Les Dossiers de France Audacieuse
Cycle Luxe
par Prune Brennan
2ème partie : Mode et Luxe : une industrie française… un peu d’histoire
3. De l’artisanat d’art aux grands magasins du XIXème siècle
Révolutions et art de vivre à la française
La révolution de Juillet 1830, en favorisant la « classe moyenne », relancera sous une autre forme l’industrie luxe, en plaçant l’artisan comme garant du « bon goût » et guide cette nouvelle classe sociale pour se distinguer. C’est ainsi que le début du XIXème marque le début d’une certaine démocratisation du luxe, en tous cas, une demande qui s’accroit largement. L’époque est marquée par de nombreuses innovations qui créent aussi une fulgurante dynamique. L’industrialisation du XIXe siècle constitue une étape clé : certains objets, autrefois exclusifs aux classes aisées, sont produits en série.
Porté par la croissance économique liée à la révolution industrielle qui profite à l’ensemble des régions de la France et à l’embellissement progressif de Paris, sous la Seconde République (1848-1852) et le Second Empire (1852-1870), la demande pour la mode et le luxe va en s’accentuant. Les nombreuses expositions universelles seront également de véritables révélateurs et diffuseurs des savoir-faire du luxe français (Lancées à Londres en 1851, Paris accueillera 5 expositions dans le courant du XIXème siècle ! la première en 1855).
Le développement de la photographie, qui permet donc aux créations de voyager, donna une renommée considérable au luxe français. Elle permit notamment à la France de s’imposer fortement à l’international et donc attirera une clientèle venue du monde entier. (premier procédé photographique, 19 août 1839, par Louis-Jacques-Mandé Daguerre (1787-1851), décorateur de théâtre parisien). Rapidement d’ailleurs, la photographie de mode devient un art.
C’est aussi l’époque de la naissance de Grands Magasins parisiens : grandes boutiques, aux façades avenantes et voyantes, qui proposent une diversité d’articles en leur sein, des « nouveautés », aux prix affichés ! En un mot, des boutiques où l’on trouve tout ce qui fait l’art de vivre bourgeois, en grandes quantités et à bas prix. Cela est permis grâce à la production de masse dans les ateliers et usines de confection du Nord de la France qui permet de baisser les prix, donc de vendre plus et enfin de produire plus. C’est le cercle vertueux de la croissance économique. Enfin, ces quantités astronomiques de produits sont acheminées vers les lieux de consommation comme les grandes villes et Paris, grâce aux voies de chemin de fer. Une fois exposés dans les Grands Magasins, les produits sont consommés par une élite grandissante qui a besoin de montrer sa réussite en achetant, dans une capitale qui s’urbanise, s’embellit et voit s’accroitre la concurrence entre Grands Magasins. Le Bon Marché ouvre ses portes en 1838. Le Printemps en 1865 ; construit aux abords de la gare Saint-Lazare, le Grand Magasin serait à proximité directe des livraisons ferroviaires, donc des marchandises, mais également tout près du futur opéra en construction, proche de la Madeleine, l’un des endroits les plus huppés de Paris. C’est une révolution, qui traduit de nouveaux modes de consommations. Les prémices de la consommation « de masse », de l’ouverture des centres commerciaux, du marketing commercial et d’expérience client : nouvelles méthodes de vente (catalogue, satisfait ou remboursés, soldes pour attirer les clients en période creuse, système de fidélisation, …), création d’«espace lounge » pour faire patienter les hommes, ….
Apparition des grandes Maisons françaises, plus particulièrement parisiennes
La Place Vendôme est devenue le lieu du luxe et de l’élégance à la parisienne, dans la prolongation de la Rue de la Paix, elle-même très luxueuse, au Second Empire. Les grands noms de la joaillerie, de la maroquinerie et de la haute-couture ont pris possession des lieux. La statue qui surplombe la place, et que l’on peut admirer encore aujourd’hui en 2022, y a été installée par Napoléon III en 1863.
La « Haute Couture » fait son apparition grâce à l’anglais Charles-Frédéric Worth (1825-1895) qui aura l’idée de faire défiler des mannequins, hommes et femmes, dans ses salons transformés en serres délicatement parfumées, pour mettre en valeur ses créations.
