Les Dossiers de France Audacieuse
Cycle Luxe
par Prune Brennan
1ère partie : Mode et Luxe : une industrie française… un peu d’histoire
1. La pierre fondatrice d’une industrie ultra performante posée par Colbert
Si le luxe remonte à l’origine des sociétés humaines, le premier tournant majeur se situe à la Renaissance où une véritable explosion culturelle fait suite à deux grandes découvertes : l’Amérique et l’imprimerie. La Renaissance verra d’ailleurs naître de nombreux métiers : l’habillement mais aussi la joaillerie, les arts de la table, l’orfèvrerie, l’ébénisterie. Le luxe est à cette époque plutôt italien, mais les épouses Médicis des rois de France vont largement participer à son importation en France.
Puis au XVIIe, sous la monarchie passionnée de luxe de Louis XIV, c’est la France qui prend véritablement le pas, avec un virage décisif que Colbert fait prendre au pays en posant la pierre fondatrice de l’industrie de la Mode et du Luxe, ultra performante, telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ce n’est en effet pas une affaire de hasard mais bien la volonté politique de Colbert, intendant des Finances de Louis XIV, d’en faire l’instrument de rayonnement de la France dans le monde. Pour ce faire Colbert va déployer un plan pointilleux et autoritaire qui s’appuie sur deux axes complémentaires :
- L’organisation par l’Etat de la vie économique pour conforter la Nation, tant à l’intérieur du royaume qu’à l’extérieur
- La prise d’appui sur un secteur résilient et à fort effet d’entrainement sur la production.
La stratégie de Colbert consiste donc à impulser les bases d’une véritable industrie et faire de la France le premier producteur d’objets de luxe et aussi le principal exportateur dans le monde. Il va ainsi mener une véritable « guerre économique » et renverser le modèle des Finances. Plus question en effet de continuer d’importer des porcelaines et soies chinoises, des dentelles flamandes, des draps de laine anglaise, de l’orfèvrerie germanique, des verreries italiennes, …. Son plan se décline en trois temps :
- Tout d’abord il créé de grandes manufactures sur le territoire, en s’inspirant des meilleurs savoir-faire partout dans le monde, parfois même en dérobant des secrets de fabrication à l’étranger, et souvent en y ajoutant innovation et grandeur. La première grande Manufacture sera la Manufacture royale des glaces et miroirs (secret volé aux Vénitiens) qui deviendra plus tard la Compagnie de Saint-Gobain. Mais on peut également citer la Manufacture des Gobelins (tapisseries), ou celle de Sèvres (porcelaines) et près d’un siècle plus tard celle de Baccarat (verre).
- La deuxième partie du plan de Colbert suit : une fois un savoir-faire maîtrisé par les artisans français, il n’hésite pas à prohiber définitivement les importations correspondantes. Ce fut par exemple le cas des fameuses glaces de Venise en France.
- Troisième partie : dépasser technologiquement la concurrence. En ce qui concerne les glaces par exemple, la France sera la seule à réussir à produire des glaces de grande taille mais également à être capable de produire « en série ».
C’est ainsi que Colbert, en faisant du luxe le pilier de sa stratégie de politique économique, transforme le royaume en berceau des industries du luxe. L’industrie du luxe est née.
