Compte-rendu par Nathalie Kaleski
de la conférence du 18 mars 2019
co-organisée par France Audacieuse et Pensez Libre
sur le thème : « Les Populismes en France et en Europe »
Intervenants :
Pascal Perrineau, Professeur à Sciences Po, auteur d’ouvrages sur la sociologie électorale, l’extrême droite en Europe,
François Dubet, Professeur émérite à l’Université de Bordeaux, auteur d’ouvrages sur les mouvements sociaux,
Alexia Germont, Présidente-fondatrice de France Audacieuse et auteure de « Réveillons notre Europe : l’envie d’une Europe enfin audacieuse »,
Rayan Nezzar, économiste, haut-fonctionnaire, auteur de « Génération Europe »,
Table ronde animée par François Adao.
Après avoir présenté les activités de la Société d’Encouragement à l’Industrie nationale et de son président, Olivier Mousson, Stéphane Brabant présente celles de l’association qu’il préside, Pensez Libre, association humaniste. Il annonce le thème de la prochaine conférence le 3 juin 2019 : La Chine, une nouvelle puissance culturelle ? Soft power et sharp power.
Puis Alexia Germont présente les actions de France Audacieuse, le think tank de la société civile, qu’elle a fondé et préside depuis fin 2016, sur une ligne apolitique, libérale, européenne et humaniste, d’où de nombreux points de convergence avec Pensez Libre.
Stéphane Brabant introduit ensuite le thème de la soirée en rappelant la remarque de Hubert Védrine : « le populisme c’est l’échec des élites ». Le populisme serait donc l’expression d’un peuple en opposition avec les élites ou encore l’expression d’un peuple qui se sentirait exclu de tout. Aujourd’hui ce terme a une acception péjorative. Il n’est pas certain que ce soit une bonne idée car au sens étymologique cela signifie être à l’écoute du peuple. C’est en tout cas une notion un peu vague – voire un abîme de non définition- sur laquelle la conférence essaiera d’apporter un éclairage.
François Adao ouvre le débat en soulignant le caractère mondial et hétérogène des populismes : c’est un terme dont le succès nuit à la clarté du sens, d’où la question: qu’est-ce que le populisme et qu’est-ce que ce n’est pas?
Répondant à cette question, Pascal Perrineau précise que ce n’est certainement pas la seule catégorie difficile à cerner en politique. Cette notion n’est pas nouvelle : elle apparaît d’abord en Russie sous une forme de socialisme ou communautarisme agraire. Quelques années plus tard nait aux Etats-Unis un mouvement avec la même base rurale pour réagir à la brutalité économique de la politique de la « nouvelle frontière ». Puis une troisième génération du populisme survient à partir des années 1920/30, principalement en Amérique latine, et qui s’incarnera par la suite dans la figure emblématique du péronisme.
Le populisme est à présent dans le paysage. C’est un courant dormant qui de temps en temps, dans un certain contexte, réapparait sous des formes à chaque fois renouvelées mais dans laquelle on retrouve toujours une conception extrêmement inclusive et unitaire du peuple, avec deux dimensions bien différentes – le populisme de caractère identitaire et le populisme de caractère protestataire- qui s’articulent sur deux lectures de la notion de peuple. Premièrement, à partir d’une définition ethnico-culturelle, le peuple en tant qu’ethnos. Deuxièmement, à partir d’une définition plus sociale, le peuple des petits, des sans-grade, en révolte contre les gens d’en-haut. C’est alors le peuple- demos, protestataire.
Ces deux types de populisme sont en fait étroitement mêlés : le populisme identitaire est également protestataire et le populisme protestataire peut se charger d’une dimension identitaire. Ces deux éléments se marient à des degrés divers et sont issus de la définition toujours complexe de peuple car qu’est-ce qu’on entend par peuple ? Dès la période révolutionnaire, cette définition est multiple : est-ce le peuple en révolte? Le peuple du Tiers-Etat ? Le peuple populace ? Le petit peuple de Marat ?
Une autre caractéristique du populisme est le rejet des corps intermédiaires qui sont des obstacles à cette osmose intime du peuple avec son leader qui l’incarne.
