Les Regards Décalés d’Ariane Sauvage
Correspondante de France Audacieuse en Californie
Covid 19 : L’arsenal du chercheur
Episode 4 de l’interview d’Amandine G., écologue
Suite de l’interview d’Amandine G, écologue. Episode 4 sur 6
Vous liez dans vos travaux des disciplines qui peuvent sembler un peu disparates en apparence, à savoir l’écologie, les maladies infectieuses et les mathématiques. Pouvez-vous nous expliquer ce lien ? Par exemple, comment étudiez-vous la transmission via les mathématiques ?
Typiquement en modélisation, on utilise beaucoup de simulations. Quand on a une théorie que l’on veut tester, la première chose que l’on fait est de simuler les données. On fait de faux individus dans notre ordinateur, qui deviennent infectés au taux que l’on veut, puis ils transmettent aux taux que l’on veut, etc…et on regarde ce qui se passe et comment la courbe des infections s’inverse. Je ne fais pas de pathologie, ou du moins je ne dois la connaître que quand elle est liée à la transmission. Pour nous, ce qui compte, c’est de savoir la période d’incubation, combien de temps les gens mettent avant de tomber malade et surtout le lien entre le moment où ils excrètent le virus et où ils commencent à montrer les symptômes, est-ce avant ou après ? C’est cela que je regarde, sur le plan de l’épidémiologie, c’est très important.
Par exemple, il peut y avoir des virus dans le cerveau, cela a des conséquences énormes sur l’individu, par contre sur le plan de l’épidémiologie, cela n’aura pas beaucoup d’importance parce qu’un virus dans le cerveau ne se transmet pas bien. Les gens qui n’ont pas une infection dans le système respiratoire, mais seulement nerveuse, au niveau de l’épidémiologie, ils ne comptent plus comme des gens infectés, ils ne transmettent rien.
Et l’écologie ?
Il est vrai qu’au premier abord le lien entre écologie, maladies infectieuses et mathématiques n’est pas évident. Et en vérité, l’écologie est un domaine immense qui en recouvre plusieurs différents.
Disons que l’écologie en tant que science, c’est ce qui s’intéresse aux interactions entre les organismes et leur environnement, soit les organismes entre animaux, ou entre un animal et ses parasites. Par définition, l’interaction entre un hôte et son parasite, cela relève de l’écologie. Et peut-être l’un de ses concepts les plus faciles à comprendre, c’est l’interaction proie-prédateur, entre animaux. Ce sont des processus écologiques naturels. Classiquement à l’école quand on apprend les modèles proie-prédateurs, on apprend les populations de lapins et de renards qui oscillent ensemble. Plus il y a de lapins, plus il y a de renards, et puis plus il y a de renards et moins il y a de lapins, et inversement. Et en fait pour les maladies infectieuses, c’est pareil, sauf que le renard, c’est le virus, et le lapin, c’est nous. Mais dans certains cas, notre immunité, c’est le renard, et le virus, c’est le lapin. Cela fait partie de cycles complexes. Et quand on vaccine, le vaccin devient un compétiteur pour le virus, c’est comme si on introduisait un loup en plus du renard, du coup les lapins sont divisés entre les renards et les loups. De même les individus sont divisés, ceux qui ont été pris par le vaccin ne sont plus accessibles pour le virus. Cela aussi fait partie de l’écologie des interactions.
Où s’inscrit alors l’étude des maladies infectieuses ?
Dans mon équipe, nous travaillons en particulier sur les virus de la chauve-souris. Nous savons que les chauves-souris sont hôtes d’énormément de virus. Il y a eu le premier SARS, le MERS dans la même famille, l’Ébola… Il y a plein de virus qui viennent des chauves-souris et dans ce contexte, on essaie de comprendre ce qui se passe chez elles et comment cela se passe dans la relation avec l’homme.
