Web-conférence de France Stratégie
« Le rôle de la finance dans la lutte contre le réchauffement climatique »
Mercredi 14 décembre 2016
Cette note synthétise la présentation faite par Baptiste Perrissin Fabert, économiste à France Stratégie et spécialiste de la finance et des politiques climatiques.
1. La finance dans les négociations climatiques
1.a COP22
La COP22, sous présidence marocaine a ratifié l’Accord de Paris (puisque plus de 55 pays représentant plus de 55% des émissions carbone l’avaient signé). Démarrage en fanfare donc, rapidement contrebalancé par l’élection de Donald Trump dont les propos lors de la campagne avaient été ambigus en matière de politique climatique. Néanmoins, la « Proclamation de Marrakech » a été adoptée dans la foulée indiquant que cet « élan est irréversible ».
Il est à noter que c’est lors de la COP22 que les Ministres des Finances des différents pays ont pour la première fois été associés à la négociation, ce qui constitue une avancée majeure.
1.b De Kyoto à Paris : l’émergence de la finance climatique
On peut considérer qu’il existe en matière de finance climatique un avant et un après Copenhague en 2009.
En effet, avant 2009, le protocole de Kyoto (1997) s’appliquait : on parlait de « Finance Carbone » illustrée par le concept de «Burden Sharing ». Ce dispositif ne concernait que les pays du Nord. Mais force a été de constater l’impossibilité de se mettre d’accord sur une clé de répartition équitable entre tous les pays négociateurs sur l’allocation du budget carbone.
D’où, en 2010, l’apparition d’un nouveau paradigme tourné autour d’un objectif plus pragmatique : l’enjeu devient alors d’obtenir un financement pour favoriser le « bas carbone »
En 2015, l’accord de Paris confirme ce changement de paradigme et marque, ce qui est nouveau, la volonté de mobiliser la société civile (ONG, entreprises, milieux financiers, tec…)
Ainsi, en l’absence d’un accord sur un prix du carbone, on voit l’apparition d’une véritable finance climatique qui correspond à une innovation diplomatique pragmatique.
1.c Quelles nouveautés en matière de finance dans les Accords de Paris ?
4 dispositions sont à noter dans cet Accord :
- il faut rendre compatibles les flux financiers avec les objectifs financiers : article 2
- instauration d‘un mécanisme de flexibilité entre Etats : article 6
- engagement des pays du Nord sur un transfert de 100 milliards de dollars par an vers les pays du Sud : paragraphe 54
- instauration du principe de la « valeur sociale, économique et environnementale des réductions d’émissions » : paragraphe 108.
Il s’agit bien d’un appel politique lancé à la communauté financière (G20, FSB, FMI, Trésors et Comité de Bâle) à se saisir du sujet climatique.
2. La planète a t-elle besoin de la finance ?
En pratique, respecter les engagements de l’Accord de Paris implique une redirection massive des investissements publics et privés vers, selon la formule consacrée « plus de vert et moins de marron ».
Les besoins de financement additionnels, pour accompagner la transition énergétique s’élèveraient aux USA à +220 milliards de dollars entre 2020 et 2030 (source Bloomberg), en France à +14 milliards par an entre 2015 et 2018 ».
Or dans le même temps, l’offre de financement disponible est très abondante, l’épargne étant massive. Pour mémoire :
- NorgesBank (fond souverain norvégien récoltant les revenus du pétrole) dispose de 700 milliards de dollars,
- La réserve de change en Chine s’élève à 3.200 milliards de dollars
- La richesse des paradis fiscaux seraient de 6.000 milliards de dollars
- Les subventions aux énergies fossiles atteindraient 550 milliards de dollars selon l’OCDE (2013)
La planète a donc besoin de la finance et tout le sujet est de réorienter cette épargne disponible vers des investissements neutre-carbone.
3. Pourquoi la finance devrait-elle s’intéresser au climat ?
C’est le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, qui a pris au sérieux le risque climat et a initié le premier le monde de la finance à ce sujet. Il a alerté les milieux financiers en évoquant la « tragédie de l’horizon » qui se matérialise par 3 types de risques :
- risque physique : l’accroissement des catastrophes naturelles a été valorisé à 13 milliards de dollars pour les assureurs français d’ici 2040.
- risque de transition : certains secteurs économiques risquent tout simplement de disparaître si rien n’est fait (exemple : tourisme et charbon)
- risque légal : après le tabac, le climat est-il le prochain cheval de bataille de certaines ONG ?
La tendance est bien désormais de passer de l’indifférence de la communauté financière pour le climat à un intérêt grandissant (voir les initiatives de la FSB, du G20, etc.. ).
4. Au-delà de la transparence sur les risques, quels instruments financiers ?
3 actions pratiques doivent être envisagées :
- donner un sens à l’épargne de long terme : il faut sortir de la préférence des investisseurs pour la liquidité
- activer le levier réglementaire :
- l’article 173 de la loi sur la transition énergétique prévoit une obligation de transparence sur les risques climatiques des investissements.
- Mise en œuvre du « Green Supporting Factor » proposée par la FBF (Fédération Bancaire Française)
- Elaborer des instruments de fléchage vers les projets dont la valeur ajoutée nette est positive en terme d’écologie :
- Obligations climat : 50 milliards de dollars en 2015
- Banques d’investissement vertes au Royaume-Uni
- Labels transition énergétique sur des fonds d’épargne
- Prêts via les banques publiques d’investissement
- Titrisation de prêts verts
- Fonds Verts Capitalisés via les Droits de Tirages Spéciaux du FMI en 2010
- QE flêché vers des actifs bas carbone
- Garantie publique sur la valorisation des certificats carbone.
Conclusion de France Audacieuse
Les 7 points opérationnels à retenir de cette présentation :
- La finance est désormais au cœur des négociations climatiques
- Mais il faut « climatiser » la finance
- La transition énergétique, c’est rediriger des milliers de milliards de dollars vers « plus de vert et moins de marron »
- Le besoin additionnel généré par la transition énergétique n’est pas un surcoût macroéconomique
- Le risque climat peut affecter les performances du secteur financier selon la théorie de la « tragédie de l’horizon »
- La transparence sur les risques est nécessaire mais non suffisante pour redonner un sens à l’épargne de long terme
- L’intervention publique est nécessaire pour garantir la valeur socio-économiques des projets bas carbone.
On ne peut que saluer l’organisation par France Stratégie de ce type de web-conférence. Le format est pertinent et permet une bonne synthèse des sujets abordés.
Une mention toute particulière à Baptiste Perrissin Fabert, économiste en charge de la finance et des politiques climatiques au sein de France Stratégie. Il a rendu particulièrement intéressant ce sujet pourtant technique. France Audacieuse suivra désormais l’ensemble de ses interventions ou publications et s’en fera l’écho.
Alexia Germont – 15 décembre 2016