Centre des Professions Financières
« La présidence de Donald Trump :
relations USA-Europe»
Jean-David Levitte
Diplomate français, Ambassadeur de France aux Etats-Unis, Dignitaire
Jeudi 2 mars 2017
Michel Pébereau, Président du centre des Professions Financières, rappelle tout d’abord les grandes lignes du parcours de Jean-David Levitte. Après des études de droit, il devient diplômé de l’institut d’Etudes Politiques et de l’Ecole Nationale des Langues Orientales vivantes où il apprend le mandarin, le malais et l’indonésien. Il entre au Ministère des Affaires Etrangères en 1972. Il démarre sa carrière en poste à Pékin puis à Genève, à l’ONU comme représentant permanent de la France. Il fut également conseiller diplomatique et sherpa à l’Elysée sous Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy. Il est enfin ambassadeur de France aux Etats-Unis de 2002 à 2007.
Entrant dans le vif du sujet, Jean-David Levitte pose le sujet en ces termes : « Pourquoi Trump a t-il été élu et avec une telle vague populiste ? » Certes, on peut invoquer l’immigration et le terrorisme mais il ne s’agit pas d’explications suffisantes.
Il faut souligner l’angoisse de l’homme blanc aux USA qui se voit devenir minoritaire face aux populations afro-américaines, asiatiques ou encore bien sûr latino-américaines. Or cette population blanche n’est pas celle qui réussit le mieux : les 2/3 de la classe moyenne américaine voit son niveau de vie baisser depuis la fin de l’ère Clinton. Le déclinisme se nourrit donc d’un sentiment de perte de contrôle et de déclassement qui n’est pas sans lien avec la réussite du slogan de Trump aux élections : « Make America Great Again ».
Pendant la guerre froide, face à l’Union soviétique, les USA évoluaient dans un monde bipolaire. Pendant les années prodigieuses Clinton, les Etats-Unis sont devenus la « nation indispensable » faisant basculer le monde dans un monde unipolaire. Et tous les paradigmes ont changé le 11 septembre 2001 lorsque les Américains se sont sentis pour la première fois vulnérables. Cet acte terroriste a débouché sur deux guerres, l’une en Irak et l’autre en Afghanistan, au cours desquelles les Etats-Unis ont découvert les limites de leur pouvoir. Et en parallèle, on a connu l’ascension prodigieuse des «Brics ». Puis Obama a surtout voulu se désengager et le monde est alors devenu « apolaire » par la volonté même des Etats-Unis.
Pour Jean-David Levitte, l’élection de Trump provient d’une erreur de diagnostic :
- Les Etats-Unis ne sont pas affaiblis : sur le plan militaire, ils ont un budget d’environ 600 milliards de dollars et Trump va rajouter 10% complémentaire.
- Economiquement, après la crise financière de 2008, le dollar est plus puissant que jamais.
- La Silicon Valley n’existe qu’aux Etats-Unis et le « soft power » des USA est plus puissant que jamais
- Les Etats-Unis ne connaissent que ‘,7% de chômeurs.
On peut donc conclure que le diagnostic de l’Amérique sur elle-même est surprenant et erroné. Cette erreur de perspective provient en réalité du fait que les autres puissances montent : c’est ce qu’ont souhaité les Etats-Unis et ce qui est d’ailleurs bon pour tout à la fois l’économie américaine et mondiale. Une solution qui viserait à aller à l’encontre de la mondialisation serait donc erronée si Trump la mettait en œuvre. Elle mettrait en danger l’économie et la paix mondiales.
En effet, depuis 1945, les USA ont été les architectes du monde : ils ont voulu et construit l’OTAN, le FMI, l’ONU, l’OMC, la Banque Mondiale, l’Alena, etc…
Aujourd’hui, cette architecture est mise en danger car Trump est un négociateur redoutable. Ce bâtisseur d’immeubles précise dans « The Art of a Deal » sa vision d’une négociation : il faut déstabiliser le partenaire pour lui extraire des concessions. Trump a une vision bilatérale des sujets et il souhaite casser cette architecture multilatérale. Mais du point de vue de Jean-David Levitte, le pire n’est pas sûr… Certes Trump a des idées simples mais fausses, mais il sait écouter et peut abandonner des solutions erronées. Beaucoup va donc dépendre de son entourage qui regroupe tout à la fois des idéologues assez inquiétants mais également des généraux, de très bon niveau et en nombre très inhabituel, parmi lesquels des hommes très courageux. Il est également entouré d’économistes, de milliardaires et de sa famille, là encore phénomène à souligner car inhabituel. Il faut noter que ces cercles d’influence ne s’additionnent pas mais sont en rivalité permanente.
Le discours de Trump devant le Congrès était du point de vue de l’orateur rassurant car il y a vu un ton plus présidentiel. Certes les grandes priorités internes n’ont pas été abordées en profondeur. Mais cela est normal car Trump n’a pas tous les pouvoirs en la matière. Il s’est en revanche exprimé en matière de chantiers extérieurs.
Pour conclure son intervention, Jean-David Levitte a souligné que si l’Europe est capable de jouer pleinement son rôle et si le couple franco-allemand se renforce, l’Europe sera alors capable de prendre la défense de notre monde multilatéral. Il rappelle donc l’importance des élections présidentielles françaises en la matière dont les résultats peuvent irradier le couple franco-allemand.
Conclusion de France Audacieuse
Cette intervention de Jean-David Levitte est fort précieuse : elle était tout à la fois claire et synthétique… mais riche et initiée.
Le Centre des Professions Financières, qui avait organisé ce débat, a fait ici un beau cadeau à l’auditoire en lui donnant un accès privilégié à l’analyse d’un des plus fins connaisseurs de la relation transatlantique.
France audacieuse ne pouvait que s’en faire l’écho.
Alexia Germont – 12 mars 2017