Pour Ébola, par exemple, il y a eu des transmissions directement de la chauve-souris à l’homme, mais le plus souvent il y a une espèce domestique entre les deux. Pour le MERS par exemple, un autre coronavirus virus qui circule au Moyen Orient, l’animal intermédiaire est le dromadaire. Nous pensons, même si l’on n’est pas sûr à100%, que les chauves-souris contaminent (ou ont contaminé dans le passé) les dromadaires, ainsi, les dromadaires sont infectés, le virus se réplique chez eux, et quand les humains se retrouvent en contact avec le dromadaire, c’est là qu’ils s’infectent. Pour le SARS-1, on sait que l’animal intermédiaire était la civette. Il y a aussi le virus Hendra, qui fait partie d’une autre famille de virus mais qui partage beaucoup de caractéristiques avec les coronavirus, et qui se transmet de la chauve-souris à l’homme en passant par le cheval, découvert en Australie en 1994.
Mais toutes ces maladies infectieuses, même menaçantes, n’ont pas eu un impact aussi important que le SARS-Cov-2 et le Covid 19 sur nos sociétés, comment l’expliquez-vous ?
C’est une question qui illustre comment la virologie et épidémiologie se complètent bien. Par exemple le SARS-1, c’est vrai, a été contenu plus facilement sans tout fermer, on pense que la principale raison est qu’il était un peu moins transmissible que le SARS-2. En effet, le SARS-1 se réplique plutôt dans les voies basses du système respiratoire, alors que le SARS-2 se réplique dans les voies hautes et basses du système (Munster et al. 2020, Nature ; V’kovski et al. 2021, PLOS Biology). Un virus dans les voies basses, ça provoque des maladies graves, puisque ça empêche les poumons de fonctionner correctement. Alors que quand il se trouve dans les voies hautes, la transmission est facilitée. Donc, tout ce qui se passe dans les voies hautes, ce n’est pas forcément toujours très grave mais cela se transmet très facilement, alors que ce qui se passe dans les voies basses, ça va être plus grave mais se transmettre moins facilement. Et très malheureusement, le SARS-Cov2 fait les deux, il peut être très grave et se transmettre très facilement. En plus, les personnes contaminées par le virus commencent à l’excréter avant de montrer des symptômes dans beaucoup de cas. C’est pour cela que les “screenings” à l’aéroport ne peuvent pas marcher, c’est parce que les gens projettent du virus alors qu’ils sont en pleine santé. Alors que pour SARS-1, les gens tombaient très malades avant de commencer à trop excréter le virus, ils restaient chez eux à se soigner, et ça a suffi à couper une irruption qui aurait pu devenir une pandémie. Ce sont de mini enchaînements de cette nature qui peuvent changer du tout au tout une situation sanitaire, ce sont de petits changements dans le virus même qui le rendent dangereux ou pas, et qui font que cela devient un problème différent.
Là, par exemple, un aspect que pour le moment nous avons beaucoup du mal à estimer, ce sont les séquelles à long terme du virus. Il semble qu’elles soient plus prévalantes que ce que l’on pensait originellement. C’est un virus qui a l’air plus méchant que les Corona virus endémiques que l’on a habituellement.
Pensez-vous que le coronavirus a une histoire plus ancienne que ce que l’on croit ?
Concernant les coronavirus en général, au-delà de SARS-CoV-2, oui, absolument. Par exemple, on pense qu’il y a eu une épidémie au coronavirus au XIXème siècle, semblable à celle d’aujourd’hui. Il serait est apparu dans les populations humaines au XIXème siècle, vers 1890, du moins en Europe occidentale, et il aurait créé une épidémie qui semble avoir eu la même ampleur que celle d’aujourd’hui (https://www.vidal.fr/actualites/26269-pandemie-de-grippe-russe-une-covid-du-xixe-siecle.html). Même si bien sûr les données de l’époque ne sont pas assez importantes pour qu’on en soit totalement sûr à 100%, on ne sait pas exactement comment ça s’est passé car l’on n’a pas d’échantillons du virus du XIXème siècle. Est-ce venu d’un coup ? Combien de gens en sont morts ? On ne le sait pas très bien.
