« Notre finance en Europe : nécessaire? responsable ?»
12ème convention des professions financières
le 14 décembre 2017 à l’Université Pierre et Marie Curie
France Audacieuse y était…
La conférence est ouverte par François Drouin, Président du Comité Convention et Président d’ETI Finance. Dans un monde où la population sera passée, en l’espace d’une vie, de 3 milliards à près de 10 milliards d’habitants, où la place de l’Europe qui fut centrale sera réduite à moins d’1/20e de la population mondiale à la fin de cette génération, comment continuer à faire vivre les valeurs européennes de tolérance et de démocratie dans ce nouveau contexte ? Quel rôle peut jouer la finance face aux défis qui attendent l’humanité : nourrir ces milliards d’êtres humains supplémentaires et gérer l’impact sur le climat ? La finance est-elle nécessaire ? Responsable ?
Table ronde animée par Gaëlle Millon, journaliste et animatrice, avec comme intervenants:
Marie-Anne Barbat-Layani, Directrice Générale de la FBF
Pascal Canfin, Ancien Ministre délégué au Développement et Directeur Général de WWF France
Augustin Landier, Professeur de finances à HEC
Didier Le Ménestrel, Président Directeur Général de Financière de l’Echiquier
Antoine Lissowski, Directeur Général Adjoint de CNP Assurances
Pour répondre à cette question, les intervenants ont d’abord fait un état des lieux de la relation des Français avec la finance, en soulignant que leur regard sur la finance changeait. Ainsi, le choix de Paris pour accueillir l’Autorité bancaire européenne a suscité une forte réaction positive sur les réseaux sociaux, une véritable fierté des Français.
Mais peut-on parler de finance au singulier: n’y a-t-il pas plusieurs finances ? Entre un investisseur qui reste à long terme dans une entreprise et un trader à haute fréquence qui reste une nano seconde, est-ce le même métier, la même utilité sociale, la même vision du monde ? Ce qui rend la finance indispensable c’est qu’elle permet de passer du court terme au long terme : elle rend le temps liquide. On met un prix sur le temps qui est le taux d’intérêt et grâce à la finance on construit des ponts entre les générations. De ce point de vue, l’écologie et la finance sont fondamentalement alignées puisqu’il s’agit de regarder le long terme dans les deux cas.
La table ronde a également permis de dégager une vision plutôt positive de l’Europe financière de demain et du rôle de premier plan que la France peut y jouer. Les quatre grandes banques de la zone euro sont en effet françaises et peuvent porter cette ambition d’une Europe indépendante financièrement. On a en France un véritable savoir-faire dans une filière stratégique économique : avec une spécificité du continent européen qui se finance beaucoup par le crédit bancaire, c’est une opportunité pour la France. Mais à l’heure où l’économie européenne repart avec de grands projets d’infrastructures, comment financer demain au mieux l’économie européenne alors que la réglementation financière pousse à réduire la taille de bilan des banques ? La même question se pose pour les assureurs au sein de l’Europe, confrontés à Solvabilité II. Enfin dans le domaine de la gestion d’actifs, la France est une pépinière d’acteurs créatifs, beaucoup plus que partout ailleurs en Europe continentale : un leader comme Amundi gère ainsi plus de 1000 milliards d’euros d’actifs.
Les intervenants ont ensuite défini l’objet de la finance, pour quoi et à qui elle est nécessaire. La banque sert ainsi à financer, à protéger et à innover. Les trois étant liés. Financer : c’est une forme d’accélérateur de projet, son rôle est de faire circuler la liquidité et de transformer le court terme en long terme. Protéger : les Français confient aux banques leurs données personnelles, ce que l’on fait de son argent relève d’une relation très intime que l’on a avec sa banque ; or le monde nouveau s’ouvre sur un choc entre un univers du secret et un univers avec les open data. La question des données personnelles va être un des très grands enjeux pour tous les acteurs du secteur financier. Ce sont aussi des problématiques auxquelles les assureurs sont confrontés : grands utilisateurs de données, de Big Data et d’algorithmes depuis longtemps, ils ont à fournir des services aux entreprises dont le patrimoine est constitué de données et doit être protégé, ce que l’on appelle la cyberéconomie. Enfin innover comme les FinTech.
Ils ont également souligné le rôle de la finance verte et l’action en pointe des acteurs de la finance dans la question du climat. Pour remettre en état le capital naturel, il faut du capital financier : ainsi s’est constituée une association « Finance for tomorrow » dont le WWF est membre et en mars prochain, un sommet spécifique va se tenir à Bruxelles sur la finance verte avec tous les chefs d’État. Par ailleurs il y a une longue histoire entre la Banque française et la question du climat. La part de marché détenue par les banques françaises dans la finance climat est sans commune mesure avec celle qu’elles détiennent dans le marché mondial : 25 % des émissions d’obligations vertes sont arrangées par les banques françaises dans le monde. C’est également un financement du quotidien, par exemple la question de la rénovation thermique des logements de particuliers ou de locaux d’entreprises. Ce savoir-faire préexistait mais il y a aujourd’hui une véritable accélération. La FBF a fait un ouvrage « banque et climat » qui retrace l’histoire de ses adhérents et leur implication dans le climat, non seulement en tant que financeurs mais aussi en tant qu’entreprises. Elle a aussi fait une proposition dont elle espère qu’elle sera reprise au niveau européen : le « green supporting factor »; c’est l’idée que via la réglementation bancaire on peut accélérer la réorientation du financement vers les investissements permettant de lutter contre le réchauffement climatique. Ces éléments ont été repris lors du One Planet Summit.
