Etats-Unis
Joe Biden, Inauguration Day d’un rassembleur
Les regards décalés d’Ariane Sauvage
correspondante de France Audacieuse en Californie
L’inauguration de Joe Biden le 20 Janvier 2021 met enfin un terme à deux mois de hautes tensions sur l’échiquier politique américain. Le moins que l’on puisse dire est que le passage de bâton entre le Président sortant, Donald Trump, et le Président élu ne s’est pas fait sans douleur.
Flash-back début Novembre
Derrière un scrutin où tournaient en boucle des sujets aussi graves que la pandémie (1231 décès par jour, soit 51 par heure) et le chômage (6.9%), c’est étonnant de voir que finalement le facteur psychologique a réussi à se glisser dans la course et à s’imposer sans que personne ne l’ait prévu. Quels que soient les discours, les programmes des uns et des autres, c’est bien Joe Biden en tant que personne qui a gagné, avec 81 millions de voix, et bien Donald Trump qui a perdu, une chute entamée depuis février avec sa gestion erratique du Covid-19 et des émeutes raciales. Mais après l’euphorie initiale au lendemain de la victoire, annoncée dans les médias le 7 novembre, les réactions deviennent prudentes, si ce n’est amères. Pour un observateur de Washington, « les Démocrates se révèlent une fois de plus incapables de remporter une guerre de conquête ». Biden a gagné, mais…les Démocrates n’ont pas eu la victoire éclatante qu’ils étaient en droit d’espérer. Ils ont perdu 12 membres à la Chambre des Représentants, qu’ils avaient pourtant conquise aux mid-terms de 2018, Trump a amassé 10 millions voix de plus qu’en 2016, et surtout, en dépit de leurs stratèges et de donations importantes ( près de 7 milliards de dollars dépensés pour leur campagne), les Démocrates ont échoué à remporter le Sénat, où ils ne détiennent toujours que 48 sièges, et les Républicains, 50. Certes, en Georgie les sénateurs Républicains se retrouvent en ballotage face à leurs challengers Démocrates, ce qui va donner lieu selon les lois locales à un second tour, prévu le 5 Janvier 2021. Mais personne ne parierait un dollar sur les chances de ceux-ci de remporter une élection en Georgie, état rural et conservateur qui vote Républicain depuis vingt-huit ans. Non, la situation n’est pas si brillante.
A ce moment-là, il semble que la réalité du pouvoir se répartira entre Nancy Pelosi, 80 ans, Speaker of the House, Joe Biden, 78 ans, et le chef de la majorité Républicaine, le redouté Mitch Mc Connell, 78 ans aussi. Tacticien politique hors-pair, ce Mitch McConnell, Sénateur du Kentucky depuis 1984, est probablement l’une des figures les plus détestées de la planète Démocrate. Pour une supporter : « Lui, je pense que dès sa naissance, il a vendu son âme au Diable. » Comme son épouse, Elaine Chao, est Secretary of Transportation dans le cabinet Trump, ils forment à Washington un power couple qui s’attire un dédaigneux « Ah oui, ces deux-là, c’est la belle et le mochard. » selon une franco-américaine qui travaille à Hollywood. Mi-novembre, nombre d’articles, dans le Los Angeles Times ou Politico, spéculent sur les maigres chances qu’aura Joe Biden de faire accepter ses lois et réformes par le Congrès, sans compter les membres du Cabinet qu’il est en train d’organiser. Même si les deux hommes se connaissent en fait de longue date, qu’ils sont des champions de la négociation parlementaire, et qu’après tout Mitch Mc McConnell est le seul Sénateur républicain à être venu assister aux funérailles du fils de Joe Biden, décédé en 2015.
Comme on le sait, Donald Trump annonce dès le soir des élections, qu’elles ont été truquées. Réponse de Biden : « Patience, patience…Laissons nos autorités compter les voix. ». Le Président sortant ne perd pas une occasion de marteler qu’il a gagné par une large majorité et que cette victoire lui a été volée. A l’époque, la tendance générale est d’estimer qu’il reste en cela fidèle à sa nature et que surtout il se positionne ainsi pour l’élection de 2024, mettant un nuage supplémentaire sur l’horizon des Démocrates. Cela paraît de bonne guerre. Seule Mary Trump, sa nièce, psychothérapeute, brouillée avec la famille, et régulièrement interviewée à la télévision, avertit avec une clairvoyance impressionnante que le président sortant ne va jamais concéder sa défaite, qu’il va multiplier les crises, signer force Executive orders, et surtout décrédibiliser au maximum l’administration du Président élu.
