Alexia Germont
Interview publiée dans Décideurs Magazine – Avril 2017 – Rubrique “Influenceurs”
Fondatrice du think tank France Audacieuse, Alexia Germont revient sur le rôle central de la société civile dans la campagne présidentielle et les propositions des candidats, sur la nature de cette action censée légitimer une parole politique aujourd’hui largement discréditée et sur les limites de sa portée.
Décideurs. La société civile est très présente dans cette campagne présidentielle, pourquoi ?
Alexia Germont. Effectivement, jamais une élection n’a autant fait appel à la société civile. Pour moi cela s’explique par le fait que les partis politiques ont tellement perdu en crédibilité qu’ils sont devenus inaudibles. Aujourd’hui, ils ont besoin de cette estampille pour être entendus et jugés dignes de confiance. Résultat, chacun cherche à faire infuser les idées de la société civile dans son programme et affirme s’en faire l’écho.
Comment définissez-vous ce concept dont tous se revendiquent ?
Il existe selon moi une vraie distinction entre ce qu’implique la société civile et ce qui relève de l’énergie citoyenne. L’énergie citoyenne est tout ce qui redonne au citoyen le goût de la chose publique par des initiatives telles que la primaire.org, Nuit Debout ou Bleu-blanc-zèbre… La société civile désigne ceux qui font avancer l’économie, qui possèdent des compétences techniques dans un domaine donné, qui sont au contact des réalités de terrain et qui, de ce fait, peuvent éclairer les propositions formulées par le politique et les légitimer.
Pourtant, alors que la société civile semble en passe de devenir un argument de marketing politique, elle peine à dépasser le stade de l’interpellation …
Pour l’heure il est vrai qu’une partie de l’action de la société civile relève essentiellement de la contestation, ce qui n’est pas sans risque. Il existe au sein de la société une telle attente que ces actions qui se concentrent sur la critique sans parvenir à produire du fond alimentent une déception. Cela reflète d’ailleurs pour partie le caractère français : très porté sur la critique et la révolte à l’autorité mais qui, une fois au pied du mur, peine à proposer du concret. Les partis politiques eux-mêmes, qui ont à leur disposition un appareil, des moyens financiers et des professionnels ne parviennent plus à le faire parce qu’ils sont asséchés au niveau des idées. Quant aux mouvements issus de la société civile, ils ont l’inspiration, ils ont l’intuition, mais ils ne parviennent pas à concrétiser leurs idées.
Comment expliquer cela ? Diriez-vous qu’il existe une sorte de plafond de verre?
Je vois deux raisons à cela. D’une part la chose publique ne s’improvise pas. Pour défendre efficacement des idées il faut être compétent sur le fond, savoir prendre la parole, etc. Il y a donc une “taxe d’apprentissage” dont on ne peut faire l’économie si l’on veut passer le stade des idées. D’autre part, il y a la question essentielle du statut de l’élu. S’engager dans la vie publique représente un effort considérable en termes de temps et d’énergie. Mener à bien cet engagement lorsqu’on est issu de la société civile s’accompagne donc nécessairement d’une mise en retrait de sa vie professionnelle et donc d’une prise risque. Le plafond de verre est là. Si l’on ne résout pas ce problème, on ne pourra jamais parvenir à un Parlement plus représentatif.
Quel devrait être, selon vous, la nature du rapport société civile- vie publique?
Certains, comme Alexandre Jardin, considèrent qu’il doit s’agir d’un rapport d’opposition. Que c’est la société civile contre le politique. Qu’il faut faire table rase. Je ne partage pas cette analyse. Pour moi le bon registre doit être celui de la complémentarité et du partenariat assorti d’une réelle liberté de ton. Il y a un apport indéniable de la société civile au politique, mais les institutions doivent être respectées. Je pense que l’on peut restaurer le lien nécessaire à l’élaboration d’un projet commun de société avec ce type de partenariat, avec l’aide d’une société civile compétente et éclairée, apte à se faire le porte-voix de partis politiques aujourd’hui perçus comme vendant leur programme.
Propos recueillis par Caroline Castets
Crédit photo : David Commenchal