Les Regards Décalés d’Ariane Sauvage
Correspondante de France Audacieuse en Californie
Les pouvoirs publics face au coronavirus
Episode 3 de l’interview d’Amandine G., écologue
Suite de l’interview d’Amandine G, écologue. Episode 3 sur 6
Beaucoup critiquent partout dans le monde la façon dont les pouvoirs publics ont géré cette crise sanitaire. Comment votre équipe aurait-elle réagi, si vous aviez eu le pouvoir exécutif ?
Dans notre ordinateur, la situation idéale, évidemment, c’est zéro contact, donc zéro transmission par jour, et là, c’est parfait. Bien sûr, ce n’est pas faisable en dehors de l’ordinateur, mais en épidémiologie, la seule bonne réponse est d’enfermer tout le monde et de procurer le vaccin le plus vite possible. Dans un monde où il n’y a pas de contraintes économiques et sociales, ce qui n’est le cas nulle part. Donc, si on était dans un monde où ce ne serait vraiment que la virologie et les mathématiques qui gouvernent, la réponse était claire : dès qu’on sait qu’il y a un agent infectieux qui se promène, on ferme tout, on confine tout le monde, tout le monde reste chez soi. Il y a des choses qui n’ont pas été faites idéalement, c’est sûr, comme par exemple à mes yeux, cela a été trop lent de bloquer les voyages internationaux. Il y avait ce foyer dans l’état de Washington, peut-être qu’on aurait pu l’étouffer si on avait décrété l’interdiction aux avions de voler dès le début. Mais les grands pays comme les États-Unis avaient encore beaucoup de vols en mars 2019. Cependant, ce sont aussi des décisions très lourdes au niveau personnel, professionnel et économique, les gens ont besoin de voyager. C’est toujours la même histoire, il faut savoir évaluer les coûts et les bénéfices. Au début, on ne sait pas quel est le danger, on ne se rend pas compte du coût que cela va représenter de maintenir le voyage parce que l’on ne sait pas à quel point ça va être difficile de contenir le virus.
Sans oublier les données culturelles de chaque pays ou société.
C’est vrai, les réactions varient en plus selon les continents. En Chine, ils ont organisé des confinements très lourds. Je n’ai pas d’expertise en sociologie ou en Histoire mais les gens en Chine grandissent avec des maladies infectieuses, on sait qu’ils portent des masques quand ils sont malades. Pourquoi portent-ils des masques ? Parce qu’à un moment, il a du se passer un évènement qui a fait qu’ils ont réalisé que c’était mieux de les mettre. Ils ont des densités de population très élevées, ils ont potentiellement une faune sauvage bien plus riche que celle que nous avons en Europe. Bref, ils ont développé une culture qui leur permet de surmonter les contraintes de leur environnement. Culture que nous, nous n’avons pas en Occident. Il est sûr que un an après, c’est facile de dire qu’il fallait faire un confinement très dur, il fallait porter des masques, etc…Mais si on se replace dans l’Histoire il y a en Asie une culture qui va avec leur environnement, en Occident nous avons une culture qui va avec notre environnement et dans cette affaire, avec la mondialisation, en Occident nous avons été confrontés à des contraintes asiatiques, en Asie ils ont été confrontés à des contraintes européennes, du coup il devient difficile de juste miser sur notre culture pour résoudre des problèmes intercontinentaux de cette ampleur.
Les Chinois ont-ils été plus coopératifs que ce qu’on croit ?
La politique n’est pas du tout mon expertise, ce n’est pas vraiment à moi de me prononcer là-dessus. Mais c’est un fait qu’en Chine, ils ont séquencé très tôt le génome du virus, ce qui apporte déjà énormément d’informations, et l’ont rendu public dès le 11 janvier.
Il y a par ailleurs beaucoup de zones d’ombre de toutes façons. Par exemple, il y a des images satellites qui montrent qu’il y aurait eu des afflux dans les hôpitaux chinois dès octobre-novembre qui n’ont pas été rapportés au niveau international, mais j’ignore à quel point ces images ont été vérifiées. Donc potentiellement le virus circulait déjà à l’automne 2019, a-t-on perdu du temps là ? Je ne saurais dire. Ce n’est pas clair qu’ils ont fait tout pour que ça se passe bien, ce n’est pas clair qu’ils aient tout saboté. Les mortalités massives, ça arrive, comme chez nous par exemple avec la canicule en 2003. Il faut du temps pour réaliser qu’il se passe quelque chose, un évènement qui vaut le coup de réagir, qui vaut le coup de séquencer un virus, par exemple, et de le rendre public à l’international. Donc même si tout, du côté des Chinois, n’a pas été fait de façon optimale, rien n’indique que c’était volontaire non plus.
A l’inverse, les états n’ont-ils pas investi aussi beaucoup d’argent dans la recherche à cause de cette crise sanitaire ?
Il est certain qu’au niveau mondial, il y a eu une mobilisation des gouvernements incroyable. Beaucoup de vaccins ont été développés entre l’Europe et les États-Unis, comme Pfizer, par exemple. En fait, en temps normal, quand les pays investissent dans la recherche, ça tourne comme une routine, c’est souvent lent. Tant qu’il n’y a pas de contraintes qui nous mettent la pression pour trouver quelque chose, c’est toujours plus long. Les chercheurs du NIH que j’ai décrit plus haut ne travaillent jamais à ce rythme en temps normal, ils ne s’infligent pas ça. L’investissement des gouvernements dans cette recherche, les financements qu’ils ont mis, ce sont des financements que nous n’avons pas en temps normal. Qui ont permis aussi l’augmentation générale de nos connaissances.
Aujourd’hui, les vrais créateurs de vaccin ne sont-ils pas de petites unités privées ?
Il y a en effet une culture start-up aux États-Unis. En France, pays qui était très fort historiquement au niveau de la réalisation des vaccins, ils essaient aussi d’en créer mais j’ai l’impression que cela prend moins bien. Cependant, quand je résidais en France, j’étudiais l’écologie, alors nous ne nous mêlions pas trop des vaccins, il n’y avait pas de relations avec le milieu privé.
Je sais en revanche que par exemple, mes collègues de Cornell University peuvent disposer d’une certaine assistance s’ils le veulent. Il y a en effet une petite branche de l’université qui est là pour aider les chercheurs qui veulent déposer des brevets sur leurs découvertes, et éventuellement lancer des start-ups à partir de ça, l’université peut leur donner de l’aide financière et des conseils pour bien gérer un business.
Suite de l’interview dans l’épisode 4 (sur 6) : « Covid 19 : l’arsenal du chercheur »