Les respirateurs sont des machines qui permettent de compenser la ventilation insuffisante ou inefficace de patients en réanimation. Ils assurent transitoirement l’oxygénation de tous les organes et tissus de l’organisme. Pour être efficace, cela impose que le patient soit profondément endormi et curarisé [1] pour éviter une résistance de celui-ci à cette ventilation externe qui littéralement « souffle dans ses bronches ». Pour être compris, nous devons indiquer de quoi se compose une anesthésie générale ou un « coma artificiel ». Trois classes de produits sont utilisées. D’abord un narcotique qui entraîne de façon évidemment réversible ce que les journaux appellent un coma. Elles rendent le patient complètement inconscient. Ensuite, des drogues 100 à 200 fois plus puissantes que la morphine, car même sous anesthésie générale ou en réanimation, le corps ressent la douleur [4]. Enfin des curares qui paralysent complètement l’ensemble des muscles y compris respiratoires lorsque c’est nécessaire.
Un peu d’histoire
En 1794, Dominique Larrey, un chirurgien militaire, crée les premières « ambulances volantes ». Tirée par des chevaux, elles accompagnaient les soldats au front et ramenaient les blessés. Quelques temps plus tard, Pierre-François Percy crée le corps de chirurgie mobile. Il est à l’origine du concept d’ambulances médicalisées. On sait d’ailleurs tout ce que la médecine d’urgence et de catastrophe civile doit à ces glorieux prédécesseurs.
La création des respirateurs est historiquement très récente. Avant leur invention dans les années 1950 [5], on utilisait une énorme machine appelée le poumon d’acier [6]. Cet appareil de ventilation à pression négative inférieure à la pression atmosphérique permet à une personne de respirer en cas d’insuffisance de la ventilation pulmonaire en diminuant l’effort musculaire nécessaire. Les premiers respirateurs portables sont mis au point vers 1950 en Scandinavie.
En 1956, le Professeur Maurice Cara à la Pitié-Salpêtrière met au point un appareil respiratoire portable de son invention. Il réalise le premier transport médicalisé de patients en insuffisance respiratoire aiguë lors d’une reprise de cas de poliomyélite en Suède. Ils ont été utilisés par les médecins militaires lors de la guerre d’Algérie (1954 à 1962) pour les rapatriements héliportés des soldats gravement blessés [7]. En 1964, le Pr Louis Lareng fait officialiser à Toulouse le premier transport médicalisé par des médecins hospitaliers. C’est l’ancêtre des SAMU. Le 5 juillet 1968, intervient la création du premier SAMU officiel [8]. Le 6 janvier 1986 les textes fondateurs de l’aide médicale d’urgence forment l’acte de naissance des SAMU.
Etat de l’art actuel en matière de respirateurs
Aujourd’hui il existe plusieurs types de ventilateurs [9].
Contrairement à ce qu’on peut lire et entendre, il n’existe pas de bons respirateurs qui sont meilleurs et sauvent des vies en réanimation et les moins bien soignants utilisés faute de mieux. Il n’y pas de différences de qualité mais d’indications médicales. Ils sont utilisés sur des patients endormis ou comateux.
Les respirateurs de transport et d’urgence
En routine, ce sont des appareils incontournables utilisés tous les jours dans leur bonne indication. Ils permettent de « redonner le souffle » (reanima) à des personnes en risque vital en dehors des services de réanimation.
Peu sophistiqués, très peu encombrants, ils permettent d’assurer le transport des SAMU, des transports aériens ou aux urgences des hôpitaux devant une détresse vitale immédiate se présentant aux urgences. Ils sont donc essentiels mais ils ne permettent pas d’assurer une ventilation adaptée au bloc opératoire ou au long cours en réanimation. Avec la pandémie de COVID-19, ils ont permis la performance incroyable qu’ont réalisée les équipes de transfert en France et à l’étranger par avion, hélicoptère, au SAMU.
Une première mondiale à ma connaissance qui a permis de transférer en TGV des patients graves infectés par le COVID-19 en « coma » thérapeutique. Endormis, curarisés et sous ventilation artificielle, le patient n’a aucune autonomie respiratoire. Pour chaque personne transportée, il a fallu mobiliser un réanimateur, un infirmier anesthésiste et un aide-soignant… sans compter les cinq personnes nécessaires pour installer et débarquer les malades. On ne mesure pas à quel point il s’est agi d’une performance inouïe et inimaginable avant la pandémie.
Les respirateurs d’anesthésie et de réanimation chirurgicale
Ils ont permis les débuts de la réanimation et de l’anesthésie moderne avec le respirateur à pression positive Angstrom en 1952 [10]. Il fut alors utilisé à Copenhague lors d’une nouvelle épidémie de poliomyélite. Les machines à insuffler de l’air dans les poumons à pression positive intermittente de cette époque ont permis des progrès phénoménaux.
Ainsi des actes chirurgicaux lourds et dépassant les quatre heures ont été possibles dans des conditions de confort unique pour les chirurgiens. Ceci ne pouvait pas être entrepris sans un relâchement musculaire complet du patient. Le grand âge et l’état de santé même très dégradé des malades devant être opérés n’a plus été un obstacle. Si nécessaire, les patients ont été admis en réanimation chirurgicale.
Les patients aux suites chirurgicales compliquées ou opérés de chirurgies complexes étaient pris en charge dans de petites unités dites de soins intensifs (USI) installées au début des années 1970 dans les services d’orthopédie, de chirurgie digestive, de neuro-traumatologie et de chirurgie cardio-thoracique. Les médecins anesthésistes vont alors assurer la prise en charge des opérés.
