La récente crise sanitaire liée au Coronavirus a mobilisé un débat politico-médiatique confus et mouvementé. Nous avons entendu les catastrophistes, les immobilistes, les évolutionnistes, bref tous les experts (qui se trompent souvent mais avec autorité !). Il fallait changer notre système sanitaire jugé dégradé alors que la France, qui représente 1% de la population mondiale et 4% de la richesse mondiale, alloue 14% des redistributions sociales mondiales.
Quand on ajoute dépenses de santé et pensions de retraite et de réversion, la France est le leader mondial de la part du PIB consacrée aux dépenses sociales. Nous y consacrons 32% du budget national quand pour la moyenne des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) les investissements nationaux sont de 20%. Un sacré écart !
Notre système social est le plus coûteux du monde
Devant les pays nordiques à 29% et l’Allemagne tant vantée à 25%, sans mentionner la Grande-Bretagne à 20% ou encore les États-Unis à 18% et il s’agit des chiffres disponibles avant la crise de la Covid-19, imaginons après… Certes, ces dépenses sociales sont liées à des taux de prélèvements obligatoires qui font de nous aussi le leader mondial de la fiscalité.
Faut-il adapter ou tout bouleverser ? Il ne faut pas dépenser davantage mais peut-être dépenser mieux. Comment ? Quel système de santé imaginer pour 2030 ?
Les Français, de plus en plus acteurs de leur santé, plus proactifs que réactifs comme dans le passé, espèrent un modèle plus résilient, plus innovant, un modèle modernisé et simplifié. Ils souhaitent que soient autant accompagnés la vitalité que le combat contre les maladies. Ils attendent plus de proximité, plus de transparence des résultats pour stimuler la concurrence par la qualité des soins et plus d’immédiateté face aux urgences lorsqu’elles se présentent.
Mais, qu’en est-il de notre système tant décrié en 2020 ?
Qu’en est-il de l’hôpital embolisé à la française que chacun juge sous-équipé mais où beaucoup se précipitent gratuitement, à la première alerte, munis de leur carte sésame vitale ? Contrairement à certaines idées reçues, il y a 6 lits de réanimation pour 100.000 habitants en France contre moins de 5 dans les autres pays de l’OCDE. Les Français peuvent se rendre dans près de 3.200 établissements dont 1.400 hôpitaux régionaux, plus de 1000 cliniques et 700 établissements privés à but non lucratif.
De surcroît, nous manquons de lits aux urgences en période de pandémie car la capacité d’accueil a baissé. Le nombre de lits disponibles a diminué depuis 2015 de 60.000 places au profit des capacités d’hospitalisation à temps partiel en hausse de 23.000 places.
Pour autant, les séjours hospitaliers sont de 25% supérieurs chez nous. Trop longs ? Mais, avec seulement 3 médecins pour 1. 000 habitants contre 4 en Allemagne ou en Suisse. Nous manquons de médecins à cause du numerus clausus installé dans les universités depuis 1971.
Pendant le confinement, les critiques concernaient surtout le fonctionnement administratif de notre système de santé, visant la gestion de l’hospitalisation et le manque d’anticipation en cas de crise. Notons au passage que les hôpitaux, qui présentent une dette de 30 milliards d’euros, connaissent une période d’économie. Une nouvelle organisation des soins articulée autour de plateformes territoriales de coordination est réclamée par les médecins et les soignants (applaudis mais épuisés et généralement sous-payés). De fait, avec 10 jours d’arrêt maladie par an, c’est 20% de plus que par rapport à la moyenne des autres secteurs d’activité.
Les hôpitaux sont de gros employeurs : à côté des 200.000 professionnels médicaux dont 20.000 internes, ce sont environ un million de personnes qui s’activent auprès des malades pour un salaire d’environ 28.000 euros à temps plein dans le secteur public et 25.000 euros net annuel dans le secteur privé. On pourrait imaginer, comme dans certains pays du nord de l’Europe, des unités intermédiaires, des centres pivots de la prise en charge ambulatoire qui éviteraient d’engorger nos systèmes prioritairement réservés aux urgences.
Modifier cette facilité bien française actuelle d’accès direct aux soins ?
Presque tous les actes sont remboursés par la collectivité, tant à la ville qu’à l’hôpital ou en biologie. La prévention est, de plus, bien organisée pour certains cancers fréquents (mammographie, colorectal, etc.).
