Dossier du Docteur Jacques Hassin pour France Audacieuse
La participation de la société civile à la révision des lois bioéthiques : 1ère partie
Introduction
Les lois de bioéthique traitent des questions fondamentales faisant appel à la conscience de chacun de nous. Elles transcendent les opinions politiques, les engagements militants ou religieux. Il s’agit de réflexions strictement individuelles qui doivent aboutir à un consensus minimum de la société, malgré les divergences qui apparaissent, en fonction du vécu personnel de chacun, de ses valeurs, de ses croyances ou de sa foi. Faute de consensus et on le verra souvent impossible, il est obligatoire de passer par la loi.C’est la voie qui a été choisie pour la question de la peine de mort, la recherche sur l’embryon, la fin de vie ou l’interruption volontaire de grossesse. Cette question transcende aussi les positions de l’ensemble des contributeurs de France Audacieuse. Mes propos en tant que contributeur n’engagent pour l’instant que moi.
I – Rappel historique
Ce que l’on a d’abord appelé morale médicale commence avec l’Antiquité. Elle coïncide avec l’ignorance scientifique et évolue jusqu’en 1935. Dès cette époque, un courant eugénique se développe. Alexis Carrel, prix Nobel de médecine, écrivait dans « L’homme : Cet inconnu » qu’il convenait d’éliminer dans des établissements euthanasiques appropriés tous les êtres dépourvus d’intelligence comme les fous, les asociaux et les dégénérés qui représentent un danger pour l’évolution de la race humaine [1]. Un évènement étrange, impensable et monstrueux va alors survenir : C’est la Shoah. Il faut se souvenir que les premières personnes à expérimenter le Zyklon B [2] furent les malades mentaux allemands désignés et envoyés à la mort par des médecins psychiatres. C’est dans ce contexte qu’interviennent « les expériences médicales » des médecins nazis. Par-delà même l’horreur des expériences criminelles du sinistre Dr. Mengele, on peut rappeler que, malgré l’importance quantitative de ces expériences, elles n’ont servi à rien et n’ont permis aucun progrès scientifique.
De cette folie monstrueuse va naître le code de Nuremberg en 1947. Marquant les fondements même de l’éthique biomédicale, ce code régit les expérimentations humaines. En particulier, il impose le consentement volontaire du patient et notamment bannit toute contrainte physique ou morale sur le sujet volontaire. L’expérimentation ne peut avoir lieu que s’il est impossible d’obtenir des résultats importants par d’autres moyens. Enfin, le patient doit pouvoir se retirer de l’expérimentation à tout moment. Surtout, le caractère scientifique de l’expérimentation doit être incontestable. Comme le dira plus tard Jean Bernard, le premier président du Comité Consultatif National d’Ethique : « Ce qui est scientifique n’est pas forcément éthique, mais tout ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique ». Toutes nos recherches sont porteuses de grands espoirs pour améliorer le sort des hommes. Mais il est de plus en plus nécessaire, fondamental et même vital pour l’espèce humaine que science rime avec conscience. Comme l’écrivait Jean Bernard : « L’éthique c’est d’abord une double rigueur : La rigueur glacée de la science, la rigueur rigide de la morale ; Mais c’est aussi, alliées à ces rigueurs la chaleur de la vie, la profondeur d’une discipline tout entière inspirée par l’espoir de limiter cette souffrance humaine toujours présente autour des questions posées, tout entière inspirée par l’amour du prochain ».
II – Réflexions sur l’éthique
L’éthique, c’est formellement la science de la morale, l’art de diriger la conduite. On peut la définir aussi comme la juste place de toute chose. C’est l’expression de la mesure. Elle a pour objet la relation de l’âme pour certains et de l’esprit pour d’autres avec l’environnement. Au départ, c’est surtout une morale surplombante héritée des philosophes Grecs limitée à quelques règles simples comme la générosité, la compassion, le dévouement et le désintéressement. Chacun peut en avoir sa propre définition. Aujourd’hui, la morale dit ce qui est bien, le droit dit ce qui est juste, la déontologie indique ce qu’il convient de faire en diverses circonstances. L’éthique elle, fixe les rapports entre science et conscience. Ethique est un joli mot. Il est souvent devenu un mot « valise » utilisé voire dévoyé et on parle d’éthique à tout propos. On parle même d’éthique chez les promoteurs immobiliers. Déontologie suffirait peut-être ?
