Les Regards Décalés d’Ariane Sauvage
Correspondante de France Audacieuse en Californie
Covid 19 : La formation d’une écologue
Episode 5 de l’interview d’Amandine G., écologue
Suite de l’interview d’Amandine G, écologue. Episode 5 sur 6
Êtes-vous issue d’un milieu scientifique ?
Pas spécialement, non, mais j’ai grandi dans un environnement dynamique qui poussait à entreprendre des activités diverses, jamais je n’ai entendu quelqu’un dire chez moi « qu’une fille est incapable de faire des maths ». Au contraire, j’ai été très encouragée quand j’ai voulu devenir vétérinaire.
Avez-vous souhaité devenir chercheuse très tôt ?
Pas du tout. La plupart des chercheurs que je connais ont cette vocation très jeunes, parfois dès le lycée. Moi, j’en avais une image vieillotte. Puis j’ai évolué pendant mes études vétérinaires, j’ai découvert des sciences fondamentales comme la physiologie ou la biologie cellulaire que j’ai adorées, alors que finalement les soins cliniques aux animaux m’attiraient moins. L’une de mes enseignantes nous apprenait le comportement animal, d’où proviennent les comportements des chiens ou des chats, par exemple, en nous parlant de l’écologie liée à cette espèce-là, puis de leur domestication, et pourquoi ils gardent cependant des attitudes et besoins sélectionnés par l’évolution quand bien même ils n’en ont plus besoin. (Et que, par exemple, beaucoup des troubles du comportement chez l’animal domestique sont liés à une incompréhension de ces attitudes et besoins…) Par ailleurs, l’écophysiologie, c’est-à-dire l’étude du corps de l’animal en lien avec son écosystème m’a aussi beaucoup intéressée. L’adaptation au froid, par exemple, ou la gestion des réserves d’oxygène chez l’animal en plongée, comme les manchots. A la fin de mes études à l’Université de Strasbourg, c’était d’ailleurs le sujet de ma thèse de Master : le comportement en mer des manchots, sur la base des données collectées par l’équipe avec laquelle je travaillais. C’est aussi comme ça que j’ai découvert l’importance des Mathématiques.
Pourtant, le lien avec les Maths ne paraît pas si logique ?
Au contraire. On met des capteurs de pression sur le dos des manchots qui nous indiquent quand ils plongent, à quelle profondeur, quand ils remontent, etc… Tout cela sur un individu, puis sur un groupe, puis sur deux groupes. On peut ensuite reconstruire ce qu’ils font sur la base d’un énorme jeu de données provenant de milliers de plongée. Cela devient vite impossible de faire un graphique, il y a trop de statistiques. En prépa, heureusement, nous avons reçu une solide formation en mathématiques, mais qui reste très théorique. Avec les manchots, j’ai du passer à la mise en pratique de la programmation. Toutes ces études sont financées par l’IPEV : Institut Polaire Français Paul Émile Victor, en collaboration avec le TAAF : Terres australes et antarctiques françaises, et comme cela m’a vraiment passionnée, j’ai postulé par la suite pour passer ma thèse dans des laboratoires qui avaient des programmes de recherche dans les régions les plus froides de la planète. C’est ainsi que je suis arrivée à l’Université de Montpellier qui avait déjà un programme bien implanté dans l’Arctique et qui en commençait un dans le Subantarctique. Leur axe de recherche portait sur les maladies infectieuses chez les oiseaux marins, ce qui me paraissait parfait pour lier les compétences que j’avais acquises entre le terrain et les statistiques. Pendant mes études vétérinaires, les maladies infectieuses ne m’intéressaient pas du tout, mais maintenant que j’en ai une vision plus écologique, cela m’attire mille fois plus car la question n’est plus de les soigner, mais de comprendre comment le comportement des animaux va disperser les agents infectieux.
C’est là où les missions sur le terrain sont irremplaçables, j’imagine ?
Oui, absolument. J’ai commencé par en faire deux en Norvège, au large d’une côte où se trouve une petite île à une demi-heure de bateau avec de hautes falaises remplies de mouettes. C’est une île inhabitée où l’on passe en général six semaines à vivre à deux dans un phare, en rotation, et avec parfois d’autres équipes qui arrivent. J’avais 25 ans et c’est là où j’ai appris à manipuler mes premiers oiseaux sauvages, à poser des bagues et des systèmes GPS. J’y étais au printemps, c’est plus facile, et puis je suis repartie pour une autre mission en direction du pôle Sud. C’est l’un des avantages du terrain polaire, on peut y travailler toute l’année en raison de l’inversion des saisons entre les deux hémisphères.
Au pôle Sud, vous étiez à nouveau sur une île ?
Oui, nous étions basés sur l’île d’Amsterdam, qui est l’une des îles subantarctiques françaises située à la limite des océans indien et austral, entre l’Australie et l’Afrique du Sud. Comme l’île se trouve à peu près à 4000 km de des ceux continents, nous plaisantions toujours que finalement nos voisins les plus proches étaient les résidents de la station spatiale internationale qui passait entre 400 et 600 km au-dessus de nos têtes. Il y a entre autres une station météorologique qui mesure les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’ile d’Amsterdam étant l’une des plus isolées de la planète, elle sert de point de référence, et donc nous savions aussi que nous respirions l’air le plus pur du monde pendant quelques temps.