En 2019, le système de santé français était noté 17/20 par l’OCDE quand l’Allemagne tant citée positivement par nos médias durant la crise n’obtenait qu’un 16. Bravo à la Suède, souvent évoquée également pour sa gestion pendant la crise de la covid-19, avec 19,8 devant la Norvège et la Suisse, les USA n’arrivant qu’en 21ème position.
L’évolution démographique
Certes, d’ici à 2030, le visage de la France va considérablement se modifier, notamment, en premier lieu, la démographie. Les « plus de 65 ans » d’aujourd’hui représenteront en 2030 un quart de la population soit quasiment 17 millions de 70 millions d’habitants. Une longue espérance de vie n’est pas synonyme de bonne santé. Une bonne santé se caractérise davantage par le fait de prendre plaisir à la vie et de pouvoir faire ce que l’on veut. Chacun dira que l’espérance de vie a augmenté. Oui, dans la longévité mais non à bonne santé égale et suivant la classe sociale. Plus longue est la vie, mais souvent avec des problèmes chroniques. La prévention est donc la clé.
Notre révolution sociétale veut passer du « cure » au « care »
Notre système de soins devra accompagner et gérer près de 2 millions de personnes dépendantes et suivre 25% de patients atteints de maladies chroniques ou de poly-pathologies en ville ou en Ehpad. Toutefois, rappelons que 14 millions de Français aujourd’hui ne sont pas connectés à l’internet. Il nous faut donc soigner également l’illectronisme. Sans oublier, sans ordre de priorité : la crise de la psychiatrie montrée récemment du doigt par une enquête parlementaire et avec une prise en charge catastrophique par des centres saturés, la pollution, les addictions, l’alimentation, le stress, les résistances diverses qui devront également être prises en considération.
Des maîtres-mots apparaissent déjà : sécurité, protection, décloisonnement, confiance, éthique, prévention. Cela implique une meilleure information sur les comportements à adopter en développant une politique incitative. Ce pourrait être le rôle des complémentaires santé au service de l’innovation en matière de prévention. Notre système solidaire devra également prévenir les risques environnementaux.
La santé au travail
Les seniors ne sont pas les seuls concernés. Agissons aussi sur la santé au travail qui pourrait être enseignée dans les écoles de commerce et les universités car elle contribue à la prévention, maître-mot de la santé de nos jours. Or, depuis la loi de 1919 sur la réparation des pathologies professionnelles jusqu’à la loi de 2019, peu de progrès ont été réalisés en cent ans. Enfin, en 2021, il est prévu l’intégration du « dossier médical en santé au travail » au dossier médical personnalisé (DMP). De la fatalité à la prévention ? Créons pour les travailleurs un système VIP : Visite + Information + Prévention.
Les déserts médicaux
Selon de récents sondages, environ 10% de Français se plaignent de ne pas trouver de médecins proches de chez eux ou connaissent des temps d’attentes trop longs pouvant aller jusqu’à plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous chez le spécialiste recherché.
On imagine les déserts médicaux dans les zones rurales reculées, dans nos belles montagnes ou dans les départements ultra-marins. L’Ile-de-France est aussi dans certains arrondissements de Paris ou départements limitrophes un désert médical dû au montant des loyers, de l’insécurité, des difficultés d’avoir des secrétariats très disponibles ou d’installer des accès pour handicapés. L’évolution récente de la télé-médecine, de l’Intelligence Artificielle mais aussi, surtout dans certaines zones plutôt rurales, le rôle des médecins retraités a pu pallier les manques de praticiens. Leur engagement, leur éthique mais aussi la loi de 2004 leur permettant de cumuler retraite et honoraires complémentaires a été un facteur d’encouragement. La réforme des retraites modifiera-t-elle cette situation ?
Références à l’appui des chiffres cités : PLFSS 2017 & 2018. Rapport de la Cour des Comptes Octobre 2018. Rapports de l’OCDE. Le Figaro Économie. FHP : Fédération hospitalière de France. Drees : Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques. Statistiques INSEE. FIRPS : Fédération des Intervenants en Risques Psychosociaux.
L’évolution numérique
Le monde de la santé en France a commencé à opérer sa transition numérique avec la mise en place du Dossier Médical Partagé qui facilite le parcours de soins et le développement de la téléconsultation. Mais, le DMP a mis 15 ans pour émerger ! Les médecins ont longtemps considéré qu’il n’était pas fiable et insuffisamment protégé. Les patients pouvaient, de fait, ajouter des informations ou en retirer, faussant la connaissance exhaustive du dossier du patient s’adressant à leur praticien. Et, certains médecins craignaient d’être jugés par un confrère leur succédant dans les soins administrés. Conjuguons innovation et confiance.
