Etats-Unis
Second tour des Présidentielles : au bureau de vote de Los Angeles
Les regards décalés d’Ariane Sauvage
correspondante de France Audacieuse en Californie
Décalage horaire oblige, c’est aujourd’hui samedi que les Français des Amériques et des Caraïbes choisissent le leader de notre pays pour le prochain quinquennat. Ceux de Los Angeles convergent donc en cette belle journée ensoleillée d’Avril vers Burbank, petite cité située à 19km du cœur de la ville, qui abrite le Lycée International où depuis plusieurs années le Consulat de France organise les scrutins. Burbank est plus connue pour accueillir le siège mondial de la Walt Disney Company et certains noms de rue s’y inscrivent dans une silhouette de Mickey rieur qui ferait presque oublier qu’aujourd’hui l’heure n’est pas aux chansons. Mais peut-être encore aux surprises ? C’est là qu’il y a deux semaines lors du premier tour, les électeurs locaux, dans la droite ligne des Français de l’étranger en général, ont démontré que leur comportement électoral est bien différent de celui de leurs compatriotes de l’hexagone. Que ce soit en zone Europe, en zone Asie/Océanie, Afrique/Moyen Orient ou zone des Amériques et Caraïbes les Français de l’étranger ont clairement opté pour un duel entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. C’est le cas en Amérique du Nord pour Boston, New York, Chicago, la Nouvelle-Orléans, Washington et San Francisco. Petite variante à Miami, Houston, Atlanta : Macron contre Eric Zemmour. Au Québec : le quartet installé en tête le 9 Avril comprend Macron, Mélenchon, Zemmour, Jadot. Ici, à Los Angeles : Emmanuel Macron l’emporte par 55.56% des voix contre 13.05% pour le chef de La France insoumise. De Marine Le Pen, il n’était question qu’en quatrième ou cinquième place. Mais bien sûr, la grande question qui plane sur le bureaux de vote aujourd’hui reste la même qu’à Paris : sur qui va s’effectuer le report de voix ?
Depuis quinze jours, autant il n’y a guère de nouvelles ici du Rassemblement National, autant l’équipe de campagne du président sortant tâche de battre le rappel. Après une déclaration en vidéo aux Français établis hors de France en date du 28 Mars, qui s’est d’ailleurs attirée des réactions assez critiques de la part des internautes, Emmanuel Macron poursuit le 21 Avril avec un message envoyé par mail. La veille, c’est sur une réunion en Zoom de mobilisation pour le vote et animée par Roland Lescure, député des Français d’Amérique du Nord, que se retrouvent des électeurs de Seattle, Honolulu, Denver, San Francisco et Los Angeles pour discuter du scrutin à venir et poser leurs questions.
Sur le parking du Lycée, un jeune homme s’inquiète : « Ils ont eu bien raison de faire tout cela, car à combien va s’élever l’abstention ? C’est ce qui m’inquiète le plus. ». De fait chez les Français de l’étranger –1.4 million d’inscrits sur les listes électorales- elle a atteint 64.88% , contre 56.1% au lendemain du premier tour en 2017. « Parfois, nous avons aussi de belles surprises, tempère un employé du Consulat, aujourd’hui, par exemple, une Française de 94 ans s’est présentée au bureau de Denver, dans le Colorado. Imaginez que c’était la première fois de sa vie qu’elle votait ! Et l’abstention n’est pas toujours volontaire. Regardez nos compatriotes de Shanghaï, par exemple, ils ont du tous rester chez eux à cause du confinement imposé par les autorités. Quant à Los Angeles et Las Vegas, ce sont traditionnellement deux villes qui votent assez peu» Une mère de famille enchaîne : « Et si seulement, on pouvait éviter de nous imposer des élections en plein milieu des vacances de Pâques ! Ce serait plus facile à gérer. Et puis beaucoup ici travaillent les samedis, ils n’ont pas le temps de venir jusqu’ici. »