La nouvelle esthétique, l’évolution de l’esthétique de l’odorat, les progrès de la chimie avec notamment l’apparition de la chimie de synthèse, la découverte du vaporisateur, marqueront la naissance de l’industrie du parfum : une gamme olfactive élargie, une sophistication des flacons, une poésie linguistique pour évoquer les nouveaux bouquets. Les eaux de Cologne sont fabriquées de manière industrielle. L’extension du réseau de distribution dans les merceries et la modicité des prix des savons parfumés permettent de conquérir une nouvelle clientèle. Un nom se distinguera parmi tous en 1828 : Pierre Guerlain à l’époque jeune chimiste qui créera sa Maison en 1828. Mis à part l’eau de Cologne, la fabrication se concentre à Paris et à Londres. Les principales sources d’approvisionnement en matières premières demeurent à Grasse et Nice. Les parfums triomphent à l’exposition universelle de 1868. La France exporte dans le monde entier.
Le luxe français doit beaucoup à ses créateurs, passionnés et entrepreneurs, mais doit aussi énormément à sa capitale Paris, la ville lumière, qui a véritablement illuminé des personnalités de l’époque (familles de haut rang, actrices en vogue, etc.) qui s’empressèrent de porter et surtout de se montrer avec des pièces parisiennes, représentatives du meilleur goût, de « la mode à la française ». La ville en tant que telle s’est transformée sous l’égide du baron Haussmann nommé par Napoléon III en 1858 et il est indéniable que son architecture contribuera de manière significative à son éclat avec notamment la construction de l’Opéra Garnier en 1862, le Grand Hôtel ou encore le Ritz construit en 1898.
C’est la naissance de grandes Maisons de la Mode et du Luxe, principalement françaises, plus précisément parisiennes, comme :
Puiforcat (1820, Paris France ; coutellerie), Guerlain (1828, Paris France ; parfum et cosmétiques), Christofle (1830, Paris France), Hermès (1837, Paris France), Tiffany (1837 New York, USA>> acquisition LVMH en janvier 2021), Cartier (1847 Paris, France), Louis Vuitton (1854, Paris France), Burberry (1856 Basingstoke RU)
Jansen (1880, meubles en bois), Bulgari (1884 Rome, Italie), Lanvin (1889, Paris 16 rue Boissy d’anglas France), Van Cleef & Arpels (1896) …
Paris, devient capitale de la Mode et du Luxe.
4. La frénésie du luxe au début du XXème siècle et la métamorphose industrielle
Démocratisation et internationalisation de l’offre
Les deux grandes guerres 1914-1918 puis 1939-1945 marqueront deux temps d’arrêt suivis de reprises, frénétiques, à chaque fois. C’est la dimension-plaisir du luxe et l’état d’esprit particulièrement festif qui fait suite aux ténèbres des guerres qui créent ce bouillonnement et en même temps un caractère plus sobre à la mode et au luxe.
Au sortir de chaque guerre, le luxe et la mode repartent de plus belle en surfant sur les innovations de l’époque : l’électricité par exemple, dans les magasins, dans les usines, mais aussi le béton ou le fer pour la construction, ou encore la chimie. L’ancêtre de L’Oréal voit le jour en 1909…. Les affaires sont florissantes, les investissements couplés aux innovations et à l’Art Nouveau puis Art Déco, de l’époque permettent de moderniser, magnifier et passer un réel cap en termes de style … de volumes de produits de luxe vendus.
La haute-bourgeoisie s’enrichit, voyage et consomme de plus en plus. C’est l’époque des débuts de Chanel ou Christian Dior, de Schiaparelli, l’envol de Cartier. L’automobile avec la naissance de Ferrari arbore aussi une nouvelle image haut de gamme, devenant la convoitise internationale des grands noms de l’époque. A la fin des années 40, on compte 106 maisons de « haute-couture » (label officiel) et le secteur de la parfumerie explose.
