Les Regards Décalés d’Ariane Sauvage
Correspondante de France Audacieuse en Californie
Covid 19 : le regard d’une écologue
Nous voici à presque un an et demi depuis les débuts de la crise sanitaire. Bilans, études, récits de médecins, de virologues se succèdent sur nos ondes. Des institutions telles que l’OMS réfléchissent déjà à comment éviter la prochaine ou si les responsables politiques ont bien géré celle-là. Plusieurs pays ont amorcé la réouverture de leur économie et de leurs frontières alors que d’autres restent à la traîne, ou que certains connaissent encore de lourdes pertes. L’heure est-elle propice à certaines évaluations ?
Au sein de France Audacieuse, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec une jeune chercheuse française, Amandine Gamble, PhD, DVM, basée au département d’écologie et de biologie évolutive à UCLA : University of California-Los Angeles, que sa poursuite des agents infectieux a menée de Paris à Los Angeles, non sans quelques détours. Un parcours en forme de témoignage, que nous allons publier en plusieurs parties, sur nos solides formations françaises, mais qui illustre aussi les difficultés innombrables que rencontrent jour après jour les fantassins de la communauté scientifique dans leur quête de réponse face aux maladies zoonotiques, c’est-à-dire transmises de l’animal à l’Homme. En effet, le processus de dissémination des agents infectieux, déjà exploré par Pasteur, est un champ de recherche ancien, mais il a été mis sous les projecteurs dans le contexte de la pandémie actuelle, et suscite un intérêt grandissant.
Cette série présente le reflet de certaines positions scientifiques, qui ne sont pas définitives et peuvent bien sûr être ouvertes au débat au sein de la communauté scientifique ou médicale.
Née dans la région parisienne, Amandine G. s’intéresse très jeune aux animaux. Baccalauréat scientifique, classe préparatoire… elle entre à 20 ans à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort. S’ensuit une année à l’Université de Strasbourg où elle passe un Master d’écophysiologie, écologie et éthologie. Enfin elle obtient un Doctorat de l’Université de Montpellier, cadre dans lequel elle multiplie les missions de terrain…. qui produisent tant de données statistiques qu’elle en arrive naturellement, comme beaucoup de ses confrères chercheurs, à se tourner vers la modélisation mathématique pour les mettre en ordre et y trouver si possible des conclusions. C’est donc finalement à Los Angeles, à l’Université de UCLA, qu’elle trouve un poste qui lui permet d’augmenter ses connaissances en ce domaine. Elle arrive en Californie en février 2019… et le virus SARS-CoV-2, en février 2020. Deux trajectoires se rencontrent.
En plein milieu de la pandémie, vers avril-mai 2020, vous ne vous occupiez que du virus ou déjà on cherchait un vaccin ?
Je n’ai jamais été directement impliquée dans la recherche sur les vaccins, mais les chercheurs avec lesquels je travaille l’ont été dès le début. La formule du vaccin était là dès février 2020, dès que la séquence du virus a été publiée. Si on a pu déployer les vaccins ARN, tels que Moderna et Pfizer-BioNTech, si rapidement, c’est parce que cela faisait plusieurs années qu’ils étaient étudiés, et on était presque prêts. Il en est de même pour les vaccins à adénovirus tels que AstraZeneca, Johnson & Johnson et Sputnik-V (Kyriakidis et al. 2021, npj Vaccines). Certains pays comme la Russie ont décidé d’ailleurs de sauter les phases d’essais cliniques, il y a eu aussi un débat à ce sujet aux États-Unis et en Europe, puis il a été décidé que ce n’était pas correct sur le plan de l’éthique (Jones et Roy 2021, The Lancet). Voilà un point qui n’est pas celui de la recherche, mais qui est bien un aspect culturel, de comment les pays sont gérés : à différentes cultures, différentes recherches, différentes applications. Les essais sur les animaux ont commencé au printemps 2020 (voir par exemple van Doremalen et al. 2020, Nature), et de fait il est rassurant pour les gens de savoir que le vaccin a été injecté à des souris, et qu’elles ont survécu, puis à des primates, et qu’ils ont survécu, puis à 10.000 personnes, et que tout s’est bien passé. Ce sont des questions d’éthique et de survie, inhérentes à la nature humaine.
