Centre des Professions Financières – Fondation Maison des Sciences de l’Homme
Cycle Regards croisés sur l’avenir de la finance :
« Blockchain : transparence ou fragilité ?»
Mercredi 1er mars 2017
au Pôle Innovation Finance au Palais Brongniart
La table-ronde était animée conjointement par Marie-Agnès Nicolet, Présidente du Club des Marchés Financiers et de Regulation Partners et Christian Walter Chaire Ethique et Finance, FMSH et Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre de philosophie contemporaine autour d’un fil conducteur :
Marie-Agnès Nicolet introduit les débats en rappelant que ces matinées permettent le dialogue entre le monde de la recherche, représenté ce jour par Ricardo Perez Marco et Alexis Collomb, … et celui de l’industrie financière, avec la présence de Philippe Denis.
Elle indique également que les mots clés qui sont associés à la blockchain sont notamment la décentralisation, la protection par des procédés cryptographiques, la transparence… La question est donc de déterminer comment cette technologie peut être utilisée par l’industrie financière et, à l’inverse, comment la recherche peut aider l’industrie à y voir plus clair sur les utilisations ou les développements possibles. Quel impact peut être envisagé par l’émergence de la blockchain pour les opérateurs actuels notamment sur la réalisation d’opérations sans le tiers de confiance habituel. Ce processus est-il fiable? Pour mémoire, les cas d’usage actuellement recensés sont notamment la tenue d’un registre des titres, la sécurisation des registres de propriété, le processus d’entrée en relation client avec le processus réglementaire de KYC (Know Your Customer), sans oublier bien sur les échanges de monnaie à travers le monde.
Marie-Agnès Nicolet clôture son intervention en rappelant que l’ordonnance 2016-520 du 28 avril 2016 qui vient de réformer le régime des bons de caisse et d’introduire les minibons a, pour la 1ère fois, évoqué la notion de blockchain. En effet, l’ordonnance précise que l’émission de minibons peut être inscrite dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (blockchain), tout en indiquant qu’un groupe de travail doit être mis en œuvre en conséquence.
Marie-Agnès Nicolet passe alors la parole à Christian Walter, qui intervient alors sur l’apport de l’éthique et du monde de la recherche. Il rappelle que les questions techniques intéressent l’éthique de la finance et que la chaire est une institution qui appartient à la FMSH au sein d’un collège d’études mondiales associé à la Sorbonne. Il souligne les enjeux liés à la technique de l’éthique au travers des travaux de Pierre Duheme en 1883 : une équation simple mais fausse peut être la ruine financière. Des années plus tard, cette affirmation s’est illustrée par le fait que la copule de Li a finalement été la formule qui a tué Wall Street.
Il passe alors la parole à Philippe Denis, Head of Blockchain and DLT (Distributive Ledger Technology) CIB Lab and Chief Digital Officer de BPSS. En un exposé particulièrement clair, il a alors décrit ce qu’est la blockchain : cette technologie permet de remplacer le tiers de confiance dans les échanges notamment financiers (et donc les intermédiaires) par un système purement électronique via un protocole visible par tous regroupant le consensus, le cryptage public et privé et la distribution de l’information. Cette technologie rentre dans ce qu’il décrit comme un rêve algorithmique. Alors que le bitcoin a été lancé en 2009, BNPParibas a lancé en 2011 un projet intitulé «forget currency bitcoin but focus on protocol». A partir de ce projet, ils ont « évangélisé » en interne et en 2014 ils ont fait un « biz hackatton net » qui a fini par un « meet-up google » avec des start ups de l’univers de la blockchain. Des tables rondes ont été organisées pour montrer que cette technologie permettait de changer le métier, ce qui a abouti à 14 idées réellement formulées. Suivant un processus bien cadré, ces idées ont été injectées dans un laboratoire fonctionnant avec des développeurs externes permettant d’aboutir à des POC (Proof of Concept) tels que la tenue de registre de titres, la convocation aux assemblées générales, … L’industrie financière a donc pris conscience que la blockchain pouvait induire des coûts réduits notamment sur la partie titres et back office du métier. En pratique, en 2016, BNP Paribas a donc généré 5 POC qui ont été validés mais qu’il faut désormais basculer en mode industriel.
Complétant son exposé, Philippe Denis rappelle un autre cas d’usage de la blockchain sur le processus KYC. Dans cette hypothèse, il convient de retourner le modèle pour que le client se définisse lui-même sur un protocole blockchain. Il indique que cet usage verra le jour de façon certaine, à moyen terme.
