5ème Edition des Rencontres de France Audacieuse
Thème : Réveillons notre Europe !
Compte-rendu par Nathalie Kaleski,
Secrétaire Générale de France Audacieuse
de la soirée du 15 novembre 2018
à la Maison de l’Europe de Paris
Intervenants :
Madame Catherine Lalumière, Présidente de la Maison Europe et ancienne Ministre
Monsieur François d’Aubert, ancien Ministre
Madame Alexia Germont, Présidente fondatrice de France Audacieuse
Madame Catherine Lalumière ouvre la conférence et présente Monsieur le ministre François d’Aubert dont elle souligne l’attachement à l’Europe et qui a rédigé l’avant-propos du livre “Réveillons notre Europe” publié par Alexia Germont. Puis elle présente Alexia Germont dont elle salue l’énorme travail accompli dans la rédaction de cet ouvrage qui s’inscrit parfaitement dans l’actualité.
Monsieur le ministre François d’Aubert prend ensuite la parole. Il remercie la Maison de l’Europe de les accueillir lui ainsi qu’Alexia Germont, et souligne la place éminente, la longévité et la constance dans ses valeurs de cette institution.
Il évoque le projet soumis par Alexia Germont à sa maison d’édition qui a abouti à cet ouvrage, vif, intelligent et cultivé, qui retranscrit avec beaucoup de talent la fibre européenne de son auteur. Alexia Germont est venue avec son titre « Réveillons notre Europe » et son sous-titre « l’envie d’une Europe enfin audacieuse », très prometteurs. Ce livre arrive en effet à point nommé alors qu’on reproche beaucoup de choses à l’Europe : il fait faire le tour de ce qui existe, il rappelle qu’il y a un vieux rêve d’une existence d’une Europe qui soit forte, et il ouvre de nouveaux chantiers. Cet ouvrage est aussi l’émanation d’un Think Tank, France Audacieuse, ce qui est significatif de ce moment, car il illustre la règle qui veut que lorsque les partis politiques ne vont pas bien, les clubs de réflexion vont mieux.
Alexia Germont prend ensuite la parole et remercie pour leur accueil et leurs paroles Madame Catherine Lalumière et Monsieur François d’Aubert.
La cinquième édition des Rencontres de France Audacieuse se tient sur un thème important qui inaugure la période à venir : 2019 sera en effet une année historique et carrefour pour l’Europe. Cet ouvrage se veut pédagogique et précise les éléments importants et les grands sujets que l’Europe doit traiter autour de trois grands pôles :
1°) la question migratoire qui va se poser longtemps, fait appel à des convictions très fortes et parfois clivantes et met dans chaque pays, les classes politiques nationales face à leurs responsabilités.
2°) la question géopolitique et ses évolutions : l’Union européenne doit trouver une nouvelle place dans un monde où interagissent les États-Unis de Trump, la puissance grandissante de la Chine, la Russie avec un rôle toujours structurant et l’Afrique avec sa place centrale dans le dispositif à venir.
3°) la question de la gouvernance européenne : le fonctionnement des institutions européennes est en effet souvent questionné, notamment sur le sujet de leur profondeur démocratique.
Et à ces trois points de réflexion s’ajoute bien entendu la question du Brexit.
La situation se tend avec des enjeux historiques, politiques, culturels, sociaux, essentiels. Il va falloir retisser le fil entre l’Union européenne et les citoyens, car l’Europe se meurt précisément d’être déconnectée de ses citoyens.
Il était donc urgent que la société civile apolitique s’empare du débat européen pour s’adresser au plus grand nombre, :aux Européens convaincus, déçus, raisonnés et aussi aussi aux eurosceptiques dubitatifs et aux europhobes forcenés. D’où ce plaidoyer pour l’Europe enfin audacieuse, plaidoyer nourri en profondeur par la réflexion et la documentation pour permettre ensuite à chacun d’approfondir par la suite les sujets qui lui tiennent à cœur.
Alexia Germont évoque ensuite les cinq grandes parties qui structurent son ouvrage. Pour que cet essai soit objectif, il faut creuser les racines du profond désamour entre l’Europe et les citoyens (1ere partie). La voix de la France étant portée par son Président, il faut ensuite creuser l’ambition européenne de son président actuel, Emmanuel Macron (2eme partie). Enfin l’ouvrage prévoit un « Kit de survie », un kit de décodage des institutions européennes dans un but didactique et afin de redonner le sens du projet européen (3eme partie). Et pour que cet ouvrage parle au plus grand nombre, il ne faut pas mettre sous le tapis les sujets qui fâchent et au contraire évoquer la question des « lourdeurs » traditionnelles de l’Europe pour contrer cet argument que les eurosceptiques mettent en avant et rechercher des voies vers plus d’efficacité (4eme partie). Enfin, après ces analyses, l’auteure formule des propositions pour susciter la discussion et le débat (5eme partie).
