Dossier du Docteur Jacques Hassin pour France Audacieuse
La participation de la société civile à la révision des lois bioéthiques
3ème partie : Réflexions sur les soins palliatifs
Cette question transcende les positions de l’ensemble des contributeurs de France Audacieuse. Mes propos en tant que contributeur n’engagent que moi et ne sauraient être l’expression, à ce stade, de France Audacieuse en tant que think thank citoyen. Ils ont vocation à encourager la réflexion de la société civile sur ces questions qui nous concernent tous.
Quelques propos historiques
On peut se remémorer qu’il n’y a pas si longtemps un patient en fin de vie dans un service hospitalier d’aigu entraînait souvent une gêne importante surtout chez les médecins. Lors de la visite, on ne poussait pas la porte de la chambre et on n’entrait pas. Peut-être un sentiment d’échec, d’impuissance et même de honte devant ses propres angoisses personnelles ? Le malade était livré aux bons soins d’aides-soignantes qui n’en pouvaient plus … et l’on n’utilisait pas la morphine de peur de rendre le patient toxicomane.
Ayant, à titre personnel, fait l’expérience de douleurs post-opératoires très intenses après une intervention chirurgicale majeure, je peux rapporter ici que la morphine est un merveilleux antalgique. Pourtant je ne suis pas devenu toxicomane.
A cette époque, lorsque l’on prenait la peine de les écouter, les malades disaient « Je voudrais ne pas souffrir et ne pas mourir seul ». Les soins palliatifs aujourd’hui s’efforcent de répondre à ces demandes concernant la prise en charge de la douleur et l’accompagnement pour diminuer l’angoisse. Les philosophes font de la philosophie, les sociologues de la sociologie, les anthropologues de l’anthropologie médicale, les éthiciens font de l’éthique, les juristes font du droit et les médecins s’efforcent de soulager la douleur et l’angoisse. Le problème n’est pas résolu pour autant. La question est très difficile à poser à une personne en fin de vie, mais qu’en pense-t-elle ? S’agit-il de la douleur ou la peur de souffrir, l’angoisse ou la peur d’être abandonnée.
La création de lits de soins palliatifs ne date pas d’aujourd’hui. En 1842, Jeanne Garnier crée à Lyon un hospice pour les malades incurables en fin de vie. En 1893, un hôpital pour accueillir des malades cancéreux et tuberculeux en fin de vie est ouvert à Londres. En 1967, Cicely Saunders fonde l’hospice St-Christopher à Londres. Elle est considérée comme la précurseure des soins palliatifs modernes. En 1986, paraît la Circulaire Laroque qui donne une impulsion considérable au développement des soins palliatifs. Grâce elle, la première unité de soins palliatifs (USP) française est ouverte à Paris, par le Dr Maurice Abiven, à l’hôpital international de la Cité Universitaire. Rapidement, parce qu’ils partagent des objectifs très proches, professionnels de santé et associations d’accompagnement décident de conjuguer leurs efforts. Cette diversité entre professionnels et associatifs est très remarquable à cette époque : les uns et les autres veulent représenter ensemble les intérêts du mouvement auprès des pouvoirs publics et être reconnus à la fois par les sociétés médicales et par les mouvements associatifs (J.O. 28 février 1990). En 2004, le 10ème congrès de la société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP) est intitulé « L’euthanasie et la mort désirée : questions pour les soins palliatifs. » Cette réflexion collective fait l’objet d’un ouvrage paru en janvier 2005 intitulé « L’euthanasie et la mort désirée : questions pour la société et la pratique des soins palliatifs » Ce livre blanc vise à prolonger les questionnements et les réflexions. Ses annexes proposent aussi les recommandations des groupes de travail de la SFAP sur la question de l’euthanasie et de la sédation en phase terminale.
Les soins palliatifs sont acceptés par toutes les religions.