Il faut aussi noter le rôle joué par les Américains restés en France qui ramèneront plus tard chez eux le luxe et la mode française, parisienne évidemment mais également plus largement ce goût pour « l’art de vivre à la française ». La fréquentation et le développement de la « French Riviera » dans le midi en est une illustration. C’est l’époque du charleston, des fêtes les plus folles organisées par Scott Fitzgerald et sa compagne Zelda. L’industrie de la mode et du luxe s’internationalise. Bientôt le marché américain sera son premier client.
A l’aube des années 50, la plupart des griffes de haute couture commence à commercialiser des dérivés dit « produits de luxe » tel que des accessoires, foulards, sac à main, rouge à lèvres, parfums : des produits plus accessibles, touchant une plus large clientèle. (exemple chez Cartier : briquets puis de la maroquinerie en 1973 et un parfum en 1980). Ainsi, le luxe qui au début du XXe servait essentiellement une clientèle internationale, couronnée, et des bourgeois très fortunés se démocratise progressivement et rapidement.
Modèle économique en pleine métamorphose
Pour répondre à cette demande croissante, le secteur prend un nouveau cap industriel dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement initié avant la guerre s’amplifie : production à grande échelle, concentrations dans le secteur et extension du réseau de distribution. Le modèle économique se métamorphose. L’excellence des produits se combine à la logique commerciale et industrielle.
La parfumerie, par exemple, est le premier secteur à basculer vers le nouveau modèle de distribution non sélective (Carven, avec Ma Griffe est pionnière dès 1946).
LVMH est l’un des précurseurs en matière de concentration par les fusions-acquisitions et devenir un acteur dominant du marché, faire face à la concurrence et renforcer ses positions (synergies, élargissement de l’offre, pénétration de nouveaux segments). En 2017 il rachète Christian Dior couture, et Rimowa un malletier allemand. Cette stratégie de croissance dite de « build-out » se poursuit d’ailleurs toujours aujourd’hui. Ainsi, l’emblématique Maison Tiffany a été rachetée par LVMH en Janvier 2021 et devient la 76eme maison du groupe !
Naissance du Comité Colbert
« L’art de vivre français se traduit par le spectacle de nos objets, signes extérieurs de notre civilisation, façonnés par la culture de notre main d’œuvre et l’inspiration de nos créateurs. » Jean-Jacques Guerlain, Président fondateur du Comité Colbert.
Aussi dans un souci de protection et de développement de cette industrie, en 1954, le visionnaire Jean-Jacques Guerlain fonde le Comité Colbert, dont le président actuel est Laurent Boillot.
Son idée consistait à redonner le goût de l’Art de vivre à la française après les années de guerre et de privation en rassemblant sur un pied d’égalité les grands noms des divers métiers d’art incarnant un certain génie français, en un lieu qui serait le point de rencontre, d’échanges d’idées, de réflexion communes et spécifiques à l’industrie du luxe.
D’abord consacrée aux métiers de la mode, des arts de la table, du parfum et de la cosmétique, l’association s’est ensuite ouverte aux institutions culturelles et aux lieux prestigieux de l’art pour mieux faire rayonner l’image de la France dans le monde. On retrouve la volonté colbertiste du rayonnement culturel de la France dans le monde autour de ses créations et savoir-faire dans les domaines de la gastronomie, la haute couture, l’orfèvrerie d’art, la cosmétique, les parfums, l’édition ou la joaillerie.
Le monde du luxe se métamorphose en fleuron national, incluant outre la mode (y compris la joaillerie), les arts de la table, les cosmétiques, les parfums, et prend une réelle dimension culturelle en se fixant pour mission de faire rayonner l’art.
20 février 2023
Prochaines publications :
En février 2023 :
5. Du “Made In France” aux pays émergents
En mars et avril 2023 :
Partie 2 : Les nouvelles tendances du Luxe, filière agile et moteur de transformations structurelles et structurantes pour la France
- La Chine, le luxe de demain ?
- Un terrain fertile d’innovations
- Transformation du modèle, vers une combinaison de profit et sens
- Production : relocalisation & made In France
En Mai et Juin 2023 :
Un dossier complémentaire intégrant les données chiffrées et des interviews