Passerons-nous dans notre transformation digitale de la 21ème position actuelle en Europe à la 15ème ou 16ème d’ici à 2030 ?
Le programme TSN (Territoire de Soins Numériques) doté de 80 millions d’euros et lancé en 2014 n’a pas connu un réel développement. Il avait pourtant comme objectif de moderniser notre système de soins dans certaines zones pilotes en utilisant des services et technologies innovantes en matière d’e-santé.
Comme l’a écrit un Institut réputé : « Augmentons la dose ! ». Lors des Assises Citoyennes du Numérique en Santé en Novembre 2020, les citoyens se sont déclarés prêts pour le numérique en santé s’il est construit pour et avec eux. Ils le veulent inclusif et simple d’accès pour gagner du temps, pour une meilleure communication, un meilleur suivi et acceptent le diagnostic en ligne. Certes, il faudra embarquer les faibles ou non-utilisateurs digitaux actuels, lutter contre l’illectronisme. L’État vient d’injecter 250 millions d’euros pour cette cause en plus des 200 millions affectés à la numérisation des services de santé à la suite du « Ségur de la Santé ». Les Français souhaitent donc une pleine prise en main de leur santé.
Mais, l’usage de services numériques et la coordination entre les professionnels de santé autour de plateformes territoriales d’appui reste difficile. Pourtant, la France dispose d’un « coffre-fort » de données parmi les plus rares d’Europe. Encore, faut-il l’ouvrir ! Soutenons l’interopérabilité de systèmes d’information souvent hétérogènes et cloisonnés. Cela permettrait d’améliorer l’efficacité de la prévention (tant souhaitée), le suivi des personnes atteintes de maladies chroniques, l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie. Le développement de la révolution numérique nous enseignera dans l’avenir si la décision médicale se rapproche d’une science exacte ou d’un art. En médecine, comme dans les entreprises diverses, la prise de décision est souvent complexe, incertaine. Atténuons les risques d’imprécision.
Misons aussi sur le télé-suivi à domicile promis à un bel avenir alors que la population médicale est en baisse dans l’attente de l’effet de la réforme récente du numerus clausus devenu le numerus apertus. Les facultés fixent depuis mai 2020 seulement le nombre d’admissions en deuxième année, en fonction des besoins régionaux.
Pendant ce temps, en quelques mois, la part des téléconsultations est passée de 0,2% à plus de 5% et a dépassé 25% pendant le premier confinement. Cette facilité à téléconsulter a divisé par huit le nombre d’appels au service du 15 pendant le confinement de mars-avril 2020. Les patients, les déserts médicaux et les urgences le réclament ! Une téléconsultation ne dure que dix-huit minutes en moyenne pour toute personne d’au moins quatorze ans. Les sujets les plus fréquents de consultation sont l’ORL, l’ostéo-articulaire, la pneumologie et la dermatologie.
Il a été remboursé, en 2020, par notre système social, treize millions de téléconsultations avec une large majorité d’utilisatrices. Il n’y en avait eu que quinze mille l’année précédente. Neuf cents fois plus !
Bien sûr, la violente douleur thoracique reste du domaine des urgences hospitalières mais pas le suivi des hyper-tensions.
La France doit démystifier la santé numérique maîtrisée et l’inscrire dans le droit public. Ne doit-elle pas, de plus, accompagner les établissements de santé dans ce déploiement, en aidant les régions encore en jachère digitale ?
Le développement de l’e-santé
Les innovations en matière de santé et les applications de l’Intelligence Artificielle (IA), que nous appellerons plutôt Intelligence Augmentée ou Auxiliaire pour ne pas effrayer, auront un caractère stratégique comme dans les transports, la défense, la sécurité et l’environnement.
Il n’est pas question de remplacer le médecin par la machine mais d’organiser des interactions vertueuses. Cette IA aura, de fait, des effets sur l’ensemble du parcours de soin tant au niveau des clichés radiologiques que du diagnostic ou de la chirurgie. 400.000 actes de chirurgie sont déjà robotisés.