Sur le désamour des citoyens pour l’Europe : l’impasse dans laquelle l’Europe se trouve actuellement vient de ce que son histoire est tout à la fois porteuse d’espoir et d’avenir, et de ressentiment en germe. On peut distinguer plusieurs étapes de la construction européenne. Au début et jusqu’au début des années 1990, elle s’est fondée sur un besoin de civilisation et de paix. Puis il y a eu le tournant de 1992, avec le traité de Maastricht et ensuite le passage à l’euro en 2000. En 2005, le cadre institutionnel a été modifié et il y a là le germe du ressentiment des citoyens qui ont été heurtés par le mépris de leur vote. L’Europe économique est donc une réussite alors que pour l’Europe politique, la greffe n’a pas pris : en matière institutionnelle il faut réinsuffler du cœur. Les citoyens ont le sentiment que l’Europe s’est faite contre eux : il y a eu deux cassures l’une en 2005 et l’autre avec l’élargissement à marche forcée.
Sur l’ambition européenne du Président : ses différentes prises de parole sont structurées avec un discours européen très ambitieux et très cadré. Or il faut donner un cadre plus quotidien en tenant compte des réalités de la place de la France dans l’Union européenne, de la place de l’Union européenne dans le monde, et de la perspective des élections européennes de Mai dans un contexte de nationalisme rampant. Citant à ce propos la phase d’Albert Schweitzer – le nationalisme est un patriotisme qui a perdu de sa noblesse-, Alexia Germont souligne la nécessité de mettre en avant un patriotisme européen qui va de pair avec l’amour de chacun pour sa patrie.
Sur le kit de survie : il vise à éclairer trois aspects, l’exécutif, le législatif, le juridictionnel et le contrôle, dans ces institutions européennes bien complexes. Dans cette partie, elle a également souhaité redonner le sens du projet européen. Il s’agit tout à la fois de maintenir l’Europe de la paix, d’exister sur la scène géopolitique en défendant un système démocratique et de peser dans l’économie. Car on ne bâtit rien sans souffle ni projet, et c’est là toute la responsabilité des Politiques.
Sur les lourdeurs de l’Europe : Bruxelles est le siège d’une indigestion normative. 32 secteurs de travail ont été isolés par l’Union européenne pour son action, or la Commission elle-même dit qu’il faut se restreindre à 10 secteurs. Alexia Germont propose que les travaux de l’Union européenne se limitent à 5 secteurs prioritaires aux yeux des citoyens qui seront ainsi plus à même d’accepter des législations contraignantes.
Sur les propositions d’action : il y a un manque d’incarnation de l’Europe alors qu’il y a la possibilité d’avoir une Union européenne audacieuse à l’horizon 2025-2027. Pour cela il faut prendre trois grandes décisions immédiates :
- Aller de l’avant seulement dans les secteurs où l’Union européenne peut faire mieux que chaque Etat membre isolément,
- Dans les secteurs ainsi retenus, mettre en place des systèmes d’harmonisation à la carte, chaque Etat pouvant choisir ou non de se joindre à cette harmonisation qui se ferait ainsi sur la base du volontariat et non de l’exclusion,
- Geler tout élargissement jusqu’en 2027.
Les cinq axes de travail coulent ensuite de source : il faut une Europe sécurisée (avec la question des frontières et des migrations, de la Défense commune et d’une Europe renforcée de l’Espace), une Europe au service des citoyens (l’Europe d’Erasmus et l’Europe de l’Investissement), une Europe qui fasse rêver (avec l’Europe de la transition écologique, l’Europe du numérique, l’Europe du capital-risque), une Europe avec une nouvelle gouvernance (une Europe plus démocratique et plus proche des citoyens européens), une Europe plus harmonisée. L’Union européenne doit muer et être audacieuse car si elle bascule dans l’euroscepticisme lors des prochaines élections, alors le projet se détricotera de l’intérieur. L’Union européenne doit muer pour être plus soudée, plus solidaire, plus démocratique, et surtout faire connaitre son travail immense. Et la société civile doit prendre le relais de la classe politique, pour porter ce message.
Reprenant la parole au terme de cet exposé, Catherine Lalumière souligne le travail très remarquable, très documenté et pédagogique avec un style « impeccable et clair », effectué par Alexia Germont « qui a tout compris », bien qu’elle n’ait jamais fait partie du « microcosme européen ».