La finance verte répond à une forte demande des clients d’avoir dans leurs investissements, des produits qui répondent à ces préoccupations. Il y a ainsi trois sortes d’investisseurs qui s’intéressent à cette question: ceux qui ne veulent pas que l’investissement touche à des choses considérées comme malsaines ; les « millenium » qui veulent que leur investissement ait du sens ; enfin les hedge funds qui considèrent que les entreprises qui ne suivent pas les régulations sont facteurs de risque. Les assureurs rejoignent cette position lorsqu’ils indiquent ne plus pouvoir faire leur métier dans un monde à +2° ou +3°. Mais se pose alors la question de la qualité de l’information avec des indicateurs objectifs pour éviter le « green washing » : il faut choisir le bon label, s’assurer de l’intégrité des informations et des indicateurs.
La table ronde a enfin conclu sur les manières d’appréhender une économie beaucoup plus dématérialisée et fait les préconisations suivantes pour mieux entreprendre en Europe:
- Progresser dans l’union bancaire pour développer un vrai marché de capitaux sur le continent.
- Revoir certaines règles comptables : une grosse partie des développements dans le domaine de l’immatériel sont traités en charges et non en investissements, ce qui rend difficile leur financement bancaire ; une entreprise qui est dans le numérique ou fait sa transition dans le numérique a, de ce fait, du mal à trouver du financement.
- Améliorer la qualité de l’information : aujourd’hui la valeur d’une entreprise n’est plus tant liée à la valorisation de son capital et de ses machines qu’à la valorisation de ses actifs qui sont dans les données, dans le capital humain, ce qui est beaucoup plus difficile à appréhender.
- Modifier les exigences prudentielles imposées aux banquiers et aux assureurs pour prendre en compte la question du climat. Les exigences en capital devraient être moins élevées pour les actions favorables au climat.
- Créer un produit de retraite personnel et européen : penser à sa retraite incite à s’intéresser à la finance et éduque dans le financement à long terme, dans le comportement responsable.
La conférence a été clôturée par Michel Pebereau, Président du Centre des Professions Financières, qui a accueilli l’invité d’honneur, Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, Doyen de la PSIA à Sciences-Po Paris et Président de l’Institut Jacques Delors.
Enrico Letta a appelé à une Europe forte dans un monde où la crise devient la nouvelle normalité. La seule façon d’être influent dans un monde aujourd’hui composé de près de 10 milliards d’habitants est de créer une Europe forte, tournée vers le futur et non vers le passé, comme la célébration de 1957 l’a trop été. Dans un monde connecté, l’idée européenne est en effet très moderne car elle permet de vivre une pluri-identité, ce qui constitue aujourd’hui une vraie force. Ainsi en ce qui le concerne, il est italien, et plus précisément de Toscane, ce qui est bien différent de la Sicile, et encore plus précisément de Pise, qui n’est pas Florence. Mais il est aussi européen.
Il a ensuite évoqué une réunion de l’Eurogroupe, en 2007, au cours de laquelle l’Italie a fait une proposition, considérant qu’après la monnaie unique, il fallait l’union bancaire et des instruments pour intervenir. Cette proposition à l’époque a été bloquée par l’Allemagne. Puis il y a eu la crise, l’Irlande a craqué et on a alors appelé le FMI à l’aide car on n’avait pas les outils européens. Et en 2012, on a fait ce que l’on aurait dû faire en 2007. Mais ce décalage est à l’origine des problèmes qu’on vit toujours aujourd’hui à la différence des États-Unis qui avaient tous les outils nécessaires pour régler la crise. La gouvernance demeure aujourd’hui encore le problème central en Europe.
La crise financière a été la première vague de la crise mondiale en 2008-2009, les trois autres vagues sont arrivées après : d’abord la crise de l’économie réelle en 2010-2011 concernant le financement des entreprises puis la crise sociale en 2012-2013 avec la hausse du chômage, et enfin la crise politique qui a touché tous nos pays et changé la donne en Europe. Et si la France est une exception en Europe, c’est surtout grâce aux institutions de la Ve République. La question de l’unité de l’Europe est donc essentielle, c’est un actif fondamental.
Tous les éléments font que l’Europe est le lieu le plus attractif au monde : toutes les valeurs fondamentales (liberté individuelle, égalité des genres, pas de peine de mort, liberté de conscience, liberté de penser, liberté religieuse) sont présentes or cela a des conséquences positives pour l’économie, cela a aussi des conséquences sociales. Dans un monde interconnecté, on ne peut vivre à l’écart de la question du climat et des autres problèmes : soit on essaie de gérer ces questions, soit notre prospérité sera mise en cause. C’est donc notre intérêt de créer une union européenne forte dans un monde où l’on sera passé en l’espace d’une vie de 3 milliards à près de 10 milliards d’êtres humains. On a devant nous 2018 qui est la dernière année avant la fin de la législature européenne : tout changera en 2019 année d’élection et année blanche. Donc 2018 constitue une fenêtre, courte, d’opportunité.
Conclusion de France Audacieuse
En 2017, le CPF a célébré ses 60 ans, tout comme l’Union européenne. Les intervenants lors de cette conférence ont clairement montré les enjeux cruciaux de la finance pour la France et pour le renforcement de l’Europe. Ils ont souligné que les professions financières y jouaient un rôle reconnu et respecté.
Dans le monde nouveau qui se dessine, la finance est utile, nécessaire, et devra continuer de conjuguer responsabilité et innovation.
Nathalie Kaleski
8 janvier 2018