Cette « médecine augmentée » rentre peu à peu dans les préoccupations françaises et l’Europe commence à participer à ce débat que la Californie, une fois encore terre de prédilection du futur, travaille depuis de nombreuses années. Google, avec son centre de recherche Calico ou Elon Musk, fondateur de Tesla et SpaceX, entre autres, misent, avec une certaine avance, sur l’augmentation de l’espérance de vie en dehors de toute fiction.
Google finance dans ce but l’« Université de la Singularité » pour un « homme augmenté » doté de plus de mémoire, d’une meilleure vue, plus efficace et avec moins de douleurs. Et, si l’e-santé française n’est pas encore dans la formation des médecins libéraux, nous devons préparer la médecine « 4P » de demain : prédictive, préventive, personnalisée, participative.
La télémédecine aura été la grande bénéficiaire de l’épidémie de 2020. Une grande majorité de Français en ont une opinion positive et notamment sur la téléconsultation, déjà évoquée, à condition qu’elle s’inscrive en complément des pratiques traditionnelles et ne laisse aucun patient sur le bord du chemin.
L’IA apprend de nos préjugés et la médecine des algorithmes gouvernés. Elle permettra de passer du traitement à la prévention en rapprochant les déserts médicaux. Gagnons encore du temps !
L’évolution de la démographie et du virage numérique, la téléconsultation généralisée, une organisation territoriale remaniée assortie d’une régulation confiée aux régions, de nouvelles responsabilités données aux différents acteurs de la Santé, le réajustement des rémunérations, des financements et une organisation revus, doivent s’inscrire dans la qualité et la pertinence des soins. Les modalités tarifaires doivent aussi évoluer pour valoriser la performance, la qualité et la coordination des soins.
- Le nouveau statut d’« infirmier praticien de pratique avancée » permettra un suivi plus développé des patients. En effet, entre des infirmières ayant fait quatre années d’études et des médecins ayant passé plus de dix ans à l’université, il y a sans doute une place pour des soignants intermédiaires assistant les médecins. Sans oublier de moderniser la formation des professionnels de la santé tant lors de la formation initiale que continue.
- Les pharmaciens peuvent assister l’acte médical en réalisant les vaccinations et les téléconsultations.
- Les étudiants en médecine pourraient réaliser des stages dans les déserts médicaux. En « croix verte de proximité », le pharmacien sachant doit s’adapter au nouvel environnement, mener sa transformation numérique, assurer les vaccins de prescription obligatoire, utiliser les TROD (Tests Rapides d’Orientation Diagnostic) comme ils l’ont fait avec les tests sérologiques Covid, prévenir la iatrogénie, élargir ses services et accompagner les personnes souffrant de maladies chroniques et/ou âgées.
- La relation coordonnée ville-hôpital sera renforcée en favorisant auprès des médecins généralistes mieux rémunérés la pluri-professionnalité avec des tâches administratives allégées.
Une organisation simple et efficace
C’est à l’État d’établir le « plan d’urbanisme » et aux régions de construire les différents édifices médicaux avec un annuaire médical complet. De plus, « matchons » les médecines de ville et d’hôpital dans les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé), structurons un maximum d’ESP (Équipes de Soins Primaires) dans un souci premier de coordination des soins. La médecine ne doit pas être jugée sur ce qu’elle est mais sur ce qu’elle fait. Assurons plus de transparence des résultats pour stimuler la concurrence par la qualité.
Il faut séparer clairement la définition des politiques de santé, assurée par l’État, de la gestion du risque, déléguée à un opérateur unique. Ce dernier pourrait être issu de la fusion de l’Assurance maladie et de ses différents régimes et de certains autres services du Ministère de la santé. Cet opérateur serait responsable de la régulation des dépenses dans le cadre d’une démarche décentralisée et sur une base contractuelle.
La médecine 2030 sera entre autres appréciée sur la facilité d’accès aux données qui seront nécessairement interopérables et dotées de la cyber sécurité, sur sa bonne régulation avec une gouvernance simplifiée. Facilitons la téléconsultation entre un médecin et un patient :
- La télé-expertise entre deux médecins arrêtera un diagnostic ou une stratégie thérapeutique.
- La télésurveillance aidera le praticien à interpréter ou suivre des données biologiques ou cliniques recueillies par un autre professionnel de santé.
- La téléassistance permettra à un médecin d’assister à distance un confrère pendant un acte médical ou chirurgical. La télé-régulation interviendra avec le soutien éventuel du SAMU.
