Films français, cérémonie américaine : les Oscars !
Les regards décalés d’Ariane Sauvage
correspondante de France Audacieuse en Californie
Pour la France, le cru Cinéma 2024 s’est révélé excellent. The Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, basée à Hollywood et qui organise la cérémonie des Oscars du 10 Mars, a octroyé dans les derniers mois pas moins de neuf nominations à des productions ou coproductions françaises. Un véritable retour sur scène depuis le triomphe de The Artist en 2012. Le désormais célèbre Anatomie d’une chute, de Justine Triet et Arthur Harari, est nommé dans cinq catégories, dont Meilleur film, Meilleure réalisation et Meilleur scénario. Le dessin animé Mon ami robot, se retrouve en lice pour l’Oscar du Meilleur film d’animation. Deux autres films, Pachyderme et Letter to a Pig, sont en compétition pour l’Oscar du Meilleur court-métrage d’animation. Et enfin, le récit Les Filles d’Olfa, est nommé dans la catégorie Meilleur documentaire.
On ne présente plus Anatomie d’une chute, le film déjà vainqueur, entre autres, de la Palme d’or du Festival de Cannes et de deux Golden Globes. Mais pour la conquête éventuelle d’Hollywood, le contingent français peut aussi compter sur l’infrastructure locale, les services culturels du Consulat général de France à Los Angeles, et d’une autre organisation, la Villa Albertine.
Entretien avec Aude Hesbert, directrice de la Villa Albertine à Los Angeles :
Pouvez-vous nous présenter la Villa Albertine et son action :
« C’est un programme de résidence, initié il y a trois ans pour accueillir des artistes francophones ayant des projets créatifs ancrés sur le territoire américain. Et permettant d’ouvrir sur des possibilités de coopération avec des partenaires américains. C’est un programme déployé sur dix antennes aux Etats-Unis, et qui nous a permis de recevoir déjà plus de 80 artistes sur tout le territoire. Ce programme a reçu le nom de Villa Albertine en hommage à Marcel Proust, bien sûr, et à la célèbre librairie française de New York. Dans les années à venir, ce sera notre rôle d’assurer la diffusion des projets réalisés et leur visibilité. »
Comment soutenez-vous la promotion du film Anatomie d’une chute ?
« Dans une campagne pour les Oscars, le distributeur a un rôle fondamental, beaucoup plus que nous. Il pèse même dans la balance de la décision du comité France d’envoyer un film ou pas. On juge sa capacité à déployer un plan de communication conséquent. Ce sont des opérations qui coûtent très cher, c’est un investissement qui dure presque six mois, en temps, en argent, en déplacement des équipes. Dans le cas d’Anatomie d’une chute, c’est la société américaine Neon qui est en charge de la distribution et qui a fait un travail exceptionnel de relations publiques et de presse. Ils ont eu un gros coup de cœur pour le film et l’ont pris sous leur aile.
Nous l’accompagnons bien sûr de notre mieux. Nous avons organisé au Consulat un hommage à Justine Triet et aussi contacté des salles pour essayer de diffuser ses anciens films. Mais nous n’avons pas de budget dédié pour aider financièrement le distributeur. Ce rôle-là appartient plutôt à Unifrance, l’organisme gouvernemental chargé de la promotion du cinéma français contemporain à l’étranger.
Au final, avec tous les efforts conjugués, nous présentons un film doté d’une carrière exceptionnelle, avec 88 prix, 177 nominations et 3 millions d’entrée dans le monde. »
Comment peut-on expliquer ce succès ?
« Le succès d’une œuvre reste toujours mystérieux. Il défie même toutes les lois des algorithmes ! Cela fait partie de la beauté de ce métier. »
Avez-vous de l’espoir aussi pour les autres films en compétition ?
« En plus du documentaire, nous présentons trois films d’animation. Il est certain que depuis des années l’animation est l’un des fleurons de l’industrie française du cinéma. Notre école des Gobelins à Paris reste la première école d’animation dans le monde entier, la plus prestigieuse et la plus performante. On peut y suivre un cursus anglophone. L’enseignement y est donné avec les méthodes les plus performantes de l’animation, des techniques très solides, mais avec une French touch artisanale, que propose la France et que l’industrie de l’animation dans le monde n’a pas toujours. Beaucoup de dessinateurs français travaillent ici, dans les studios d’Hollywood et quasiment chaque année il y a des films d’animation français qui concourent aux Oscars. »
Dans une perspective plus large, peut-on dire que ces beaux succès sont les témoins d’une diplomatie culturelle dynamique et bien menée, un vrai soft power à la française ?
« Certainement. La culture reste une manière de déployer des valeurs de la façon la plus douce possible, et le cinéma, qui est un art très populaire, en est l’un des meilleurs véhicules. Et la France est un monde à part pour le cinéma, la création y reste très vivace depuis de nombreuses années. Par exemple, l’un des enjeux de la Villa Albertine aujourd’hui est l’attractivité, comme d’attirer des tournages américains en France. Nous n’avons pas à rougir de notre diplomatie culturelle, nous sommes l’un des plus présents sur de nombreux territoires, où l’image de la France en termes de culture reste très prestigieuse. »
Divers professionnels américains du milieu du cinéma se montrent de fait assez optimistes pour les œuvres françaises d’animation, qui ont été largement saluées par la critique. Ils sont plus sceptiques en revanche quant aux chances de succès pour Anatomie d’une chute à la cérémonie de dimanche. Selon un producteur de série TV: « J’ai vraiment apprécié le film de Justine Triet. Mais les Oscars sont une manifestation très stratégique. Je crois qu’il eut été plus judicieux de faire la promotion du film dans la catégorie Meilleur film étranger, où il avait ses chances, plutôt que dans la catégorie Meilleur film tout court, où il va se retrouver confronté à de gros poids lourds, comme Oppenheimer, the Holdovers, The Zone of Interest ou Killers of the Flower Moon. Ce sera difficile de s’imposer face à eux. Cependant, avec les Oscars, on ne sait jamais, tout peut arriver »
Un manager de talents renchérit de son côté : « Hollywood a connu six mois d’une grève très lourde, qui a coûté fort cher, en prestige et en argent à notre industrie du cinéma. Une perte sèche de cinq milliards de dollars ! Nous avons aussi perdu 50% de notre temps de production, ce qui a valu à beaucoup dans les métiers annexes comme costumier ou maquilleuse de se retrouver chauffeur ou garçon de café pour pouvoir régler leurs factures. Au milieu de cette grève, en juillet, nous avons eu la chance d’avoir deux gros succès : Barbie, et Oppenheimer. Barbie a rapporté plus d’un milliard de dollars, et Oppenheimer se rapproche lentement de ce chiffre. Comme l’Académy n’a pas de catégorie Comédie, où Barbie se situerait, Oppenheimer, doté de treize nominations, occupe tout l’horizon, avec le célèbre Christopher Nolan comme réalisateur, et toute une troupe de grands acteurs comme Robert Downey Jr. Je pense que les responsables de l’industrie vont massivement le défendre au détriment de tout autre film, si célébré soit-il. En tout état de cause, les choix de 2024 représentent une sélection de grande qualité et cette 96ème cérémonie des Oscars va être fort intéressante »