Cette technologie de l’ARN est à l’étude depuis longtemps, non ?
Oui, elle était explorée pour d’autres virus. Ce vaccin-là a été développé en moins d’un an, mais la recherche sur cette méthode de vaccination est ancienne, il y a des chercheurs qui travaillent dessus depuis plus de 20 ans (Pardi et al. 2018, Nature, Li et al. 2020, Journal of Biomedical Science). Ce sont des vaccins qui sont récents dans le sens où ils n’ont jamais été appliqués auparavant, il n’y a aucun autre vaccin utilisé en routine chez l’homme qui fonctionne sur cette technologie, donc elle est nouvelle dans ce sens-là. Mais ce n’est pas quelqu’un qui subitement l’a inventée durant la crise du coronavirus. Cette technologie a été étudiée en laboratoire et sur de petits échantillons de la population. Échantillons qui sont toujours biaisés car les essais cliniques sont effectués sur une population « moyenne », c’est-à-dire que l’on n’y met pas, dans un premier temps, des individus présentant des comorbidités, des personnes âgées, des petits enfants, ni des gens immunodéficients, comme ceux qui suivent des traitements contre le cancer ou qui sont infectés par le VIH. Il est bien évident du coup que l’on n’a pas une connaissance sur le vaccin ARN aujourd’hui comme on l’a sur les vaccins plus classiques, les vaccins inactivés. Mais je trouve que c’est une très bonne chose que différents pays et différents laboratoires aient investi dans différentes technologies pour les vaccins : on se retrouve avec un panel de choix. Panel de choix qui viennent avec des questions et des contraintes mais au moins si jamais l’usine qui fait les vaccins ARN explose, il y aura des vaccins plus classiques de toutes façons produits dans d’autres usines !
Croyez-vous qu’il faudra le refaire tous les ans ?
Ça, vraiment, je ne sais pas. Plusieurs choses : le virus peut évoluer, comme on le sait déjà, on voit apparaître régulièrement de nouvelles souches, des variants. Mais il semble que les vaccins soient assez efficaces pour freiner la maladie et réduire la transmission a priori (Abu-Raddad et al. 2021, The New England Journal of Medicine). Est-ce que dans le futur, il y aura d’autres variants qui vont émerger ? Et qui ne pourraient ne pas être affectés par le vaccin ? Auquel cas, oui, nous pourrions être amenés à nous faire vacciner tous les ans, en mode grippe, c’est-à-dire que tous les ans, il faudra fabriquer un nouveau vaccin (Cobey et al. 2021, Nature Immunology Reviews). La bonne nouvelle, c’est que les vaccins ARN sont très faciles à modifier, a priori, nous devrions être capables de les mettre à jour sans avoir à refaire toutes les phases d’essais cliniques. Mais bien sûr, ce sera aux autorités de trancher, à quel point on peut modifier l’information sans avoir à refaire tous les essais.
Cependant, on ne sait pas combien de temps dure la réponse immunitaire induite par le vaccin, il n’est utilisé que depuis quelques mois, nous avons donc très peu de recul. On pense raisonnablement que la protection dure au moins un an (d’après notre connaissance du virus SARS-CoV, Wu et al. 2007, Emerging Infectious Diseases), selon les individus, mais cela peut encore évoluer. Il semble en tout cas que l’on soit déjà pas mal protégés après une seule injection, même si ce n’est pas autant qu’après deux, et c’est certainement mieux que rien (voir par exemple Chodick et al. 2021, JAMA Open Network).
En tout cas, à mes yeux, les effets secondaires sont plus liés aux personnes qu’aux vaccins.
Ils sont tout à fait attendus, et les plus communs (courbatures, fièvre… Menni et al. 2021, The Lancet Infectious Diseases) sont simplement dus à la réponse immunitaire qui se monte. Les cellules du système immunitaire sont réveillées par le vaccin, les effets secondaires indiquent que ces cellules se sont mises au travail. Mais même pour ceux qui n’ont aucune réaction, le vaccin marche tout autant. Et une fois que tout le monde sera vacciné, nous pourrons revenir à un mode de vie plus normal.
Ariane Sauvage.