Les Regards Décalés d’Ariane Sauvage
Correspondante de France Audacieuse en Californie
Covid 19 : les laboratoires de recherche dans la tourmente
Episode 2 de l’interview d’Amandine G., écologue
Suite de l’interview d’Amandine G, écologue
Comment votre laboratoire a réagi quand la crise sanitaire a commencé en Californie ? Votre patron a-t-il ordonné à tout le monde de ne plus s’occuper que de cela de toute urgence ?
Non, nous avons un boss très flexible, il tient à nous donner l’opportunité de choisir ce sur quoi on doit travailler. En revanche, lui a réagi très vite. Il avait déjà travaillé sur la question de comment contrôler une pandémie via le screening de symptômes dans les aéroports, en particulier pour réduire la dissémination des virus influenza (Gostic et al. 2015, eLife). Une problématique qui dépend notamment de la période d’incubation. Il peut y avoir des gens infectés non malades en montant dans l’avion puis malades à la sortie, ou alors des gens infectés mais qui ne montreront aucun symptômes le temps du voyage. La première fois que l’on a entendu parler du coronavirus au niveau international, si je ne me trompe, c’était le 31 décembre 2019, et quand nous avons su que le virus provenait de Chine, notre première question a été : comment fait-on pour qu’il ne sorte pas de Chine ? Qu’il ne rentre pas dans d’autres pays ? Du coup, mon patron s’est remis en contact avec les collègues avec lesquels il avait travaillé sur les virus influenza. A l’époque, on ne savait rien, ni la période d’incubation, la proportion des symptômes, etc…Donc, c’était une étude basée juste sur les simulations (Gostic et al. 2020, eLife). Maintenant on sait qu’il y a trop d’asymptomatiques, ce qui fait que les méthodes basées sur screening à l’aéroport ne servent à rien dans le cas de SARS-CoV-2 (alors qu’elles avaient été efficaces dans le cas de l’épidémie de SARS-CoV en 2003 ; Ramussen et Popescu 2021, Science). La prise de température par exemple ne pouvait pas suffire à stopper cette épidémie. En tout cas, cela a été notre première réaction, en janvier 2020.
Et vous ?
En fait, je fais aussi partie d’une équipe qui s’intéresse aux risques que les virus portés par les chauves-souris posent à la santé humaine, et comment limiter ces risques (BatOneHealth.org). Nous travaillons avec une collaboratrice australienne à Montana State University qui a assemblé une équipe avec des modélisateurs, des virologues et des écologues qui travaillent sur les chauves-souris, d’autres qui étudient les arbres où les chauves-souris se nourrissent. L’équipe est répartie en une vingtaine de groupes qui font des missions de terrain au Bangladesh, en Afrique, en Australie, et d’autres basés aussi en Europe, en Asie, en Australie, etc… En tout, nous sommes une centaine de chercheurs du monde entier, à travailler sur ce programme.
Comme nous travaillions de toutes façons sur les virus des chauves-souris et la prévention de pandémies, c’était logique de passer au coronavirus. Je travaillais alors sur des données produites par mes collaborateurs à Cornell University (New York) et aux Rocky Mountain Laboratories (Montana), mais eux, pour le coup, n’ont guère eu le choix. Ceux dans le Montana travaillent dans un laboratoire P4, de haute sécurité (ou ils étudiaient les virus Nipah, Hendra, Ebola et MERS par exemple), et là, leur employeur, à savoir le NHI : National Health Institute, leur a ordonné d’arrêter tout ce qu’ils faisaient et de ne plus s’occuper que du coronavirus en raison de la crise sanitaire. Donc, là, déjà, la collection de la moitié des données sur lesquelles je devais travailler a été interrompue. A Cornell University, ils ont un laboratoire P3, ce qui leur permet aussi de travailler sur le coronavirus. Mais les universités ayant fermé, mes collaborateurs ne pouvaient plus travailler sur leurs projets actuels (ni m’envoyer de données) . Comme ils avaient les compétences nécessaires et disposaient de ce labo P3, ils se sont aussi tournés vers l’étude du coronavirus, la seule autorisée. Toutes mes données se sont ainsi concentrées sur le coronavirus et je me suis retrouvée sur un terrain fertile pour travailler là-dessus, moi aussi.