Elle a cependant regretté que l’ouvrage ne mentionne pratiquement pas le Conseil de l’Europe qui a notamment été à l’initiative de l’élargissement vers les pays de l’Est. De ce point de vue l’expression « à marche forcée » ne lui semble pas tout à fait exacte car il a fallut tout de même 10 ans. Et il s’agissait pourtant d’aller le plus vite possible : c’était une course contre la montre pour intégrer des pays pauvres – voisins de pays riches – afin de prévenir des conflits éventuellement armés dans ces régions. Il fallait donc au plus vite augmenter le niveau de vie ce ces pays.
Catherine Lalumière souhaite également évoquer une autre chose qui lui semble très importante et qu’a très justement analysée Alexia Germont : l’importance donnée au sens du projet européen. On a fait une grande erreur en faisant du Traité de Rome qui est un traité économique, le traité pilier de l’Union européenne. L’économie est importante, mais si on ne fait que de l’économie, on transforme un projet au départ fondé sur des valeurs spirituelles en projet matérialiste or, comme le disait Jacques Delors, on ne tombe pas amoureux d’un taux de TVA. Il faut du cœur, des sentiments, donner un sens à un projet. Cela compte en politique. C’est donc très important de mettre l’économie au service des valeurs portées par les Pères fondateurs de l’Europe. L’ouvrage d’Alexia Germont est ainsi extrêmement riche et complet même s’il aborde peu le volet social de l’Europe.
Alexia Germont précise qu’elle n’a pas mentionné non plus le volet fiscal et qu’elle a préféré évoquer le social de façon éparse, plutôt à travers les exemples du programme Erasmus et du sport et y compris à travers l’idée d’une Europe plus harmonisée. Mais elle souhaite pouvoir développer plus précisément ce point dans une tribune ou une suite de son ouvrage.
Catherine Lalumière ajoute qu’au-delà du fait que les questions sociales sont en elles-mêmes importantes et à mettre au rang des valeurs humanistes, il y a aussi une raison pratique à aborder la question sociale : c’est dans les milieux les plus précaires sur le plan social que se développe l’euroscepticisme. Si l’on veut être efficace et freiner cet euroscepticisme, il faut construire une Europe plus sociale.
Elle conclut son propos en rappelant le caractère tout à fait remarquable du travail accompli par Alexia Germont, qui est source de réflexions et vient vraiment à son heure dans cette période troublée.
Puis, la discussion se poursuit avec le public. Alexia Germont évoque notamment la question de l’imperium juridique américain et de ses conséquences très fortes pour l’Europe, à qui manque l’existence d’une cellule européenne de réflexion stratégique et d’intelligence économique.
Poursuivant sur ce point, François d’Aubert souligne que la supériorité américaine est marquée par une domination dans trois domaines :
- militaire – c’est la première puissance militaire-,
- monétaire – avec les abus dans l’utilisation du dollar comme arme économique contre les entreprises européennes-,
- numérique – avec les géants du numérique et une puissance de recherche qui reste dans ce domaine de très loin la plus importante du monde même si elle sera bientôt rattrapée par la Chine-.
Face à cela, l’Europe est dans une situation d’infériorité : dans le domaine militaire, on n’arrive pas à faire une armée européenne ni non plus une défense européenne et les budgets militaires des Etats membres ne sont pas à la hauteur ; dans le numérique, les résultats sont très insuffisants et les Etats-Unis viennent piocher dans le vivier européen, les start-up qui réussissent. L’Union européenne est en quête d’une réplique sur ces sujets d’actualité et cette réplique se fait attendre. Autre difficulté, l’Union européenne s’est construite avec des heurts et en zigzag, et aujourd’hui elle est minée de l’intérieur : le Brexit est très grave et peut donner des idées à d’autres en Europe, d’autant que l’on voit renaitre des mouvements d’irrédentisme un peu partout, par exemple en Catalogne, ce qui rend encore plus difficile la construction européenne mais peut aussi constituer un stimulant pour aller plus loin dans l’harmonisation de certains domaines. Même si en matière budgétaire et fiscale, on est loin du compte, un tiers des Etats membres de l’Union européenne étant des paradis fiscaux. Il faut donc se concentrer sur les questions les plus actuelles et pour une meilleure collaboration en Europe, tenter d’abord de réduire les différences entre l’Allemagne – Etat très déconcentré- et la France –Etat très centralisé- . Ainsi, en Allemagne, il y a un « CSA » par länder alors qu’en France il n’y a qu’un seul CSA. C’est une situation qu’il faut savoir traiter quand on veut avoir une politique européenne de l’audiovisuel.
Au terme de la discussion avec le public, la soirée est clôturée par Catherine Lalumière qui annonce les nombreux débats à venir à la Maison de l’Europe dans le cadre de la période pré-électorale européenne.
Nathalie Kaleski
Secrétaire Générale de France Audacieuse
Le 24 novembre 2018