Les Entretiens de Royaumont
« Croyant et Citoyen »
Vendredi 2 et Samedi 3 décembre 2016
Cette note n’a pas pour but d’effectuer un relevé détaillé des interventions sur ces deux journées de travail. Elle a simplement vocation à souligner quelques morceaux choisis et à donner un aperçu de certaines prises de parole.
Pour mémoire, les Entretiens de Royaumont ont été initiés en 2003 par Jérôme Chartier et constituent désormais le rendez-vous annuel incontournable de la réflexion politique.
Le débat a été animé sur ces deux journées par Jean-François Achilli, journaliste politique et éditorialiste à France Info, avec un fil conducteur : comment faire vivre librement le fait religieux dans notre République laïque.
Vincent Montagne, PDG de Media-Participations et président de la session 2016 des Entretiens, intervient pour souligner que la Cité connaît actuellement une crise du sens.
Suit une intervention de Philippe Hadjad, philosophe et directeur de Philanthropos, sur le thème de « La personne, la transcendance et l’Etat ».
Puis un échange démarre alors sur le thème « Les religions, la finance et l’Etat » autour de Bertrand Badré, CEO de Blue Orange Capital et ancien directeur général de la Banque Mondiale, Hubert de Vauplane, avocat, et Hakim El Karoui, conseiller en stratégie et fondateur du club du XXIème siècle. Ce dernier développe les grands points de son rapport sur l’islam rédigé pour l’Institut Montaigne notamment autour du financement de l’Islam. Puis le thème du développement de la finance islamique est abordé, ainsi que celui du financement des états par la religion à travers l’émission de dette obligataire : pour mémoire, il est à noter que le Royaume-Uni et le Luxembourg, deux pays de religion d’état, ont accepté le financement par des produits islamiques.
Puis Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total, prend la parole sur le thème «L’entreprise mondiale et les religions d’Etat». Il souligne que la règle est de ne pas se mêler de religion dans le cadre de l’entreprise (plus de 100.000 salariés dans le monde dont plus de 30.000 en France). Mais comment faire du business et de la géopolitique dans des états religieux ? Le Code de conduite de Total pose un principe d’impartialité, rappelant à cette occasion que l’entreprise est née en Irak en 1924. Puis il aborde la question du fait religieux en entreprise. Pour mémoire l’article 18 de la CEDHC indique que l’on doit respecter la liberté de croyance et de manifester cette croyance sans porter atteinte à l’entreprise. Le principe de laïcité ne s’applique pas aux entreprises privées, mais seulement à l’Etat, aux services publics et aux entreprises publiques. Il souligne à cette occasion que le ministère du travail a publié un guide en la matière particulièrement précieux pour les entreprises à diffuser largement.
Suit une table ronde sur le thème « La famille et l’école : l’éveil de la conscience et de la liberté » au cours de laquelle interviennent Anne Coffinier, directrice générale de fondation pour l’école, Madeleine Bazin de Jessey, doctorante, El Hassane Oufker, directeur de l’école musulmane Averroès et Jean-Michel Blanquer, directeur général du Groupe Essec, dont les interventions ont été particulièrement bienvenues car recadrant le débat.
Christophe Barbier, éditorialiste à l’Express, mène ensuite un échange sur le thème « Croyants et citoyens » autour de Haïm Korsia, grand rabbin de France et Tarek Oubrou, recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux. Dans un discours particulièrement éclairant, Haïm Korsia rappelle que le religieux est là pour éveiller les consciences du politique, à l’instar de l’Abbé Pierre, par exemple. Il pense que le politique doit reconnaître l’utilité sociale de la religion qui répare les brisures du monde. Il suggère d’ailleurs que 2 représentants par culte devraient siéger au Conseil Economique Social et Environnemental. Il conclut sa prise de parole en indiquant que « la laïcité étriquée, ce n’est plus de la laïcité que l’on ne devrait pas avoir à qualifier ». Tareq Oubrou précise qu’il faut impérativement inventer une institution musulmane, inexistante en France et que la culture musulmane doit surtout être française.
Puis Bernard Cazeneuve, dans une de ses dernières interventions comme ministre de l’Intérieur, rappelle que la République laïque distingue le citoyen du croyant. Il précise que la laïcité n’est pas une volonté antireligieuse mais un espace neutre garantissant au contraire la liberté à toutes les religions et aux athées. Il poursuit en indiquant que « la délibération politique n’est pas affaire de croyance mais de raison », précisant également que la laïcité s’impose à l’Etat mais pas au citoyen qui est libre de sa pensée. Et le croyant est protégé par la loi de 1905, confortée depuis par le texte constitutionnel. Il conclut enfin en indiquant que « les religions peuvent être une extraordinaire ressource pour le débat public ».