Vous étiez donc tous opérationnels très tôt ?
Assez, oui. Quand le premier cas a été détecté aux États-Unis, c’était en février 2020 dans l’état de Washington. Nos collègues du NIH, une agence fédérale, ont pu avoir accès aux échantillons collectes à Washington, des écouvillons contenant le virus vivant dedans (Harcourt et al. 2020, Emerging Infectious Diseases). Ils ont utilisé ces échantillons ainsi que le génome du virus publié un peu plus tôt (le 11 janvier), pour diverses analyses puis ont rapidement commencé à travailler sur un vaccin potentiel.
Par exemple, ils ont pu identifier le récepteur cellulaire du virus, qui permet d’infecter les cellules humaines : la protéine ACE2 (Letko et al. 2020, Nature Microbiology).
Pour les chercheurs, une telle crise est-elle une opportunité ?
Pas pour tous. Beaucoup d’universités ont fermé, pour certains, ceux qui n’avaient pas un lien direct avec la recherche sur le coronavirus, ça a été une catastrophe, ils ont du tout interrompre. Pour ceux qui ne faisaient que du terrain, leur campagne s’est arrêtée, ceux qui travaillaient en labo, sur des plantes ou des poissons, par exemple, c’est devenu impossible de continuer. Mais pour moi, comme mon travail est à 100% sur ordinateur, le fait que UCLA soit fermée, le fait de devoir travailler de la maison ne m’a pas du tout impactée.
Nos collègues au NIH et à Cornell University en revanche ont travaillé comme des fous, ont passé des semaines très dures pour trouver une réponse à la crise. Ils avaient des dérogations pour aller à leur labo. Ils y passaient des journées très longues, n’ont pas pris de week-end pendant des mois. Travailler en P3 ou P4, c’est très éprouvant. Il faut porter une combinaison hermétique, prendre une douche pour entrer et pour sortir, tout est lent mais on ne peut pas prendre une pause, vérifier son portable, ou regarder une vidéo cinq minutes pour se détendre. Il y a un nombre infini de précautions à prendre pour éviter tout accident. Juste se couper avec une aiguille qu’on vient d’utiliser pour injecter un virus à une souris peut être dramatique. Ce sont des règles qui ont été établies pour les virus les plus mortels au monde, comme Ébola, du coup le protocole est très lourd, même si pour SARS-Cov-2 la mortalité n’est pas si haute. Les chercheurs n’ont pas le droit de rester plus de cinq heures de suite, ils se retrouvent avec des journées complètement déstructurées, alors qu’ils veulent y aller le plus souvent possible pour récupérer le plus de données possibles et en même temps ils sont contraints par ces tranches de cinq heures. Ils se débrouillent pour que certains puissent y aller de jour, et les autres, la nuit.
Quand on pense que le Montana est un des plus vastes états de l’Union, rempli de ranchs et de bisons, et l’un des moins peuplé, c’est surprenant de savoir qu’il s’y trouve un labo de haute sécurité !
En fait, c’est même un laboratoire très ancien qui a été établi en 1923, conçu pour travailler sur une maladie mortelle transmise par les tiques (la « Rocky Mountain spotted fever ») et qui faisaient des ravages chez les fermiers et les éleveurs.
Parlant de maladie mortelle, l’épidémie du Covid 19 est-elle si proche de la grippe ?
Alors, ça, c’est l’un des grands débats, auquel je préfère ne pas donner de réponse. Même au sein de la communauté scientifique, on a beaucoup entendu au début que le Covid était comparable à la grippe. Après on a entendu que ce n’était pas du tout la grippe. Ensuite, on a compris que le virus se transmettait par les particules respiratoires, y compris à longue distance, du coup il y a eu des comparaisons qui ont été faites avec la rougeole (Greenhalgh et al. 2021, The Lancet). Au niveau mortalité, cela ressemble un peu plus à la grippe qu’à la rougeole, au niveau immunitaire, cela ressemble surement plus à la rougeole (dans le sens ou l’infection met du temps à s’établir et s’étend généralement sur plusieurs jours), et au niveau transmission, c’est un peu entre les deux.
Ariane Sauvage.