De fait, tout le mois de novembre voit arriver une déferlante d’actions en justice, soixante-trois au total, dont toutes, au demeurant, ne sont pas infondées (rappelons qu’aux États-Unis chaque état a son propre système électoral et législatif). Initiées par Trump, ses avocats et son équipe de campagne, ces recours se concentrent peu à peu sur les quatre états où les scores sont les plus serrés : le Wisconsin, le Michigan, la Georgie et la Pennsylvanie. Manque de chance : dans un county du Wisconsin, le recompte a abouti à un surplus de voix supérieur, en effet, mais pour…Joe Biden. Tout au long du mois de Novembre et début Décembre, elles échouent toutes sauf une. A chaque fois, l’accusation de fraude électorale est rejetée au motif d’absence de preuves tangibles selon les juges ou les responsables locaux, y compris des responsables et élus Républicains. Grand coup de chapeau au passage à tous ces officiels, juges, ou volontaires anonymes des bureaux de vote de tout bord qui ont résisté depuis le 3 novembre à toutes les pressions, des partis, des candidats, des médias, du grand public, pour faire leur travail. Durant ces journées tourmentées, ce sont bien eux qui ont défendu les principes de la Démocratie américaine.
Le 8 novembre, les services de la Maison Blanche refusent de laisser l’équipe de Biden commencer la transition et avoir accès aux dossiers. Une procédure archi-classique que personne jusqu’à présent n’avait jamais cherché à enrayer. Dans une allocution, Biden ne fait que relever que la lutte contre le Covid devrait rester la priorité des préoccupations nationales.
Un Président rassembleur
Dans notre époque très médiatisée et devant une manœuvre aussi insultante, cette absence de déclaration fracassante ne donne-t-elle pas une fois de plus l’image d’un candidat assez fade ? Ou cette indifférence aux agressions a -t-elle été décidée par Biden et ses équipes pour mener la campagne ? Sans aucun doute. Dans un interview sur Business Insider, un de ses aides raconte : « Il ne fallait surtout pas suivre Trump dans ses outrances. C’est ce qu’il veut. Si on répond, le ton monte très vite, il vous attire sur son terrain et après, il contrôle le narratif ».
A-t-on assez reproché à Joe Biden de « se cacher dans son sous-sol » au début de la pandémie au lieu de mener une campagne active ! En réalité, selon un numéro spécial de Time, cela a permis à ses équipes d’économiser un montant conséquent d’argent, de temps et d’énergie. Et de déployer une stratégie digitale très efficace. 200,000 volontaires ont été recrutés pour répandre des centaines de millions de textos et appels téléphoniques, avec seulement 10% des messages télévisés attaquant Trump directement. Organiser une somme impressionnante de réunions Zoom avec Biden lui-même, son épouse, Kamala Harris ou d’autres. Quant à Biden, toujours masqué, il limite ses apparitions, parle dans des meetings où chacun reste dans sa voiture. Et entre peu à peu dans la stature d’un présidentiable, d’un homme responsable, stable et réaliste qui a parfaitement compris la gravité de la situation sanitaire. D’un optimiste aussi, confiant dans le futur. Dans une interview à CNN, Joe Biden avait d’ailleurs exprimé dès le mois de mars que selon lui : « les gens ne veulent pas une révolution, ils veulent des résultats. » A une assistante qui lui expliquait que « toute politique est locale », il réplique : « Toute politique est personnelle. » S’il fallait comparer la scène politique américaine à un jeu d’échecs en ce mois de décembre 2020, Trump ressemble bien de plus en plus au Fou et Biden, à la Tour « pièce de longue portée qui ne se déplace qu’en ligne droite ». « Parfois », raconte un aide, « je me dis que c’est la campagne la plus reposante que j’ai jamais faite, toutes proportions gardées. Il suffisait de… ne rien dire et de laisser Donald Trump creuser sa tombe. » A partir du moment où les quatre états ont confirmé leur compte, appuyés par la Cour Suprême, les accusations du Président apparaissent plus comme une bascule dans le déraisonnable, la peinture d’une réalité parallèle où le Président sortant-qui-ne-veut-pas- sortir s’est engouffré.
Le jour de Thanksgiving, le président Trump donne la première conférence de presse depuis l’élection où il réaffirme sa victoire. Le président élu passe tranquillement cette fête traditionnelle américaine en famille. Puis annonce déjà quelques membres de son cabinet. Avec entre autres, Debra Haaland, élue du Nouveau-Mexique, première femme amérindienne nommée dans une équipe présidentielle, pour le poste de Secretary of the Interior. Pour la première fois aussi, un Noir, le général Lloyd Austin, à la tête du Département de la Défense. Un Cabinet qui au total donne des postes exécutifs à 12 femmes sur 24 membres, le plus respectueux de la parité de toute l’histoire des États-Unis. Encore une fois, il crée le contraste : pour un Président que Trump a toujours appelé Sleepy Joe, Joe l’endormi, celui-ci forme l’un des Cabinets les plus innovateurs de son temps.
Washington en ce mois de décembre 2020 a l’air d’une ville fantôme, les musées sont clos depuis le printemps dernier, les restaurants ouverts sont rares. Enfin, le 14 décembre, les cinquante états de l’Union rassemblent chacun leur Electoral College, étape obligée qui scelle définitivement la victoire de Joe Biden, qui obtient 306 voix, et Trump, 232. De l’État de Washington, là-bas à l’Ouest du pays, arrivent les images d’un Grand électeur en chaise roulante, presque en larmes, révélant qu’il est atteint d’une maladie incurable mais qu’il tenait à accomplir son devoir et certifier l’équipe Biden-Harris pendant qu’il le pouvait encore. Les tensions retombent un peu, chacun se prépare à des fêtes de Noël en version réduite. Les gradins s’élèvent devant le Capitole pendant que des tours de radio poussent le long du Mall pour retransmettre la cérémonie de l’inauguration en janvier.