Enfin, BNPParibas a lancé une initiative de recherche sur le monde en 2030 après la percée de la blockchain. 70 projets d’étudiants « Génération Blockchain » sont donc recensés pour aboutir à des POC avec remise des prix en mai. Pas seulement sur la finance mais sur d’autres applications tels que les drones notamment.
Puis la parole est transmise à Ricardo Perez Marco, Université Paris Sorbonne, Paris Cité USPC. Son article publié dans le journal du CNRS fait école en matière de vulgarisation de la blockchain (lecture vraiment recommandée !).
Il souligne que si les mathématiques sont très puissantes, il faut néanmoins se méfier des formules simples et fausses dans certaines situations. Il cite l’exemple des produits dérivés financiers, pour lesquels l’on sait désormais que les formules de Black-Scholes peuvent se révéler fausses dans certaines situations.
Il rappelle que la création du bitcoin en 2010 est issue du milieu des mathématiciens anarchistes dans le but de créer leur propre monnaie. On ne sait d’ailleurs toujours pas avec certitude qui est derrière Satoshi Nakamoto, le créateur unique ou groupe de travail anonyme du bitcoin. Il souligne la simplicité de l’idée : la principale obstruction pour avoir une monnaie décentralisée résidait dans l’écriture d’un protocole de confiance non centralisé par un régulateur. Ce qui est fondamental dans le protocole, c’est donc de créer un réseau de communication entre pairs avec un rôle équivalent pour tous. Ainsi, on supprime le tiers de confiance, comme par exemple la banque centrale des états. Ricardo Perez Marco insiste sur le fait que la blockchain est une technologie vraiment disruptive qui ne soit pas être vue comme une menace mais comme une opportunité. C’est un miracle que le bitcoin fonctionne. Il conclut son intervention en indiquant que des système comme VISA sont donc appelés à disparaître. En 2030, le panorama financier sera très changé.
Puis, Alexis Collomb, CNAM, Directeur du département Economie Finance Assurance Banque, intervient à son tour. Il indique qu’une initiative de recherche a été lancée au CNAM avec BNPP, dans une approche très pluridisciplinaire. Il confie être pour sa part extrêmement sceptique mais cela ne l’empêche pas de s’intéresser au sujet et d’être méthodique. Aujourd’hui, une nouvelle maturation technologique permet de voir le monde de demain qui se dessine. Est-il raisonnable ou plausible de brosser le monde de 2030, sans aucune banque avec de nouvelles valeurs ajoutées ? On touche ici à la question de la transformation voire la mutation des métiers. En pratique, avons-nous véritablement besoin d’une chambre de compensation sur le marché des produits dérivés ? Il souligne à son tour qu’il est fascinant de voir les différents systèmes comme Ethereum par exemple, mais mais l’intervention d’acteurs humains est inexorable et souhaitable. C’est la raison pour laquelle le CNAM a une approche véritablement pluridisciplinaire.
Puis la parole circule dans la salle. Une question très pertinente est notamment posée par Yvonne Muller Lagarde, professeur de droit pénal économique, sur la place du droit face à ces innovations qui pourrait, en elle-même, susciter une matinée de réflexion.
Conclusion de France Audacieuse
Il est parfois urgent de prendre un temps réel de réflexion pour comprendre les contours des nouvelles apparitions technologiques de rupture. Le temps d’appropriation pour des non-initiés est parfois long.
Cette matinée de réflexion co-organisée dans le cadre des Regards Croisés sur la Finance a, en ce sens, atteint son objectif : des explications très pédagogiques ont été fournies sur ce que recouvre la blockchain et les utilisations à venir par les métiers financiers ont été décrites.
Progressivement, le monde de l’industrie financière s’approprie cette nouvelle technologie Blockchain lancée par le monde des mathématiciens anarchistes… cela mérite réflexion !
Cette co-initiative du Centre des Professions Financières et de la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme doit être saluée … et France Audacieuse, depuis la place qui est la sienne, participe, avec engagement et conviction, à la diffusion de cette connaissance.
5 mars 2017 – A.G.
www.franceaudacieuse.com
https://www.professionsfinancieres.com
http://www.fmsh.fr/fr/college-chaires/28064
https://lejournal.cnrs.fr/billets/blockchain-lautre-revolution-venue-du-bitcoin