La récente pandémie a relancé également le débat sur les filières de santé qui vont de l’hôpital aux laboratoires pharmaceutiques à Doctolib en passant par Google et Apple. Chacun souhaite la souveraineté et l’éthique de notre pays. Les laboratoires pharmaceutiques sont appelés « big pharmas » quand on critique leurs revenus en oubliant leurs dépenses en recherche. Ils ne peuvent pas n’être admirés que lorsqu’ils annoncent la sortie prochaine d’un vaccin et, parmi les GAFAM, Google ou Apple que s’ils inventent la semelle connectée prédictive d’ostéoporose ou détectent une maladie de Parkinson à la simple utilisation de son téléphone portable.
Ils ont su démontrer la rapidité et la qualité de leur recherche. Historiquement, certains vaccins ont mis une décennie ou plus avant d’être disponibles. Mais, la reconquête par l’État de la souveraineté sanitaire et industrielle ne sera pas simple. La pandémie nous a enseigné que nous ne dépendons pas seulement de fournisseurs mais aussi de zones géographiques.
Le Français, doté de sa carte verte Sesam-Vitale, ne veut pas connaître le prix de son médicament. L’État va dans ce sens et développe même le « Reste à Charge = zéro » avec la participation des complémentaires santé. Avec ces couvertures nouvelles incluant des soins prothétiques dentaires, l’optique et les audioprothèses, les dépenses de protection sociale et de santé continuent d’augmenter alors qu’elles ont été stabilisées dans les pays de l’Europe du Nord. L’institutionnalisation progressive de la couverture complémentaire santé est obligatoire depuis la loi ANI de 2016. La France est le seul pays au monde où s’empilent deux couches de couverture santé obligatoire faisant que la charge liée aux soins est l’une des plus faibles au monde.
Le Parlement vote chaque année le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) qui doit tenir compte du vieillissement de la population française dans laquelle les « plus de 65 ans » sont plus nombreux que les « moins de 15 ans » et consomment toujours plus de soins. Il faut également y intégrer les innovations toujours trop onéreuses qui rendent, vu les prix de certains traitements anticancéreux, les groupes pharmaceutiques moins sympathiques que précédemment dans la course au vaccin.
Il faut prendre en charge les parcours de soins (programme ETAPE pour les nombreux diabétiques par exemple). Si, en 1970 sont apparus les systèmes permettant de mesurer le taux de sucre dans le sang avec le bout du doigt piqué jusqu’à six fois par jour, aujourd’hui place au capteur. Ce dernier, placé sous la peau, permet d’adapter régulièrement la dose d’insuline en passant simplement le capteur au-dessus d’un scanner. Indolore et précis. De plus, certains programmes alimentaires numérisés permettent d’ajuster le débit de la pompe sous-cutanée pour éviter une hypoglycémie ou conseiller des compléments alimentaires additionnels. En attendant le pancréas artificiel…
D’autres parcours de soin doivent être aussi organisés pour les autres malades chroniques avec un partage des données et la nomination d’un coordinateur. Les 3100 structures de soins avec plus de 30 milliards d’euros de dettes ne peuvent pas être la variable d’ajustement des dépenses de santé !
Le gouvernement avait annoncé le « big bang » au congrès de la Mutualité française en juin 2018. Oui au « big bang » si cela implique la prise en compte de la qualité des soins.
Références :
- Assises du Numérique en santé. Agence du Numérique en Santé. Ségur de la santé. PLFSS 2018. Plan « Ma santé 2022 ».
- Loi ANI 2016
Notre système de protection sociale
Faisons, juste un instant, un petit retour historique. Pierre Laroque propose au Général de Gaulle en 1946 l’innovant système de Sécurité Sociale à la française. La Sécurité Sociale, écrit-il alors, est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Il faut débarrasser les travailleurs sur qui pèse la menace de la misère, de l’incertitude du lendemain.
Il ne manque point d’indiquer dans la préface que ces principes, avec les connaissances démographiques de l’époque, valaient pour une période d’environ cinquante ans. Cela fait donc au moins vingt-cinq ans que nos responsables politiques auraient dû s’emparer du sujet au lieu de se repasser « la patate chaude ». Il est plus facile de critiquer le pouvoir du moment que de rappeler ce qu’on n’a pas fait quand on était aux affaires ou de revendiquer les 35 heures à l’hôpital qui lui, manque, pour lui-même, de soins intensifs.
