Depuis le début de « l’affaire Ferrand » et à présent celle des présumés emplois fictifs du Modem qui prend une ampleur nouvelle, l’opinion publique est à nouveau plongée, à son corps défendant, dans les affres de mauvais feuilletons politico-médiatiques. Nombreux sont les citoyens lassés par cet air de déjà vu, qui sème le trouble dans les troupes en marche et rappelle une campagne présidentielle douloureuse aux électeurs des Républicains.
Pourtant les résultats du premier tour des élections législatives ne reflètent pas ce sentiment d’agacement et une vague de marcheurs est annoncée à l’Assemblée Nationale. Comment expliquer alors que ces révélations successives viennent pourtant télescoper le projet de loi Bayrou sur la Moralisation de la Vie Publique, rebaptisé « Projet de loi pour redonner confiance dans la vie démocratique » ?
La raison de cet agacement sans retour de l’opinion publique tient au changement de paradigme auquel nous assistons : l’envie et le besoin de transparence sont immenses, dans un mouvement de contre-balancier que l’histoire jugera peut être comme trop marqué dans les années à venir. Toujours est-il qu’à ce jour, l’accumulation des normes et les contraintes qui pèsent sur le secteur privé sont autant de facteurs qui rendent désormais insupportables pour l’opinion publique les déviances comportementales de la classe politique.
En effet, les « petits arrangements » ne sont pas tolérés dans le secteur privé : le licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour faute, voire pour faute lourde, est une route que les employeurs savent emprunter pour sanctionner un comportement jugé comme inapproprié ou inacceptable. De surcroît, des codes de bonne conduite ont progressivement vu le jour lors de la dernière décennie venant renforcer les obligations des intervenants, à l’instar du Code AFEP-MEDEF sur la gouvernance des sociétés cotées, y compris en matière de rémunérations et de prévention des conflits d’intérêts. Les professions libérales médicales ou juridiques sont également soumises, dans leur pratique quotidienne, à un Code de Déontologie dont l’inobservance se traduit devant le Conseil de l’Ordre qui peut prononcer un avertissement, un blâme voire une radiation du tableau de l’Ordre. Autant d’exemples qui démontrent que la société civile est fortement soumise au respect de règles, légales, administratives, réglementaires ou professionnelles qui rendent désormais difficilement acceptables les comportements inappropriés de la classe politique. Cet accroissement normatif visant une plus grande transparence approche désormais de la sphère publique qui devrait vivre une ère nouvelle. Face à un comportement ambigu ou qui apparaîtrait comme déplacé, quelques mises en perspectives sont les bienvenues pour éclairer le débat.
Premier niveau de réflexion : le comportement en cause de l’élu est-il ou était-il légal à l’époque des faits ?
C’est à la sphère judiciaire de répondre à ces interrogations et de clarifier d’éventuelles qualifications pénales, sans préjudice du jugement au fond. Rappelons que, dans l’affaire Ferrand, l’ouverture par le Parquet de Brest d’une information judiciaire ne préjuge en rien des suites qui y seront données. Depuis lors, une perquisition a également été diligentée au siège des Mutuelles de Bretagne. Mais ainsi que l’indiquait le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, cette avancée judiciaire permettra au moins de sortir du débat moral… ou presque.
S’agissant de l’affaire dite des emplois présumés fictifs des assistants parlementaires européens du Modem, une enquête préliminaire pour abus de confiance est désormais ouverte par le Parquet de Paris. Des révélations complémentaires sont dévoilées par la presse, à l’heure où François Bayrou présente en Conseil des Ministres son projet de loi. Le Garde des Sceaux François Bayrou se trouve aujourd’hui dans un positionnement bien délicat et des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour souligner cette situation à tout le moins atypique…
Au-delà des seules questions juridiques, le débat sur la moralité et l’éthique ne saurait désormais être éludé.
Un second niveau de réflexion doit également être avancé : moralité ou éthique ?
Les turpitudes de notre classe politique pointent la faiblesse, pour certains, de leur comportement moral voire éthique dont les différences ne sont d’ailleurs pas que sémantiques.
En effet, la morale rassemble l’ensemble de règles de conduite, considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie. En d’autres termes, la loi morale vise traditionnellement le corpus social relié au Bien ou au Mal, produisant des normes sociales donnant le cadre de l’acceptable ou non par la société.
L’éthique, quant à elle, est définie comme une branche de la philosophie qui envisage les fondements de la morale. Elle vise bien plus une conduite établie par la société qui se rapprocherait de la déontologie notamment professionnelle. Dans « Avant la loi morale : l’éthique », le philosophe Paul Ricoeur rappelait à ce propos que « l’intention éthique précède la loi morale, représentant des lois, des normes et des impératifs ». Cette responsabilité individuelle de chacun est donc préalable à toute loi morale pour chaque société donnée.
En d’autres termes, ne pas respecter la morale, c’est ne pas respecter les normes sociales, et ne pas se comporter de façon éthique, c’est ne pas faire preuve de responsabilité individuelle préalable.
Au-delà de la pure question juridique, l’opinion publique souhaite aujourd’hui avoir une classe politique exemplaire et élégante dans son comportement, qui évite les conflits d’intérêts, qui ait un rapport sain à l’argent et qui s’impose les mêmes devoirs que ceux qui lui sont imposés.
Pour conclure, permettez une confidence.
Je me souviens, avec beaucoup d’émotion, du jour de ma prestation de serment comme avocat. Nous répétions les uns après les autres ces quelques mots qui nous serviraient de guide dans notre exercice professionnel : « Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Pourtant éloignée aujourd’hui du Barreau, les valeurs portées par ce serment m’accompagnent toujours.
Et il me prend de faire un rêve audacieux, celui que notre classe politique embrasse à son tour ce serment qui trouve sa déclinaison pour un exercice politique élégant, utile et pérenne.
Alexia Germont