Une table ronde s’ouvre alors sur le thème « Le fait religieux au travail » autour de Claude Solarz, vice-président du groupe Paprec, Gianmarco Monsellato, avocat et directeur général de TAJ et Michel Emeyriat, président-directeur général de Servair. Claude Solarz indique avoir mis en place une charte de la laïcité qui a fait l’objet d’une revue à trois reprises par le Comex de l’entreprise. Cette charte permet de développer le Vivre et le Travailler ensemble. Il indique que le sujet des Entretiens aurait dû être posé comme suit : Croyant, non-croyant et citoyen. Puis le Pdg de Servair insiste sur la spécificité très française de ce concept (« neutrality »).
Puis une seconde table ronde clôture cette première journée sur le thème « Le management et la foi ». François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, prend la parole à titre strictement personnel pour livrer un témoignage sincère et tout en retenue. Il indique avoir 2 références (la Règle de Saint Benoît et les Evangiles) et 3 convictions personnelles : – le pouvoir de servir, la liberté de l’humilité et l’exigence et l’attention au plus faible. Marwan Lahoud, directeur général délégué à la stratégie et au marketing d’Airbus Group partage quant à lui son mode de management inspiré par sa foi en indiquant conduire ses troupes avec exigence et respect.
La seconde journée reprend par un discours d’ouverture de Gérard Larcher, président du Sénat. Il précise que le politique, c’est l’art du possible, l’art du dialogue et l’art de la parole. Mais il rajoute que certes les sensibilités philosophiques et religieuses doivent êtres prises en compte par le politique. Néanmoins aujourd’hui, la République doit s’imposer à toutes les religions, avec une séparation nette entre la cité et le sacré. Il réaffirme la nécessité d’une laïcité sans adjectif.
Un échange, mené par Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, intervient alors sur le thème « La République : la cité sans le ciel ? ». Participent notamment à cet échange Jacques Attali, économiste, écrivain et président de Planet Finance et Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France. Jacques Attali intervient tout d’abord en rappelant que tout être humain a besoin d’ascendance, de transcendance, de descendance et d’appartenance. Or aujourd’hui la Nation est incapable de donner du sens. Valérie Pécresse prend alors la parole pour creuser la question de savoir si les politiques publiques permettent une réconciliation entre la cité et le religieux. Elle précise que la laïcité c’est tout d’abord le droit à l’indifférence, la religion étant de la sphère privée. C’est ensuite un principe de neutralité de l’espace public. Elle précise néanmoins que la laïcité rencontre deux écueils : elle doit être ouverte et non « laïcarde » pour ne pas acculturer nos racines, et elle doit être courageuse notamment sur l’impossibilité de financement étranger, sur l’obligation de prêcher en français, le respect absolu de l’égalité homme/femme, etc…
Une table ronde suit sur le thème « La dimension spirituelle de la personne peut-elle s’épanouir dans un Etat laïc ? » autour d’Abdelkader Arbi, aumonier musulman des armées en chef, François Clavairoly, président de la fédération protestante de France, Jean-François Colosimo, historien, essayiste et directeur général des Editions du Cerf.
Un échange se poursuit sur le thème « Conscience des citoyens, conscience d’un pays » entre Anouar Kbibech, président du CFCM et Nicolas Buttet prêtre, fondateur d’Eucharistein.
Un éclairage est également apporté par Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, primat des Gaules.
Une table ronde, particulièrement intéressante, est alors animée sur le thème « La capacité d’intégration de la République en question ». Y interviennent successivement François Pupponi, député-maire de Sarcelles et Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat.
Enfin, Michaël Darmon, chef du service politique à I-Télé, anime un dernier échange sur le thème « L’économie, vecteur incontournable de l’intégration » regroupant Jean-Marc Borello, président du groupe SOS, et Pierre Coppey, DGA de Vinci et président de l’association Aurore.
Un éclairage personnel est enfin apporté par Henri de Castries, président de l’Institut Montaigne sur le thème « La relation à Dieu, l’éclairage d’une vie ». Il rappelle à titre personnel ses 5 valeurs : liberté, respect, courage, humilité et espérance.
Cette session est clôturée par l’intervention de Justin Welby, archevêque de Canterbury et primat de l’église d’Angleterre sur le thème « L’église anglicane et le pouvoir politique »
Conclusion de France Audacieuse
L’orientation de cette session était contenue dans la formulation même du thème retenu : « Croyant et Citoyen ». On aurait pu également traiter ce thème particulièrement sensible sous l’énoncé « Citoyen et Croyant » insistant alors moins sur la foi et plus sur la laïcité.
Dans l’ensemble, les prises de position développées étaient en ligne avec celles attendues des différents intervenants. Certaines se démarquant par leur sincérité ou leur pertinence.
Comme toujours, les Entretiens de Royaumont sont l’occasion de prendre de la hauteur pendant deux jours.
Rendez-vous l’année prochaine sur le thème de la transition numérique.
Alexia Germont – 10 décembre 2016