2. Louis XIV puis Napoléon 1er, premiers influenceurs
Le roi Louis XIV adore le luxe, il veut ce qu’il y a de plus beau dans tous les domaines. Il veut impressionner. On dit par exemple que les diamants étaient « son instrument de pouvoir préféré ». Colbert organise donc tout un écosystème, à la fois social et économique, en centralisant autour du roi et de sa cour les meilleurs artisans et artistes et même des aventuriers comme le célèbre Tavernier. La fin du XVIIIème siècle, la révolution de 1789 et la perte des privilèges des manufactures vont marquer un arrêt de l’essor de cette industrie, mais dans le même temps, le « luxe de Marie-Antoinette » devient une arme politique redoutable. De sa réhabilitation par Voltaire dans son scandaleux poème du Mondain à son utilisation dans les pamphlets pré-révolutionnaires, le luxe est l’un des sujets les plus brûlants, les plus débattus du siècle des Lumières. D’innombrables auteurs, petits ou grands, se sont interrogés sur cet objet, futile et sulfureux, qui paradoxalement leur permet de parler de tout : des arts et des sciences, des femmes et de la confusion sociale, du bonheur et des inégalités, du progrès ou du déclin de l’esprit humain. Un débat passionné s’est engagé et a aussi contribué au changement de culture politique qui mènera à la Révolution. Pour preuve de la virulence de ce mouvement, on peut noter que même les « bonnes manières » sortent aussi temporairement des mœurs. C’est aussi bien au XVIIIème siècle que plus qu’une question d’image, l’apparence et les propriétés seules permettent de se faire une place dans la société. Ce système sera dénoncé par certains écrivains, comme Rousseau, qui pensent que le luxe nourrit les inégalités et détourne les hommes de leur devoir. Mais le XVIIIème, contestataire et libertin, restera le siècle des plaisirs. Les costumes continuent leur développement, surtout chez les femmes, qui commencent de plus en plus à varier les couleurs. Même si, en pratique, il n’y a plus de grosses commandes récurrentes, les savoir-faire, véritable capital immatériel de nombreux citoyens, continuent de se transmettre.
Napoléon 1er ressuscitera quelques années plus tard la forme monarchique à son profit. Il s’entoure d’un faste inouï pour exprimer son pouvoir. De somptueuses porcelaines de la Manufacture impériale de Sèvres parent la table impériale, des figures antiques fleurissent sur la production parisienne de luxe. Chaumet, créé en 1780 à Paris, devient le joaillier officiel de l’impératrice Joséphine. Le faste de la cour de France a fait rêver, la France, le Roi soleil en particulier « faisait la mode ». Mais cela va plus loin.
On s’offre des objets de luxe pour se faire plaisir et pour le montrer aux autres. Le monde du luxe fixe des codes d’appartenance sociale. Il est amusant de rappeler l’anecdote des « talons rouges » : « Monsieur », le frère de Louis XIV était une référence en termes de mode vestimentaire. Au retour d’une soirée de fête, il revint avec des talons souillés de sang, des talons rouges. Le roi trouvant cette idée particulièrement esthétique, la reprit en ornant les talons de ses souliers de cuir rouge et aussitôt toute sa cour fit de même ! Mais, seule sa cour était autorisée à le faire. Ainsi, plus qu’une mode ce signe devint un véritable code. Il signifiait haute société, le talon rouge était devenu une source de distinction sociale. Au XIXème siècle, cette mode se transforme d’ailleurs en expression, « Être talons rouges », qui signifie avoir de bonnes manières, mais une personnalité prétentieuse ! Et, quelques centaines d’années après, le célèbre créateur de chaussures Louboutin (1992) reprend cette idée et fait de la semelle rouge la signature de ses chaussures. Plus qu’une mode, il offre aux plus fortunés l’occasion de se distinguer et « d’afficher » leur statut social.
Le luxe a toujours été l’apanage des « grands » et des puissants, il fait rêver car c’est le beau et l’inaccessible à la fois, le pouvoir et le plaisir. Le luxe c’est le paraitre, luxe et société sont consubstantiels, étroitement liés à l’art, de fait à la culture. Cela explique la très forte résilience de ce secteur car, même si sa forme évolue avec la société, il reste une part indissociable de celle-ci.
Cette culture du raffinement, cette puissance économique font rayonner la France et associent luxe et France. Le luxe devient un art de vivre. Le luxe c’est la France.
30 Décembre 2022
Prochaines publications :
En janvier 2023 :
3. De l’artisanat d’art aux grands magasins du XIXème siècle
4. La frénésie du luxe début XXème et la métamorphose industrielle
En février 2023 :
5. Du « Made In France » aux pays émergents
En mars et avril 2023 :
Partie 2 : Les nouvelles tendances du Luxe, filière agile et moteur de transformations structurelles et structurantes pour la France
- La Chine, le luxe de demain ?
- Un terrain fertile d’innovations
- Transformation du modèle, vers une combinaison de profit et sens
- Production : relocalisation & made In France
En Mai et Juin 2023 :
Un dossier complémentaire intégrant les données chiffrées et des interviews