Pour les catholiques, il est notamment « licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d’amoindrir la conscience et d’abréger la vie » (affirmation de Pie XII rappelée dans Evangelium vitae). Néanmoins, le Vatican a réaffirmé en septembre 2007 que l’alimentation des patients dans un « état végétatif » était « obligatoire », à propos du cas d’une Américaine dans le coma pendant 15 ans et décédée en 2005 après que son alimentation a été interrompue. Cette position éclaire les combats de familles catholiques dans les affaires récentes médiatisées.
Après dix-huit mois de réflexion commune sur la loi Léonetti, le diocèse de Paris et le consistoire israélite de Paris publient en 2007 une déclaration sur le soin des malades en fin de vie. Jamais, des rabbins et des prêtres ne s’étaient ainsi exprimés d’une même voix dans le domaine éthique. La déclaration qui en est issue est signée par Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris et par le grand rabbin David Messas, du consistoire de Paris. Cette déclaration commune exige que la famille et les soignants ne cherchent pas à hâter la mort du malade, déconseillent à des malades d’attenter à leurs jours, ni ne demandent l’aide d’autrui dans cet objectif. « En nous appuyant sur ce commandement nous exprimons une opposition très ferme à toute forme d’assistance au suicide et à tout acte d’euthanasie, celle-ci étant comprise comme tout comportement, action ou omission dont l’objectif est de donner la mort à une personne pour mettre ainsi fin à ses souffrances ».
Mais certains points sont ambigus. D’abord, « le traitement de la douleur par l’utilisation de sédatifs qui peuvent avoir pour effet secondaire d’abréger la vie lorsque c’est le seul moyen de « soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ». Pour recourir de façon légitime à un tel traitement, cela implique qu’il y a des raisons graves à agir : des souffrances intenses qui ne peuvent être soulagées autrement, et que l’éventuel effet secondaire d’abrègement de la vie ne soit en aucune façon recherché. L’objectif poursuivi en administrant ce traitement est alors uniquement de soulager de fortes souffrances, mais surtout pas d’accélérer la mort. On s’expliquera sur ce point dans la conclusion, mais on peut faire remarquer que l’ambiguïté est maintenue car qui peut juger que l’objectif du médecin n’est pas d’accélérer la mort ? La deuxième ambiguïté, et on y reviendra plus avant concerne la nutrition, est que les Juifs et catholiques rappellent qu’il est de la plus haute importance de chercher les moyens les plus adéquats d’alimenter et d’hydrater le malade, en privilégiant la voie naturelle et en ne recourant à des voies artificielles qu’en cas de nécessité. Selon ces religieux, seules des raisons graves peuvent « conduire dans certains cas à limiter voire suspendre l’apport de nutriments ».
En tout cas, une telle limitation ou abstention ne doit jamais devenir un moyen d’abréger la vie. Le groupe judéo-catholique précise que pour les malades hors d’état d’exprimer leur volonté, l’alimentation et l’hydratation par voie naturelle ou artificielle doivent être maintenues, même lorsque la décision a été prise de limiter les traitements médicaux proprement dits. Au final le groupe approuve le principe général formulé par la loi. « Les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable ». Et de conclure en rappelant que « notre société, si sensible à la souffrance des personnes en fin de vie, se doit d’apporter à tous ceux qui en ont besoin les moyens d’accompagnement et de soins palliatifs qui respectent la vie humaine. Ce respect constitue l’un des fondements de toute civilisation qui se veut humaine ».
Toutes les décisions médicales sont difficiles car elles ne répondent pas à des critères binaires.
Le manichéisme vie/trépas, légal/ pas légal, bien/mal, justifiés ou non, collectifs ou pas, permis ou interdit par la religion ou pas, moral ou pas), etc… n’est pas opérant. En pratique, la décision est laissée à la conscience et à la compétence de celui qui soigne et qui doit pouvoir se justifier sur les décisions à prendre. Le médecin est aidé par les enseignements reçus, sa formation, les principes de la technique et la valeur de son expérience et surtout par la consultation pluri professionnelle et familiale mais sans demander à la famille de décider. Il me paraît inhumain de demander à des proches de décider de la mise en place d’une sédation terminale jusqu’au décès, particulièrement pour « débrancher » un enfant. Ce n’est d’ailleurs pas ce que la loi préconise : elle demande que « les proches témoignent éventuellement de la volonté de la personne e qu’elle soit consultée et informée dans tous les cas« . Dès la décision de fin de traitement curatif et de prise en charge des soins palliatifs, une lourde décision collective se met en place. Elle va pouvoir éventuellement aller jusqu’à la décision de sédation profonde et continue.