Pendant ce temps-là, en Georgie…Les statistiques indiquent que les deux camps sont au coude à coude. Mike Pence, le vice-président, puis Trump font des apparitions pour soutenir leurs champions, même si les responsables Républicains locaux commencent à exprimer leurs frustrations d’entendre le Président les critiquer à tout bout de champ. Au moins, cela occupe l’espace médiatique. Ce qui permet à des alliés moins connus de Joe Biden d’œuvrer sous les radars. Ici, l’alliée, en fait assez célèbre, s’appelle Stacey Abrams, elle est politicienne, activiste militante noire, et elle s’est promis de motiver les communautés de toute origine à aller aux urnes. Depuis plus d’un an, elle et ses équipes enchaînent campagnes, levées de fond et messages. C’est la patrie de Autant en Emporte le Vent, après tout, et de femmes qui ne selaissent jamais abattre. Elle est parvenue à convaincre les états-majors démocrates de son action et quand Biden reçoit la nomination officielle du Parti en août 2020, il a parfaitement compris l’importance de mettre la Georgie sur la carte de sa guerre de conquête. Aux élections de novembre, pour la première fois depuis Bill Clinton, la Georgie élit le candidat Démocrate. On estime que le mouvement de Stacey Abrams a réussi à faire s’inscrire plus de 800,000 citoyens sur les registres électoraux.
Puis le 2 janvier tombe un nouveau scandale. The Washington Post révèle une conversation téléphonique où Trump exerce des pressions sur le Secretary of State de Georgie pour qu’il invalide l’élection…Il est presque vertigineux d’écouter cet appel de 60 minutes où l’un des Présidents les plus puissants de la planète alterne demandes et menaces en passant par les promesses pour qu’un haut fonctionnaire local lui « trouve les 11,779 votes » qui lui manquent, deux semaines après que la partie est terminée. Y compris pour qu’il aille vérifier les rouages des machines à compter ! Ce coup de fil à lui tout seul viole une dizaine de lois locales et fédérales. Le vieux proverbe du monde gréco-latin : « les Dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre » monte à l’esprit…
Ce qui est sûr, c’est que pendant que Trump passe ses coups de téléphone, les électeurs se mobilisent. Est-ce l’activisme de Tracey Abrams ? Ou ce scandale est-il la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Les deux sans doute. Toujours est-il qu’au soir du 5 Janvier les deux candidats Démocrates, un Révérend noir de Savannah, et un jeune journaliste d’Atlanta, deviennent chacun les nouveaux Sénateurs-élus de Georgie. Le Sénat se retrouve donc avec 50 Sénateurs Républicains et 50 Sénateurs Démocrates, mais la Constitution prévoit que le Vice-Président, Kamala Harris en l’occurrence, peut apporter sa voix aux votes, donnant la majorité au Parti au pouvoir. Voilà qui change la donne ! Joe Biden peut dorénavant s’appuyer sur un Congrès à majorité Démocrate.
C’est le lendemain, le 6 Janvier, que le Congrès doit certifier la victoire du Président élu. Une procédure totalement technique et qui n’attire en général l’attention de personne dans le grand public. Sauf cette année où comme on le sait, elle a été interrompue par l’invasion dramatique du Capitol, suivi du second impeachment du Président Trump.
Bien sûr, ce ne sont pas les défis qui manquent au 46ème Président des États-Unis, auxquels il s’est attelé sans attendre, avec dix-sept Executive Orders déjà signés : réunifier un pays divisé, vaincre la pandémie, remettre le pays au travail, réguler peut-être les réseaux sociaux par rapport à la gouvernance publique…Que du facile. Mais cette solidité de Joe Biden, cette résilience dans une longue vie marquée d’épreuves personnelles, cet optimisme toujours présent devraient indiquer que des jours meilleurs sont à venir. Après tout si devant le chêne Trump, il incarne plutôt le roseau, si l’on s’en souvient bien, et comme il l’a prouvé, c’est le chêne qui casse, et pas le roseau. En tout cas, c’est ce que nous lui souhaitons.
Mille mercis pour ce récapitulatif bien étayé par des arguments puissants. J’ai vraiment appris plein de choses… Le plus bluffant pour moi dans cette élection, ce fut l’âge canonique des candidats. Un peu triste non?
Excellent article ! Merci
Intéressant rappel d’ Ariane Sauvage : “la Constitution prévoit que le Vice-Président, Kamala Harris en l’occurrence, peut apporter sa voix aux votes, donnant la majorité au Parti au pouvoir.” Décidément cette Kamala est un personnage clé ! On attend avec un patience son portrait décalé !
Merci de votre intérêt, Patrick, et de vos compliments! Oui, le tour de Kamala viendra.