« Comment lutter contre le terrorisme en France ? »
Conférence-débat à l’Assemblée Nationale
21 février 2017
Débat animé par Vincent Martigny, Maître de Conférences en science politique à l’Ecole Polytechnique et producteur de l’Atelier du pouvoir sur France Culture
Intervenants :
Chems Akrouf, Directeur pôle IES SENTINEL, ancien analyste en renseignement au sein de la Direction du Renseignement Militaire.
Thibault de Montbrial, Avocat spécialisé dans la défense des victimes d’accidents collectifs et d’actes terroristes. Président du CRSI (Centre de réflexion sur la sécurité intérieure).
Roméo Langlois, grand reporter à France 24. Lauréat du Prix Albert Londres en 2013 et du Prix Bayeux en 2016. Coauteur du reportage « Les sœurs : les femmes cachées du djihad » (envoyé spécial du 2 février).
Sébastien Pietrasanta, Député et rapporteur de la Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme.
Vincent Martigny a ouvert la conférence en rappelant l’histoire ancienne du terrorisme en France et en posant les termes du débat : la France fait aujourd’hui face à une menace nouvelle d’une ampleur sans précédent. Est-elle vraiment armée ?
Pour apporter une première réponse, Chems Akrouf a rappelé les logiques d’un renseignement qui fonctionne et souligné qu’il n’y a pas de solution miracle pour lutter contre le terrorisme : il faut le comprendre, savoir qui sont les acteurs, qui finance. Il faut donc de l’information et pour cela former les agents, leur donner la capacité de comprendre les phénomènes, d’appréhender les mécaniques d’influence et de maitriser les dialectes rares : actuellement moins de cinq personnes parlent ces dialectes rares et sont donc susceptibles d’infiltrer les réseaux. La formation des agents de renseignements est en train d’évoluer avec des échanges entre les agents et les universitaires. Des formations sont mises en place à l’université notamment avec l’appui des expertises des Américains. Il y a le temps de l’action et également le temps de la compréhension. Le temps est une constante à prendre en compte pour l’action de l’agent qui doit par ailleurs avoir des directives claires du Politique. Il faut recruter des agents pour l’infiltration et pour interagir avec les pays touchés par le terrorisme. Il souligne enfin que tous les auteurs des attentats terroristes ont été signalés par la CIA, mais que tous les pays ne sont pas forcément enclins à donner des informations.
Roméo Langlois a poursuivi en faisant le point sur un thème peu connu : la place des femmes dans le terrorisme, précisant qu’il y en avait de plus en plus dans les actions terroristes et avec un rôle important dans les réseaux. Mais comment ces femmes françaises peuvent-t-elle adhérer à ce qui est si contraire aux valeurs de la République ? Il y a également un nouveau paradigme : le califat. Il faut le peupler, donc faire venir des femmes ; elles sont aussi un attrait, un argument marketing qui fait venir les hommes. Les femmes sont parfois plus radicales que les hommes. Elles ne sont pas seulement des victimes embrigadées, c’est aussi une démarche radicale qui s’exprime comme pour les hommes. Elles se radicalisent très souvent à l’adolescence, souvent dans des familles sans père, ou bien elles ont subi des violences et cet engagement leur permet de regagner l’estime de soi. Mais le principal enseignement de cette étude est qu’il n’y a pas de généralité sur le profil des femmes dans le djihad. Il a ensuite décrit la technique d’infiltration que lui et deux femmes journalistes avaient utilisée pour son reportage: elles ont commencé de zéro en tapant « islam » sur Google et au bout de quatre semaines elles parlaient avec Rachid Kassim. Environ 300 jeunes femmes françaises seraient en zone de combat et plusieurs milliers auraient cherché à partir ou seraient en contact avec des terroristes.
Thibault de Montbrial, reprenant l’interrogation sur la lutte antiterroriste qui ne fonctionnerait pas, se veut plus nuancé. C’est un vaste programme à définir : lutter contre le terrorisme ne veut rien dire en fait car le terrorisme est un moyen, une arme pour terroriser. C’est le moyen de harcèlement du faible au fort, et le droit de la guerre est difficile à appliquer. La France a l’habitude du terrorisme mais aujourd’hui elle se trouve dans une situation nouvelle : auparavant le terrorisme était le fait de petits groupes voués à l’extinction, or aujourd’hui c’est un phénomène mondial, la nouvelle logique de conquête sunnite qui s’appuie sur une fraction « minime » de la population française. La disparition de ces groupes terroristes ne fera pas disparaître le problème venant du fait qu’une partie des Français rejette les valeurs de la France. De nombreuses réformes ont été engagées depuis 2014 car les services étaient conscients du danger. En réalité la problématique essentielle est d’avoir compris ce qui arrive, même s’il est difficile de réaliser après 70 ans de paix qu’il y a des gens qui en veulent à la France. Et ce n’est pas une question de droite ou de gauche que de prendre conscience que la France et ses valeurs sont en danger. Il faut que la France regagne les cœurs.
Sébastien Pietrasanta, a conclu en soulignant que l’on avait changé d’époque. Il y a plus de 2000 Français impliqués. C’est le principal contingent de combattants étrangers. Cela concerne tous les territoires et toutes les classes sociales. 15 000 à 16 000 personnes radicalisées sont suivies. C’est une forte menace potentielle même si tous ne sont pas des apprentis terroristes. Les pouvoirs publics de leur côté n’ont pas attendu 2015 pour agir : une première loi antiterroriste de décembre 2012 incrimine les actes de terrorisme perpétrés à l’étranger ; un plan anti-djihads avec un numéro vert est mis en place en avril 2014 ; la loi du 13 novembre 2014 est venue renforcer la lutte contre le terrorisme avec l’interdiction de sortie et d’entrée sur le territoire, la création de la notion d’entreprise terroriste individuelle et le blocage possible de sites Internet. Et la dernière loi date de février 2017. Enfin il y a eu la décision d’augmenter fortement pour la première fois depuis longtemps le nombre d’agents. Mais il n’y a pas de risque zéro. Ainsi les États-Unis et Israël, malgré les moyens développés par ces deux pays, continuent d’être frappés. Il faut également la mobilisation de tous les concitoyens ; par exemple dans les classes maternelles, on apprend aux enfants à se cacher.
Conclusion de France Audacieuse
Lors des échanges avec le public, les intervenants ont souligné combien il était difficile de lutter contre des idées, contre des groupes qui sous couvert de liberté d’expression répandent leur doctrine dangereuse pour la démocratie; ils ont débattu sur l’existence ou non d’un antagonisme entre sécurité et liberté, entre le judiciaire et le renseignement.
Ils ont rappelé que malgré la qualité des services et les moyens développés, la France serait encore touchée.
Il est aussi apparu lors de ce débat, combien ce terrorisme cherche à attaquer non tant un système politique que la France même en son cœur.
Nathalie Kaleski – 19 avril 2017