Le corps médical doit être davantage associé à la gestion. Les aides-soignants(e)s, agents d’entretien et les infirmier(e)s exposé(e)s aux contraintes physiques, psycho-sociales et émotionnelles doivent voir leur situation revalorisée. Les infirmières françaises sont les plus mal payées des pays de l’OCDE avec ce que cela entraîne comme risque de « fuites » de talents vers d’autres métiers ou vers le privé.
Ayons un plan santé plus stratégique que comptable ! Les dépenses administratives ont progressé de 11% en 25 ans, ne dépensons pas moins mais mieux.
Il doit être fait plus de place à la médecine de ville, premier recours, dans notre système « hospitalo-centré ». La France gère deux millions d’hospitalisations à domicile. C’est le cas des dialyses, par exemple, mais encore en nombre inférieur à d’autres pays alors même que les patients le souhaitent. Et, c’est le cas également de chimiothérapies après suivi d’une initiation ! Sous contrôle, les médicaments peuvent aussi être délivrés à domicile. La télésurveillance doit entrer dans le droit commun.
Instaurons par ailleurs le paiement à la performance et à la qualité. Sa mise en œuvre générerait des économies surtout si elle est accompagnée de la simplification administrative : actuellement les ententes préalables demandent une tonne de papiers pour 1% de rejet !…
Parallèlement, un certain nombre d’économies sont facilement réalisables.
- Le développement des médicaments génériques et biosimilaires, la prévention, les abus de transports médicalisés, certaines prescriptions paramédicales, l’AME (Aide Médicale d’État) pour certains étrangers et les indemnités journalières abusives peuvent représenter jusqu’à 2,5 milliards d’économies. Certaines rééducations non pertinentes ajoutées aux fraudes et abus rajoutent 1 milliard à l’addition de l’assurance maladie.
- Il faut réaliser sur ces postes 4 milliards d’économies ! Quant aux 30% d’actes redondants, leur coût représente 60 milliards d’euros. Là encore, la technostructure à la française ne s’attaque pas vraiment au problème.
- L’organisation de la prévention face aux mauvaises habitudes des Français quant à l’alcool et au tabac permettrait d’éviter aussi des risques et des coûts importants.
Pour réduire le déficit précédemment évoqué, l’effort est demandé aux hôpitaux par le non-investissement et aux groupes pharmaceutiques par la baisse autoritaire de remboursement du prix de leurs médicaments.
Au passage, il est oublié que ce sont ces derniers qui financent la recherche très onéreuse, les vaccins notamment, que les États réclament en urgence dans un souci politique sans rien en financer. Le nom de certains laboratoires pharmaceutiques n’a jamais été autant cité sur les chaînes d’information que lors de la mise à disposition de ces nouveaux vaccins. On s’étonne au moment de leur mise sur le marché que notre pays ne soit pas dans la course.
- Si la France était de 1995 à 2005 le premier producteur de médicaments en Europe, aujourd’hui moins de 25% des produits remboursés sont produits sur le sol français. Le coût du travail et les délais administratifs sont à la base des décisions prises par les industriels du médicament. Les taxes sectorielles ont doublé depuis 2012 et on voudrait une relocalisation des productions.
- Le parcours du médicament est long et très cher de la recherche à l’élaboration du produit de soin dans des conditions de concurrence internationale difficiles. Il s’ensuit les problèmes de la distribution avec des acteurs qui doivent tisser un réseau soumis aux contraintes du service public et aux dispensateurs. Un chemin jonché d’embûches.
L’État depuis des années jusqu’à l’apparition de la pandémie fixait l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) a plus ou moins 2% dans un souci de maîtrise des dépenses. Le Parlement jonglait avec le prix administré du médicament, les marges des pharmaciens, les conventions sectorielles, la surveillance des prescripteurs, etc. alors que les patients sont avides de nouveaux produits. Chacun voulait réduire le « trou de la Sécu » sans y contribuer. Les efforts demandés aux laboratoires sur leurs prix avec un encouragement à l’utilisation des génériques s’est traduit par une délocalisation des productions vers des pays où la main d’œuvre est moins onéreuse. C’est ainsi que pour ne pas dépendre de sous-traitants locaux, nousdépendons d’industriels basés loin de notre zone géographique. De plus, certaines formes galéniques comme les corticoïdes en goutte pour nourrissons ne sont même plus produites dans nos régions. Peu avaient pensé qu’une pandémie soudaine et rapide pouvait se déplacer de la Chine ou de l’Inde à l’Europe (unie dans la diversité) où il n’existe toujours pas de politique commune de la santé. Quand, pour les nouveautés thérapeutiques, l’évaluation avant autorisation de mise sur le marché dure 150 jours en moyenne en Europe, l’Agence Française peut demander 500 jours.