Nous savons en revanche qu’il y a eu de grosses mortalités dans du bétail. Et l’on sait qu’il y a un des coronavirus humain (HCoV-OC43, un coronavirus « saisonnier », qui cause généralement un simple rhume) qui est très proche d’un coronavirus qui touche les bovins. Et en faisant des analyses génétiques, on peut voir à quel point ils sont différents ou proches, et comme on connaît à peu près le taux de mutation du virus, on peut reconstruire leur parcours et voir qu’ils se sont séparés il y a tant d’années. Et quand on voit le virus que l’on a en ce moment chez l’homme et qu’on le compare au virus que l’on trouve chez le bovin, on s’aperçoit qu’ils ont l’air de s’être séparés au XIXème siècle. Or, il se trouve qu’au XIXème siècle, il y a eu une épidémie chez les bovins qui a tué énormément d’animaux, et qui est rapportée dans des documents historiques, et qu’en parallèle un peu plus tard il y a eu de graves épidémies chez l’homme, que l’on a appelées la grippe russe parce que à l’époque, cela semblait provenir de l’Europe de l’Est ou du Moyen Orient. Ce sont des spéculations, bien sûr, mais si on essaie de reconstruire ce qui s’est passé, ce scénario semble le plus crédible.
Y a-t-il un lien entre l’action humaine et l’émergence de ces maladies zoonotiques ?
C’est une question qui pour le coup touche l’écologie appliquée, c’est-à-dire l’application de l’écologie, mais en dehors du milieu scientifique. L’écologie telle qu’elle est appréhendée par le grand public et qui peut concerner la conservation de l’habitat, ou juste comprendre notre impact, ou comment est-ce que nous interagissons sur notre environnement. Réaliser aussi à quel point la déforestation, la fragmentation de l’habitat naturel impacte la santé des populations sauvages.
Dans notre équipe, l’idée défendue est que les perturbations de l’environnement, la déforestation notamment, ont des impacts sur les populations de chauve-souris, qui créent plus d’opportunités de transmission des maladies infectieuses, soit directement à l’homme soit via d’autres espèces (Plowright et al. 2021, The Lancet Planetary Health).
Quand on rase une forêt, les chauves-souris n’ont plus les arbres dont elles disposaient pour se nourrir. Ce sont des animaux qui mangent des fruits, du coup elles vont potentiellement passer plus de temps dans les jardins où se trouvent des arbres fruitiers. On pense en tout cas que c’est ce qui s’est passé pour le virus Hendra avec les chevaux en Australie, dont les pâtures abritent souvent des arbres fruitiers (Kessler et al. 2018, Annals of the New York Academy of Sciences). Les chauves-souris viennent, mangent les fruits, les laissent tomber, et les chevaux sont exposés de cette manière. Alors que s’il n’y avait pas ces pâtures pour les chevaux au milieu de leur habitat ou si elles avaient encore leurs forêts bien fournies en arbres fruitiers, ces réactions en chaîne n’arriveraient pas. La perturbation des écosystèmes, c’est exactement cela.
On se demande aussi s’il est possible que quand on détruit leur habitat et que les chauves-souris ont moins accès à la nourriture, si cela ne crée pas un état physiologique particulier, qui les rend plus vulnérables aux virus. On sait que les populations humaines, quand elles ont moins accès à la nourriture, elles sont plus sensibles aux maladies infectieuses. Potentiellement chez les chauves-souris, c’est peut-être pareil ? On est encore en train de chercher, de démontrer si c’est vrai ou pas, de comprendre ces mécanismes, en sachant que nous n’aurons jamais des réponses complètes mais on accumule les connaissances qui nous orientent vers une piste ou l’autre.
Faut-il en conclure que nous sommes aussi responsables en partie de cette crise sanitaire?
Je ne suis pas spécialiste de l’histoire des maladies infectieuses mais il est aussi certain que les épidémies de peste n’ont pas eu besoin qu’on construise des autoroutes pour se développer au Moyen Age ou plus tard ! Tout ce que je puis dire, c’est qu’il y a une relation irréfutable entre la perturbation des écosystèmes et la transmission des agents infectieux.
Déjà, il y a eu la domestication depuis plusieurs siècles qui fait que nous sommes en contact avec des animaux avec lesquels auparavant, les relations étaient plus irrégulières. Après, il y a le mode de vie actuel, la sédentarisation, avec des grosses villes qui se forment et qui favorisent la transmission. Mais je pense aussi que si on vivait tous comme il y a longtemps, avec le moins d’impact possible sur la nature, il y aurait toujours des maladies infectieuses car les virus et les bactéries ont évolué avec nous. Au moins, avec cette crise, nous avons pu accumuler un maximum de données qui vont aider la recherche.
Suite de l’interview dans l’épisode 5 (sur 6) : “La formation d’une écologue”