Venir jusqu’ici…Cela reste un motif général de grande irritation pour la majorité des électeurs présents. Un couple explique : « Bien sûr, c’est un scrutin important, et bien sûr, il n’était pas question pour nous de ne pas voter. Mais nous habitons à Santa Barbara. Faire un aller et retour de quatre heures de conduite pour un vote qui prend exactement huit minutes, ça coûte cher. En temps et en essence. Mais pourquoi n’ouvrent-ils pas plus de bureaux de vote sur le territoire californien ? » Mercredi dernier, sur cette réunion Zoom organisée par l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, une Française installée dans l’Idaho a aussi exprimé sa frustration : « J’ai calculé que pour me rendre dans n’importe quel bureau de vote de la côte Ouest, il me faudrait faire 13 heures de route. Impossible. Mais pourquoi ils ne facilitent pas l’obtention de procuration par Internet ? » Interrogés, certains membres du Consulat expliquent : « C’est vrai, aujourd’hui il faut encore se rendre en personne devant un agent consulaire pour qu’il valide une demande de procuration . Mais nous n’avons pas le choix. L’État français reste très vigilant sur les ingérences étrangères dans nos processus électoraux. C’est d’ailleurs ainsi qu’un État reste souverain. Nous savons qu’il a déjà eu des ingérences en 2017, cette année-là, il nous a fallu annuler le vote aux élections législatives sur Internet. »
De fait, le GMF : German Marshall Fund, un think tank spécialisé dans les relations transatlantiques, a publié trois articles au cours du mois d’Avril démontrant comment les puissances étrangères, la Russie et la Chine entre autres, répandent la désinformation ou essaient de s’ingérer dans les processus démocratiques. Celui du 8 Avril intitulé « French voters should consider Election integrity issues » rappelle que l’État français en effet avait déjoué de vraies tentatives d’ingérence en 2017. Et appelle sérieusement les électeurs à considérer aussi cet aspect des choses dans leur choix, la capacité de leur candidat à protéger les infrastructures démocratiques dans les années à venir.
Du coup, cette semaine, certains agents consulaires ont d’ailleurs été chercher eux-mêmes les procurations en question. « Nous avons envoyé un mail aux électeurs basés dans le Orange County, » racontent-ils, « et l’un d’entre nous y est allé en voiture. Il a récupéré quatre-vingt-cinq procurations en trois heures. Pas mal, non ? En plus, si on réfléchit, cela fait donc une seule voiture qui se déplace, au lieu de quatre-vingt-cinq, ce qui améliore l’empreinte carbone des élections ! »
Pendant que le soleil descend sur les montagnes de Burbank dans un ciel bleu azur, un jeune Américain qui attend son épouse encore dans l’isoloir me demande : « So, you refaites un duel Mâclon/ Le Pain cette année ? Et sérieusement, vous choisissez le candidat qui aura le plus de voix ? » Bien sûr, pour les Américains qui changent à peu près de candidat tous les quatre ans et ne l’élisent pas au suffrage universel, toute cette procédure française doit sembler quelque peu exotique. Une jeune enthousiaste lui répond sans détour: « Oui, c’est exactement ça. Et tout à l’heure, nous allons participer au dépouillement, en comptant les bulletins de vote un par un. Les petites mains de la démocratie, c’est nous !»
Quelques heures plus tard, une fois le dépouillement terminé, « les petites mains de la démocratie » sortent du Lycée dans la nuit sombre qui s’étend maintenant sur Burbank. L’ambiance était concentrée pendant le comptage, maintenant chacun et chacune discutent gaiement, s’échangent leurs impressions sur les résultats, ou vérifient fiévreusement leur portable : peut-être les résultats de New York ou Miami sont déjà disponibles ? Bien sûr, il serait possible de livrer dès maintenant ceux de Los Angeles, mais la déontologie s’y oppose. Rendez-vous donc à dimanche soir pour l’issue du scrutin.