenne et il n’est pas besoin d’y appliquer la règle de l’unanimité. Quand il s’agit d’un accord mixte, accord qui touche à autre chose que le domaine purement commercial, il faut alors une ratification par chaque parlement national. Donc, soit l’Union européenne fait des accords purement commerciaux, soit elle continue à négocier des accords qui vont plus loin et alors il faudra qu’elle accepte de changer de méthode en impliquant la société civile. Les représentants de l’Union européenne disent que cela n’est pas possible car cela irait trop lentement; ils avancent aussi l’argument de l’urgence avec l’arrivée de Trump et la nouvelle politique américaine; en fait ils considèrent que cela ne peut pas marcher autrement : pour négocier un accord, il faut une délégation et une négociation dans la discrétion comme cela s’est toujours fait.
Mais il s’agit là d’une vision erronée, comme le montre l’exemple des accords de Paris sur le climat – COP 21- qui ont été conclus avec des objectifs acceptés par chaque État; tout cela a été négocié en six ans (moins de temps que pour la discussion du CETA avec le seul Canada), de façon très ouverte, avec des débats incluant la société civile. En cela les accords de Paris se distinguent de l’échec des accords de Copenhague. Le contraste du succès des accords de Paris est également fort avec l’échec du TTIP et cela doit faire réfléchir.
Les Européens acceptaient par le passé le principe de cette délégation de négociation avec une relative opacité dans la négociation des accords internationaux, car l’Europe était peu présente dans les débats de l’opinion publique. Mais aujourd’hui les choses ont changé: il y a aujourd’hui une demande de reddition de comptes et de transparence élevée. Il faut la remplir sinon ce sera l’échec de l’Union européenne elle-même.
La légitimité des pères fondateurs n’est plus là. Pour la jeunesse, la paix est une évidence et ce n’est pas un patriotisme abstrait qui peut faire adhérer à l’Union européenne. Elle ne pourra reconstruire sa légitimité que par des résultats concrets. Il convient donc de mettre en avant de nouveaux projets – par exemple l’Union européenne pourrait se donner comme objectif d’être championne du monde de la réduction de la consommation énergétique. Et il faut non seulement fixer un cap mais également se donner les moyens d’y parvenir comme Kennedy en son temps avec le programme Apollo.
Enfin, la coopération vaut mieux que la concurrence : aujourd’hui lorsqu’on négocie des accords il faut voir qui en profitera ou non, voir comment protéger et accompagner ceux qui n’en profiteront pas. Il faut aussi que les traités soient plus précis sur leur portée et leurs effets et indiquent comment remédier à leurs conséquences négatives; par exemple, il faut prendre en compte la crainte émise par les petits producteurs canadiens de fromages qui seraient concurrencés par les fromages wallons.
Répondant à une question de l’auditoire, Paul Magnette a ensuite évoqué la place de pays comme la Pologne ou la Roumanie, dans une Europe où peut-être ceux-ci pourraient préférer bénéficier d’un régime tiers. Car si l’on est membre à part entière de l’Union européenne, on doit alors également se soumettre à la discipline de l’Union européenne; ainsi il n’est pas admissible que la Hongrie refuse d’accueillir des réfugiés tout en continuant de bénéficier des fonds structurels. La Commission devrait devenir plus dure avec certains pays et revenir à la politique préconisée par Delors en son temps : faire des « package deals » mêlant « l’imbuvable avec le buvable » ; il faudra y revenir même si ce sera difficile.
Conclusion de France Audacieuse:
Une conférence très bien organisée par la CCI France Belgique sur un sujet présenté brillamment par un Européen convaincu. Devant un auditoire largement composé de Français, Paul Magnette a d’abord rappelé ce qui le relie à la France: sa grand-mère française qui était de Flers, dans l’Orne. On peut évoquer trois autres aspects dans la biographie de Paul Magnette : c’est un homme politique socialiste, un universitaire, un amoureux de l’Italie (il a rédigé un mémoire sur Pasolini).
Homme politique, Paul Magnette est effet également un universitaire et chercheur polyglotte avec un parcours très riche: il étudie les sciences politiques et la construction européenne à l’Université libre de Bruxelles (ULB), puis l’histoire des idées politiques à l’Université de Cambridge, enfin il soutient une thèse de doctorat consacrée à la citoyenneté européenne. Il devient ensuite chargé de recherche au FNRS puis professeur de sciences politiques et directeur de l’Institut d’études européennes à l’ULB. Invité dans de nombreuses universités en Europe et Amérique du Nord, auteur d’une trentaine de livres, récipiendaire de nombreux prix scientifiques, il est reconnu comme l’un des meilleurs connaisseurs de l’Union européenne.
Alors que le Parlement européen s’est prononcé sur l’accord du CETA, il était important de rappeler que ces grands accords économiques et commerciaux internationaux ont également de forts enjeux sociétaux.
Nathalie Kaleski – 15 février 2017