Ces situations sont souvent traitées sans nuance car chacun à partir d’exemples personnels va l’aborder à sa façon. Dans ce domaine, en particulier, la « casuistique » ne représente pas une bonne approche. L’éthique médicale ne se laisse pas emprisonner dans des formules simplistes ou dans des réponses stéréotypées. Elle exige un jugement nuancé et un choix critique bien pesé pour celui qui assume la responsabilité des soins.
On a souvent confondu coma dépassé, coma stade IV ou mort cérébrale, coma prolongé voire état végétatif définitif. Les risques souvent fantasmés « d’être débranché » avec une activité cérébrale cachée s’éloignent avec le progrès de la science. Grâce à l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle (en particulier avec l’utilisation de la tomographie à émission de positons – PET scan), on sait aujourd’hui que chaque état de conscience altérée se traduit par une activité cérébrale spécifique. Pour ce qui est des états de conscience, le fonctionnement cérébral chez les malades cérébrolésés est différent en fonction de l’état de conscience. Il peut s’agir d’un coma, d’un état végétatif, d’un « locked-in syndrome » ou d’un état de conscience minimale. Différents examens peuvent authentifier une mort cérébrale certaine.
La réanimation médicale a transformé le pronostic des états graves. Mais, cela n’aurait jamais été possible sans l’obstination des réanimateurs. Devant les états les plus graves, il faut lutter avec tous les moyens possibles tant qu’il existe un espoir, si faible soit-il, mais il est déraisonnable de poursuivre une lutte acharnée, surtout si les moyens employés sont pénibles pour le patient, alors qu’il n’y a plus aucun espoir. Avec l’évolution et les progrès de la réanimation, la décision doit aussi prendre en compte la qualité de vie résultant de l’action thérapeutique. Une prolongation de la vie chez certains nouveau-nés atteints de pathologies en particulier neurologiques très graves, une assistance respiratoire prolongée après atteinte d’une neuropathie irréversible, l’ablation chirurgicale d’une tumeur cérébrale considérée comme inopérable car elle laisserait la personne gravement handicapée sur le plan cérébral et moteur.
Finalement, les soins palliatifs, le non-acharnement, les traitement de confort, la lutte acharnée contre la douleur, participent à l’évidence, au maintien d’une certaine dignité. Ils participent pour le mourant et aussi parce qu’ils permettent le maintien le plus longtemps possible de l’échange entre le mourant et nous. De très importants témoignages de familles évoquent la richesse des échanges, la sérénité qui résulte parfois de la mise à plat de conflits antérieurs et majorent la sérénité de celui qui s’en va et de ceux qui restent. Des relations humaines très intenses, fondamentales et imprévues sont parfois nouées avec des mourants. Il faut améliorer les conditions de la mort sans pour autant la provoquer de façon délibérée.
Sur l’aspect pratico-pratique des soins palliatifs, un rapport de 2013 pointe l’accès insuffisant aux soins palliatifs. De nombreux témoignages font état de carences graves intervenues lors de décès de proches. La séparation de fait entre les soins palliatifs et les autres spécialités médicales a été pointée. La préconisation de revoir l’ensemble de la formation médicale pour promouvoir l’intégration d’une compétence en soins palliatifs dans toute pratique clinique n’est pas vraiment entrée dans les faits. Même s’il est vrai qu’un certain nombre de diplômes complémentaires pour les médecins, les infirmières et les aides-soignantes ont été mis en place mais ils ne sont que peu intégrés dans les formations initiales [1].
Selon ce rapport, il est nécessaire de « mieux faire droit aux attentes et espérances des citoyens à l’égard de la fin de vie ». Il est vrai que beaucoup de Français souhaitent être aidés médicalement pour mourir. Dans les micros-trottoirs, ou les sondages oui. Mais au pied du mur, c’est autre chose. Tout le monde veut mourir apaisé. Mais les demandes de poursuite des traitements par les patients et les familles sont moins rares que les demandes d’euthanasie.