Sauf pour le vaccin ? Chacun pourra comprendre que dans ce contexte les demandes de relocalisation rapide du curare ou du paracétamol ont peu de chances d’être des réalités proches. L’année 2020 a mis entre parenthèses la gestion des dépenses.
Une logistique décriée
S’il n’y a pas d’Europe de la santé, c’est l’Europe qui a négocié l’achat et la répartition des nouveaux vaccins anti-Covid-19. L’arrivée plus rapide que prévue dès fin 2020 des vaccins de Pfizer, Moderna et Astra-Zeneca attendus à l’automne 2021 a davantage mobilisé les chaînes d’information que les centres de vaccination.
Les questions sont multiples :
- L’ Europe a-t-elle mal négocié ?
- Où sont les doses, les seringues, les aiguilles, les réfrigérateurs ?
- La vaccination est-elle un « coup de communication politique » ?
- Les variants du virus sont-ils pris en compte ?
- Faut-il acheter le spoutnik russe si Astra-Zeneca nous « punit » à la suite du Brexit ?
Et, ce ne sont que quelques-unes des questions !…
Les Français anti-vaccins veulent devenir prioritaires ; les journalistes devenus prophètes ont plus de réponses que les médecins ; les partis politiques d’opposition plutôt « anti-confinement » dénoncent le non-confinement quand il est annoncé. Bref, la France est bien éveillée. Qu’en penser ? Sans doute, les politiques européens, pour être européens, ont-ils mal négocié avec les laboratoires le prix de la dose pour la vaccination de 450 millions d’habitants. On ne négocie pas des flacons contenant cinq doses pour annoncer qu’il est possible d’en extraire six en critiquant le « hold-up » des groupes pharmaceutiques très florissants qui ont battu des records de vitesse inattendus.
La compétence médicale du Ministère de la santé avait peut-être besoin du savoir logistique du Ministère des armées. Il fallait en temps de paix avoir une logique de guerre. Nos militaires auraient sans doute mieux réparti les doses
suivant les régions en communiquant avec les élus locaux, mieux installé les vaccinodromes, mieux assuré le transport. Le principe de précaution a une fois encore fait du tort au principe de responsabilité. Au moins, la lenteur de la mise en route aura-t-elle créé de l’impatience à être vacciné.
« Ma Santé 2022 »
Le titre complet est « Ma santé 2022 : citoyens et territoires ». Le thème de la santé fait irruption dans le débat politique national fin 2018 alors que jusque-là les élus se contentaient du jugement de l’OMS de 2001 qualifiant notre système de « meilleur du monde ». La crise démographique, l’éloignement de certains citoyens des centres urbains, des affaires médicales comme celles du Lévothyrox ou du Mediator sont soudainement rappelées par les médias.
Le réveil sonne au plus haut sommet de l’État et en septembre 2018 le Président de la République prononce un discours proposant une transformation du système de santé avec une territorialisation des soins. La Ministre de la santé en février 2019 propose, dans la foulée, une nouvelle organisation suivie d’un colloque en juin : « Ma Santé 2022 : citoyens et territoires » engage un tournant dans la politique de santé jusque-là uniquement focalisée sur la maîtrise des déficits.
La territorialisation du système de soins devient une priorité avec le concept de « gradation des soins ». La structuration pyramidale de l’offre apparaît pour la première fois. Un millier de CPTS ( Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) sur l’ensemble du territoire auront la responsabilité des soins dits « primaires ». Au-dessus, 500 hôpitaux dits de proximité, souvent submergés de demandes inadéquates, gèreront les urgences bénignes, certaines interventions chirurgicales ou gériatriques. Tout en haut, les centres hospitaliers importants assureront les soins les plus lourds.
Il est également reconsidéré, dans ce projet, les modèles de rémunération. Il faut, est-il annoncé, compter avec les patients qui revendiquent la codécision et la co-évaluation. Cela induit de substituer à la rémunération dite à l’acte ou au séjour des « paiements combinés » prenant en compte la pertinence et la qualité des soins en allant de la préparation d’un acte jusqu’à la récupération totale espérée. Des financements « populationnels » pourraient également être accordés pour la psychiatrie ou les urgences, à des institutions agréées.