De mon point de vue, avoir un comportement éthique, c’est résoudre le moins mal possible la tension obligeant à prendre une décision dans une situation où se joue des valeurs contraires. Un exemple simple mais concret à énoncer (mais évidemment pas à régler) : Faut-il respecter la vie à tout prix ou faire valoir un acharnement déraisonnable ? Les nombreuses questions éthiques se posent avec de plus en plus d’acuité avec l’avancée des sciences et des techniques. Cela justifie une révision régulière des lois de bioéthique. En dehors des sujets déjà abordés par les lois, celle à venir se pose aujourd’hui la question de la maîtrise du système nerveux central. C’est un objet de fantastiques espoirs mais aussi d’inquiétude et de fantasmes quant à nos valeurs de liberté et d’autonomie de la personne. Le cerveau reste la dernière planète à découvrir et peut-être à maîtriser ? Des nouvelles réflexions sur l’intelligence artificielle et le trans-humanisme s’imposent aujourd’hui. L’importance de ces questions est trop grande pour ne la laisser qu’aux seuls chercheurs ou qu’aux seuls citoyens. C’est à une autorité morale qu’il convient au terme du débat de proposer des modifications législatives. Mais, c’est au parlement en dernier ressort de voter la loi. Ces procédures sont fondamentales dans une démocratie comme la nôtre.
Finalement, nous sommes passés d’une déontologie régissant l’exercice des professions médicales à une éthique biomédicale. C’est-à-dire à la relation de l’esprit humain avec l’environnement scientifique. Elle dépasse donc l’environnement médical pour concerner l’ensemble de la société.
III – Spécificité française
Le Comité National d’Ethique Médicale et des Sciences de la Vie (CCNE), les comités informels comme les comités consultatifs pour la recherche biologique comprennent des scientifiques, des médecins, mais aussi des juristes, des philosophes, des théologiens et des représentants des grandes familles spirituelles.
Nous avons en France une réflexion éthique poussée, basée sur des notions de don, de laïcité et d’égalité. Ce n’est pas outrancier de le dire et de le faire savoir. La France a été le premier pays à créer un Comité Consultatif National. Sa vocation est de soulever les enjeux des avancées de la connaissance scientifique dans le domaine du vivant et de susciter une réflexion de la part de la société. Après des Assises de la recherche, le CCNE est créé le 23 février 1983 par un décret de François Mitterrand. Les premières questions abordées vont concerner l’assistance médicale à la procréation (AMP) et l’expérimentation sur l’homme. Elle va s’étendre ensuite à la recherche sur l’embryon humain, l’information génétique, les neurosciences, le statut des éléments du corps humain ou la biodiversité. Les trois lois de bioéthique dites Huriet-Sérusclat sont proclamées les 1er et 28 juillet 1994.
Elles posaient les principes généraux de protection de la personne humaine (qui ont été introduits notamment dans le Code civil), les règles d’organisation de secteurs d’activités médicales en plein développement tels que ceux de l’assistance médicale à la procréation ou de greffes ainsi que des dispositions relevant du domaine de la santé publique ou de la protection des personnes se prêtant à des recherches médicales. On peut rappeler que Dolly, le premier mammifère cloné de l’histoire est née en 1997. Amandine, le 1er bébé éprouvette français est née à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart en 1982. Elle devrait avoir aujourd’hui 36 ans. La loi de juillet 2001, sept ans après, innove sur différents points.
Le don croisé d’organes en cas d’incompatibilité entre proches est autorisé [3]. Cette possibilité concerne essentiellement les greffes de rein. Elle permettrait d’en réaliser cent ou deux-cent de plus chaque année. Une nouvelle définition des modalités et des critères permettant d’autoriser les techniques d’assistance médicale à la procréation et d’encadrer leur amélioration comme la congélation ovocytaire ultra rapide (ou vitrification) est autorisée. Lors de l’examen à l’Assemblée Nationale, les députés ont refusé la possibilité aux femmes homosexuelles de recourir à l’assistance médicale à la procréation.
Elle a, par contre, adopté un amendement rejetant l’ouverture d’une possibilité d’accès à l’identité du donneur pour les personnes issues d’un don de gamètes prévue par le texte du projet de loi initial. Les révisions des lois le 6 août 2004 interdisent le clonage reproductif ou thérapeutique chez l’Homme [4], la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires (sauf exception très encadrées et limitées à cinq ans si elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs).
Le cercle des personnes pouvant procéder à un don d’organe pour une greffe est élargi. La brevetabilité est autorisée pour une « invention » constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain. Une Agence de la biomédecine est créée. Elle doit donner son avis sur les projets de loi avant qu’ils soient examinés tous les cinq ans par le parlement.
On peut se féliciter qu’enfin, à la troisième révision un processus de concertation citoyenne soit mis en place par le CCNE. Même si je travaille sur ces questions de bioéthique dans un laboratoire scientifique depuis les années 1990, je ne me qualifierai jamais de spécialiste en éthique médicale mais plutôt comme un professionnel médical et un citoyen averti. Pour ces raisons je souhaite participer aux débats par mes publications dans France Audacieuse mais aussi participer aux débats citoyens. C’est pourquoi ce premier texte sera suivi très rapidement d’autres portants sur les cinq thèmes mis au débat depuis la mi-janvier 2018.