Et quel était le but de votre mission là ?
Étudier la population d’albatros locale qui rechute de la même maladie tous les ans, et l’on essaie de comprendre pourquoi. Ils sont atteints de choléra aviaire, inoffensif pour les humains, mais mortel pour leurs poussins. C’est une grosse logistique que de parvenir jusqu’à cette colonie. Pour atteindre l’île d’Amsterdam, il faut prendre l’avion jusqu’à l’île de la Réunion, de là prendre le bateau plein Sud sur 2880 kilomètres. Le bateau fait le voyage quatre fois par an, le trajet dure un mois (car il ravitaille aussi les iles Crozet et Kerguelen sur le chemin). Une fois arrivés à l’île, Il y a tant de vent et les côtes sont si escarpées que nous sommes déposés par hélicoptère. On reste quelques jours à la base avant de repartir vers la colonie des albatros, qui se situe à peu près à sept heures de marche. Il y a tout le temps du vent, et comme c’est une île volcanique, les dénivelés sont importants, une partie se fait en escalade aménagée, il faut parfois descendre des falaises, avec les sacs à dos et le matériel. Mais une fois arrivés sur place, il y a une petite cabane où l’on s’installe pendant un mois et les terrains où sont installés les albatros deviennent comme un laboratoire à ciel ouvert. Quand on a besoin d’attraper un loup, par exemple, pour lui mettre un collier GPS, c’est très difficile. Les albatros, eux, ne connaissent pas les prédateurs terrestres, alors ils se laissent attraper sans problème, on peut les baguer, les vacciner…ils se laissent faire. Il y en a en plus une foule : 23,000 couples, donc 46,000 individus, plus les poussins quand ils éclosent.
Mais quel est l’intérêt particulier de cette étude ?
De pouvoir tester la vaccination. En général, dans un milieu sauvage, s’il y a une épidémie, soit elle tue tout le monde, donc il n’y a plus d’hôte pour abriter la bactérie, soit ceux qui survivent montent une réponse immunitaire, qui peut mener à l’extinction de la bactérie. Mais dans le cas des albatros de l’île d’Amsterdam, l’épidémie revient tous les ans depuis les années 80, ce qui nous donne un système très stable dans lequel nous pouvons tester la vaccination. Chaque année, nous retrouvons à peu près 95% des albatros vaccinés, alors que par exemple, j’ai des collègues chercheurs qui travaillent sur le HIV en Afrique, ou même sur la grippe à Paris, et le travail s’avère beaucoup plus difficile avec les humains.
Y a-t-il des conclusions ?
La première leçon que j’ai apprise pour ma part, c’est qu’il est fondamental de connaître l’écologie de l’espèce que l’on étudie quand on veut agir sur la maladie infectieuse de cette espèce. Aussi, il y a une théorie en écologie qui postule qu’une vie longue va avec un mode de vie lent. L’albatros bénéficie d’une grande longévité, et il ne donne naissance qu’à un seul poussin par an, si ce n’est tous les deux ans. Sur le plan des maladies, il semble bien qu’ils mettent plus de temps à développer une réponse immunitaire mais les anticorps vont potentiellement rester plus longtemps. Anticorps dont les poussins se nourrissent à leur naissance. C’est ainsi que se bâtit chez eux la fameuse immunité de groupe. A la période des naissances, il y a subitement une arrivée massive d’individus nouveaux, forcément, donc soit ils ont hérité de l’immunité de leurs parents, soit ils se font infecter par la bactérie et ils meurent, de façon foudroyante. A nous d’étudier si le poussin va garder l’immunité de sa mère longtemps, pour celui qui en a hérité. Pour les autres, nous en vaccinons quinze, et en organisant la falaise par carré, on peut se dire qu’au bout de dix ans, nous aurons vacciné les 46,000 albatros. Ce vaccin existe déjà dans le milieu de l’élevage, il s’applique donc à des animaux domestiqués à la vie courte. Pour les albatros, nous pensons maintenant qu’il faudrait mettre au point un vaccin pour une espèce à longue durée. En sachant aussi que l’île abrite aussi des goélands, sur lesquels nous mettons des GPS car ils se nourrissent de cadavres d’albatros, récoltent la bactérie qu’ils vont ensuite disséminer ailleurs.
Tout cela est l’illustration de comment nous pouvons utiliser l’écologie et les traits d’une espèce à notre avantage quand on veut essayer de contrôler ce qui se passe dans un milieu sauvage. Et nous mène à nous poser toujours d’autres questions : pourquoi ici la maladie revient-elle tous les ans par exemple ? Notre hypothèse est qu’elle est arrivée avec les rats que transportaient les navires baleiniers du XIXème siècle, hypothèse que nous avons vérifiée en capturant des rats encore présents sur l’île, et de fait, ils portent la bactérie, n’en meurent pas mais la transmettent.
Tout cela aussi pour indiquer qu’avec ce genre d’études, nous nous retrouvons toujours avec une collecte énorme de données, qui nécessite que nous ayons recours à la modélisation mathématique pour les traiter et en tirer des conclusions.
Suite de l’interview dans l’épisode 6 (sur 6) : « Les pérégrinations d’une écologue »