Notons que pour l’heure les médecins semblent toujours attachés à la rémunération à l’acte. Autre vision en 2022 ? Et ce plan verra-t-il le jour ?
Les réformes peuvent prendre du temps en France. Ou être brutalement accélérées par une pandémie ? Il y a urgence…
Reconnaître le médecin généraliste
Le médecin généraliste doit rester au cœur du système de soin. Homme de science et de confiance, disponible, dévoué, chacun(e) le réclame. Il fait preuve d’écoute quand les politiques semblent sourds.
« Le médecin ne soigne pas la maladie mais le malade » écrivait Maïmonide. Il faut pourtant constater un désintérêt des jeunes générations pour cette discipline. Les conditions pour remotiver passent par l’amélioration des conditions d’exercice, une rémunération décente, une réduction des contraintes administratives, une primauté de l’acte clinique.
Trop de facteurs qui ne relèvent pas de la science influencent, de nos jours la décision médicale: les choix politiques du moment, l’économie, l’évolution des croyances et des cultures et le communautarisme qui guident les souhaits des patients, les peurs et/ou les espérances des malades, les médias qui ne sont jamais neutres, les vérités médico-scientifiques parfois partielles ou évolutives, la jurisprudence. La médecine connaît des avancées majeures mais c’est toujours un homme qui est « aux manettes » et mérite donc d’être reconnu.
Les leçons de la Covid-19
Au moment où différents vaccins arrivent pour nous soulager et prévenir de la Covid-19, nous découvrons aussi la défiance des Français et leur inclination à écouter les théories complotistes. Les vaccins développés trop rapidement seraient bâclés. Ils contiendraient des microparticules dangereuses.
La Covid-19 aurait été créée de toute pièce par l’homme au Laboratoire P4 en Chine pour éliminer une partie de la population. Le virus serait né grâce aux « big pharmas » et aux cachoteries chinoises, etc… De même l’hydroxychloroquine, à qui manque de longues études cliniques randomisées et des preuves fondées, ne serait pas recommandée car pas assez onéreuse pour certains laboratoires prospères et, suivant le cas, vantée ou décriée par des spécialistes sûrs d’eux – quand l’incertitude est la base de la science – ou par des médias qui ne sont que des « demi-sachants » réagissant à la minute.
Comment trouver le juste milieu entre rassuristes et alarmistes pour tranquilliser les Français et promouvoir sereinement la santé 2030 ?
En conclusion
Pour rapprocher les comportements de nos concitoyens au moment de la crise de la Covid-19 et les perspectives d’avenir ci-dessus, souvenons-nous d’Antoine de Saint-Exupéry qui écrivait que « l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ». Quand la France manquait de masques, chacun les réclamait. Quand ils furent disponibles, certains parlaient de leur inutilité et réclamaient le vaccin. Et, quand le vaccin arrive, certains refusent d’être vaccinés comme les sondages d’opinion l’annoncent ? Mais, ils y ont droit si on le leur refuse…
Les cloisonnements administratifs et interprofessionnels ont pu empêcher la co-construction de la création d’une chaîne de valeur et concilier attentes individuelles et bénéfice collectif. Les malades doivent pouvoir accomplir leur projet de vie. Les professionnels de santé doivent voir la valorisation de leurs compétences.
Les établissements de santé doivent pouvoir supporter les besoins d’investissements pour une meilleurs réponse sociale. Les payeurs contribuables doivent constater une meilleure affectation des ressources. Les industriels de la santé doivent pouvoir assumer le financement et la diffusion de l’innovation. Nous sommes, toutes et tous, acteurs du futur !
La France, fière au début des années 2000 d’être le maillot jaune de la santé dans le monde, et qui dépense tant pour la protection sociale, doit savoir retrouver une autonomie stratégique. Elle a les professionnels de qualité, les soignants dévoués mais doit savoir donner envie d’avoir envie.
Comment ? Il faut réduire la lourdeur et les coûts administratifs quand on sait dépenser 57% de dépenses sociales.
Il faut accélérer la médecine numérique de proximité pour soulager les établissements hospitaliers. Il faut encourager toutes les start-ups, les biotechs dans la santé en aidant leurs financements avant qu’elles ne partent à l’étranger.
L’exemple de Moderna dans la vaccination contre la Covid-19 ne peut que faire pâlir notre recherche nationale. Il faut encourager la relocalisation des productions essentielles. Il faut prévoir.
Contribuons, tous, à la progression de notre système vers la Santé 2030 que nous voulons.