IV – Etats Généraux de la Bioéthique
En pratique, les Etats généraux de la bioéthique ont été lancés, jeudi 18 janvier, sur le thème : « Quel monde voulons-nous pour demain ? » Neuf sujets principaux ont été choisis pour être débattus, dont la PMA, la fin de vie, la santé « numérisée » ou encore intelligence artificielle. A terme, ils contribueront à réviser la loi de bioéthique qui date de 2011.
Chaque thème piloté par le CCNE se décline dans chaque région sur une réflexion régionale différente pour chacune. Dans chaque région, les thèmes sont également abordés avec un relais des « espaces de réflexion éthique » qui organisent des débats, des rencontres, des conférences les sujets régionaux.
Comme prévu par la loi de 2011, mais pour la première fois, un comité citoyen des États Généraux sera formé d’un échantillon de citoyens représentatifs de la population française. Il sera chargé de formuler un avis critique tout au long des États généraux sur l’avancée des consultations et sur la méthode employée. Il recevra, en amont, un éclairage sur les enjeux des débats de bioéthique et pourra également se saisir d’un ou plusieurs thèmes de débat qu’il choisira. Ouverts aux citoyens et aux organisations, associations, sociétés savantes, organisations confessionnelles, etc.), une soixantaine de débats sont prévus ainsi que plusieurs auditions. Chacune de ces rencontres et auditions sera ensuite disponible en ligne sur le site de CCNE.
Un site internet, géré par le CCNE, sera dédié dès début février 2018 aux États généraux (https://etatsgenerauxdelabioethique.fr/). Il permettra à chaque citoyen de s’informer sur l’ensemble des sujets abordés et d’exprimer en ligne sa propre opinion sur les thématiques. Chaque région va travailler sur des thèmes différents (voir sur le site les thèmes de chaque région). Pour l’Ile-de-France, les rendez-vous sont organisés à la mairie du quatrième arrondissement de Paris.
07/02 : « Guérir, réparer, augmenter : aux frontières de la médecine ».
07/03 : « Neurosciences : tout révéler de l’humain ? ».
11/04 : « Génomique : tout prédire de l’humain ? ».
09/05 : « Données massives : l’homme transparent, l’homme profilé ? ».
06/06 : « Procréatique et société : une nouvelle fabrique de l’humain ? ».
Les ateliers de la bioéthique s’organiseront avec une conférence entre deux chercheurs en sciences et en sciences humaines. J’insiste sur la nécessité d’un binôme scientifique et technique et de sciences humaines. Elles seront suivies d’un débat.
06/02 : « Quels nouveaux territoires pour la bioéthiques ? »
06/03 : « Médecine de l’anticipation : demain tous malades ? »
10/04 : « Utilisation des éléments et produits du corps humain : qu’en est-il de l’idée de respect ? »
15/05 : « Assistance médicale à la procréation : quand la demande sociétale n’admet plus la justification médicale ».
De surcroît, des rencontres et des débats seront également organisés à destination des lycéens et étudiants de plusieurs disciplines. Ces événements seront organisés en association avec les conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA). Chaque débat fera l’objet d’une synthèse. Les avis et recommandations seront transmis au CCNE fin mai 2018. Ils figureront dans leur intégralité dans le rapport de synthèse final du CCNE.
Ce rapport accompagné des avis du comité citoyen sera disponible en juin 2018. Ils doivent éclairer les acteurs qui porteront la révision de la loi de bioéthique (ministères, parlementaires, etc.). La synthèse sera également sera remise par le CCNE en juin 2018 à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). En plus des synthèses des États généraux, le CCNE apportera sa propre vision sur les priorités qui pourraient figurer dans la loi, à la lumière de toutes les contributions qu’il aura réunies. Cet avis sera remis dans le cadre de l’examen du projet de loi déposé au Parlement à l’initiative du gouvernement. La clôture officielle des États généraux interviendra début juillet sous l’égide du Président de la République.
Conclusion
On ne peut, une fois encore, que se féliciter et saluer la mise en place de méthodes participatives. Ces questions posent « in fine » la question de l’avenir de l’Homme et de sa maîtrise par l’ensemble du corps social. Pour reprendre une fois encore le Pr Jean Bernard, après tout « c’est de l’Homme qu’il s’agit ».
Après cette première présentation des enjeux, mon prochain article à venir traitera des questions de fin de vie et d’euthanasie.
Dr Jacques Hassin
24 janvier 2018
[1] – Carrel Alexis, L’homme cet inconnu, Plon, 1986 (1935), 380 pages.
[2] – Ce pesticide à base d’acide cyanhydrique était produit par la firme allemande Degesh associée à IG Farben fondée par rapprochement concerté des sociétés chimiques BASF, Bayer et Agfa en 1930.
[3] – Par exemple, si deux personnes, candidates au don pour un proche sont incompatibles avec leur proche malade, elles peuvent s’échanger leur receveur respectif s’ils leur sont compatibles
[4] – Quand j’écris Homme je parle de l’espèce (Homo) et non du genre (masculin ou féminin).