Aujourd’hui tous les patients passent en salle de réveil permettant une sécurité maximale des patients en phase de réveil souvent encore intubés jusqu’au réveil complet. Les respirateurs complexes, perfectionnés et donnant toutes les possibilités de mode de ventilation et d’oxygénation, de contrôle ou d’alarme sont maintenant parfaitement interchangeables entre salles d’opération, de réanimation chirurgicale ou médicale.
Les respirateurs de réanimation médicale
La réanimation médicale est née en France, en 1954. Elle représente alors une nouvelle médecine qui va révolutionner la thérapeutique et le pronostic des maladies aiguës avec défaillance des fonctions vitales. La pratique de cette discipline fondée sur une approche des signes de gravité et sur des moyens techniques lourds les plus modernes au premier rang desquels figurèrent, en première mondiale, le rein artificiel et la respiration assistée par appareil mécanique.
Elle a renouvelé notre conception des pathologies en médecine interne et ouvert la voie à une nouvelle pensée médicale [11]. Sur les traces de Claude Bernard, ils se sont attaqués au tétanos aigu généralisé de l’adulte dont plus de 400 cas étaient observés chaque année en France. Dès lors, plus de 100 cas par an furent admis jusqu’à la fin des années 1970. Ce fut l’époque de la première publication scientifique : « Le traitement héroïque du tétanos gravissime par curarisation maximale sous ventilation assistée ». Pierre Mollaret à l’hôpital Bichat organisa en 1952 un centre de réanimation neuro-respiratoire dans son service. Il transforma pour cela le pavillon Pasteur réservé aux rougeoles en une unité moderne de réanimation.
En réanimation ces machines ont permis de ventiler des malades pendant une longue durée. Depuis l’introduction de l’électronique, ces machines de plus en plus sophistiquées sont de plus en plus fiables et munies d’alarmes, de capteurs en particulier mesurant l’oxygène dans les gaz insufflés et le gaz carbonique dans les gaz expirés. Elles permettent d’adapter finement le respirateur aux besoins du malade et d’assister un patient respirant seul avec une assistance respiratoire.
En conclusion
Si on ose souligner des points positifs de cette pandémie, on ne peut qu’admirer et respecter le travail littéralement admirable des soignants. On peut se féliciter de l’information donnée à la société civile et du respect pour ces médecins de l’ombre qui quotidiennement sauvent véritablement des vies en temps normal mais plus encore aujourd’hui.
On annonce tous les jours le nombre de patients sortant guéris ou morts des services de réanimation mais, au-delà de ces statistiques, imagine-t-on le travail acharné, au bout de leur épuisement et d’un dévouement sans faille, qu’il a fallu aux médecins, aux infirmières, aux aides-soignants et jusqu’au personnel de ménage. Ceci sans renoncer ni transiger sur les impératifs éthiques dus aux malades.
Et ceci au péril de notre vie. Faute de matériels adaptés au début de la pandémie et non pas au déficit de personnel tellement l’élan de solidarité des citoyens du soin ou non a été phénoménal. Il faudra bien à un moment ou à un autre relever le nombre de médecins et de soignants décédés du COVID-19. Il faudra rendre des comptes après. Et ce n’est pas la proposition indécente de leur attribuer la Légion d’Honneur qui consolera les familles.
Dr Jacques HASSIN
Cette contribution fait référence à l’histoire de l’anesthésie [2] et à une publication récente [3].
[1] – Ces drogues entraînent une paralysie musculaire totale permettant l’adaptation la plus efficiente à la ventilation mécanique.
[2] – Marguerite Zimmer, Histoire de l’anesthésie, méthodes et techniques au XIXè siècle, EDP Sciences, (2008), 757 pages
[3] – Ventilation et respirateurs de réanimation, Journal d’Anesthésie-Réanimation, septembre 2016.
[4] – Ce que l’on observe avec des signes indirects (augmentation de la fréquence cardiaque, transpiration, élévation de la pression artérielle).
[5]– Cet appareil a été inventé par Philip Drinker et Louis Agassiz Shaw, pour traiter les patients atteints de poliomyélite ayant une paralysie du diaphragme. Le premier poumon d’acier a été utilisé le 12 octobre 1928 au Children’s Hospital de Boston sur un enfant inconscient par insuffisance respiratoire. Depuis, avec la quasi disparition de la poliomyélite dans les pays occidentaux (sauf en Afrique, en Asie et dans le nord de l’Inde) et l’apparition des ventilateurs en pression positive, les poumons d’acier ne sont plus utilisés.
[6] – Ce cylindre de plus de deux mètre de long pesait 300 kilos. Elle ressemblait aux caissons hyperbares utilisés dans les accidents de plongée. Une patiente atteinte de poliomyélite à l’âge de 11 ans a passé plus de 60 ans dans ce caisson avent de mourir en 2009.
[7] – Nous avons connu les hélicoptères « Alouette 3 » pouvant transporter deux blessés installés sur des supports extérieurs à la machine et qui ne permettaient de réaliser aucun soin. Nous avons assuré des rapatriements en avion militaire « Nord 2-6-2 » pour rapatrier de Nantes un couple de personnes polytraumatisée à Villacoublay puis à Henri Mondor à Créteil.
[8] – Nous étions présent à l’inauguration du SAMU 94 en 1975.
[9] – Terme exact de ces machines même si le terme de respirateur est aujourd’hui utilisé.
[10] -Elle est mise au point par Carl Gunnar Engström, un anesthésiste suédois. Nous avons connu et travaillé avec cette machine au début de notre carrière il y a 40 ans. Cette machine lourde et encombrante, très rustique avait l’avantage d’être facile à utiliser et à régler. Un ingénieux système de soufflets permettait de réaliser les cycles d’inspiration et d’expiration.
[11] – Vachon, F. Histoire de la réanimation médicale française: 1954–1975. Réanimation 20, 72–78 (2011).