Le rapport envisage deux pratiques qui pourraient répondre aux attentes : Le financement accru des soins palliatifs permettant de répondre à la légitime demande des patients et des familles. En particulier en accompagnant plus d’équipes mobiles pour aider les services hospitaliers d’aigus à prendre en charge leur patients sans césure géographique entre le curatif et le palliatif. En 2017, on compte 157 Unités de Soins Palliatifs, 426 équipes mobiles de soins palliatifs dont 2 pédiatriques. Dans ce contexte, 5057 lits « dédiés » soins palliatifs dans 835 établissements témoignent de pratiques d’unités mobiles au sein de services d’aigus. 107 réseaux et 122 services d’hospitalisation à domicile avec des équipes qui interviennent à l’hôpital, à domicile et en Institution en particulier en maison de retraite. Elles sont à même de prodiguer des soins complexes, de participer à la formation et à l’enseignement et à une activité de recherche.
Je souhaite pour conclure terminer sur des évolutions importantes des pratiques de soins palliatifs. D’abord, de plus en plus d’équipes mobiles interviennent à domicile et aident le malade et son entourage lorsque le malade a souhaité y finir ses jours. Dans mon établissement au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre, nous recevons pour un hébergement d’urgence 247 personnes tous les soirs. Ils viennent pour l’essentiel des rues de Paris. Depuis 2013, grâce à notre équipe mobile de soins palliatifs, on s’honore qu’aucune des personnes hospitalisées dans l’établissement (hôpital ou structures sociales) considérées en soins palliatifs n’est décédée seule et abandonnée. Dans les structures sociales considérées comme un domicile pour certains, ils ont pu bénéficier le cas échéant d’une hospitalisation à domicile. Ces personnes ont toutes été suivies, accompagnées et traitées le mieux possible pour atténuer leur douleur. Avec en plus une prise en charge funéraire après leur décès pour les personnes indigentes [2].
Dans des structures hospitalières des consultations d’annonce ont été mise en place pour des pathologies graves. Il faut pour le malade nommer la maladie, le plan de traitement et ses conséquences. Des équipes de soins palliatifs y sont parfois présentes. Même s’il s’agit du début de la prise en charge curative, les prises en charge développées par les soins palliatifs permettent dès ce stade d’apporter des soins de confort pour diminuer les effets secondaires indésirables des traitements (chimiothérapie par exemple). L’intervention avant même la phase palliative éventuelle permet au malade de faire connaissance avec l’équipe de soins palliatifs. Aujourd’hui, la prise en charge en Unité de Soins Palliatifs est « limitée » à une durée maximum de 21 jours pour des raisons économiques de tarification (T2A). La connaissance précoce des équipes et du malade permet de tordre le cou à l’idée qu’un patient quand il voit apparaître les soins palliatifs il voit arriver les « anges de la mort »
Enfin, il faut mettre l’accent sur la nécessité de développer plus encore les soins palliatifs en France malgré les améliorations encore insuffisantes. Pour conclure, je voudrais vraiment insister pour que jeunes et moins jeunes rédigent leurs directives anticipées. Cela permet aux médecins de connaître les volontés de la personne et à la famille et aux proches d’être informés sans être obligés de donner leur avis sur la fin de vie d’un proche. Cela est cruel et n’est pas sans conséquence psychologique sur le deuil qui suivra le décès.
Références bibliographiques
[1] – Pour les futurs médecins, un module comporte deux heures de sensibilisation et cinq questions à l’Examen Classant National. La loi de 2016 rend cette formation obligatoire pour tous les professionnels de santé, pharmaciens compris
[2] – Lévêque C., Lemaheux J.C., Boughida C., Hassin J., Prise en charge funéraire et caractéristiques démographiques des personnes en grande précarité à Nanterre, Médecine palliative, Soins de support, accompagnement et éthique (2014), 13, 295 à 300.