Plus qu’une idéologie, le populisme est une forme d’action politique et tout le monde dans la classe politique est touché, à des degrés divers, par le populisme : ainsi, Emmanuel Macron, dans certains accents de sa campagne électorale présidentielle ou encore à travers des thématiques soulevées dans son livre « Révolution ».
Poursuivant, François Dubet souligne qu’en Amérique latine le mot populisme est positif car il incarne un mouvement contre une oligarchie réelle. Aujourd’hui le populisme peut également avoir une dimension nostalgique. C’est l’idée de retrouver le peuple des travailleurs, le peuple de ceux qui travaillent : c’est à la fois le peuple du parti communiste et celui de Pierre Poujade. Dans une deuxième dimension, le peuple correspond aussi à la nation. C’est alors l’idée de retrouver une France homogène imaginaire. Il y a enfin une troisième dimension du peuple : le peuple souverain dont la volonté unanime est toujours trahie par les élites considérées comme hors du peuple.
L’hypothèse de François Dubet est qu’il y a des sentiments populistes mais il n’est pas certain qu’il existe des politiques populistes.
Les enquêtes qu’il a faites montrent que ce qui caractérise le populisme actuel est qu’il procède de la décomposition de la vieille société de classe. Autrefois les inégalités sociales ont longtemps été structurées en classes sociales (ouvriers, paysans, bourgeois) or aujourd’hui cette structuration a totalement explosé. Les individus se sentent pris dans des régimes d’inégalités, très individuels : ils se considèrent en tant qu’individus et non plus en tant que classes sociales. Le populisme a la capacité « magique » de rassembler toutes ces colères individuelles – qu’on a beaucoup entendues sur les ronds-points- dans un peuple mythique ; mais la somme des colères individuelles ne fait pas une demande politique collective comme l’est la somme des demandes des paysans ou des ouvriers. La vague populiste aujourd’hui est très particulière car elle est la vague d’une société dans laquelle les inégalités se sont profondément individualisées, ne font plus système et sont ressenties de façon particulièrement pénibles par les gens qui ne parlent que de mépris et jamais d’exploitation. Et dans cette logique populiste, il y a les ennemis d’en-haut mais aussi ceux d’en bas : les faux pauvres, les assistés. Le populisme est une figure banale, un serpent de mer, mais qui aujourd’hui a un rôle très particulier car il remplit le vide créé par la disparition des forces incarnées par les partis et les syndicats.
François Adao : Il y donc aurait une distinction à faire entre la rhétorique populiste et ceux qui se tournent vers le populisme ?
Pascal Perrineau évoque la notion inventée par certains philosophes de « thin ideology » ou idéologies fines c’est à dire peu épaisses ; ces théoriciens caractérisent beaucoup le populisme comme étant une de ces idéologies fines.
Cette idéologie fine, pour diverses raisons, s’encastre dans une idéologie d’accueil, « host ideology » ; c’est pour cela qu’on la retrouve dans des idéologies un peu épaisses qui sont extrêmement hétérogènes.
Mais la question est plus large et plus complexe. Il y a cette émergence dans les années 1980 avec les partis du FPÖ en Autriche et du Front National en France ; et après cela ne va cesser de s’étendre et monter en puissance pour affecter tous les pays européens et bien au-delà dans le monde. Et le phénomène est complexe : ce n’est pas l’opposition d’une Europe pauvre contre une Europe riche ou de l’Europe du Nord contre l’Europe du Sud. Cependant quand on voit la base électorale des partis populistes dans les différents pays de l’Union européenne, on observe qu’ils ont capté massivement les couches populaires : parallèlement à la « gentrification » des électorats de gauche, la base populaire se réfugie dans l’abstention ou s’enfuit vers ces partis populistes qui ont su traduire le malaise d’un des acteurs essentiels de la société, l’ouvrier, qui était au cœur de la société industrielle et ne l’est plus dans la société post-industrielle. Premier élément : le populisme a su agréger dans une même coalition politique, des ouvriers, des employés, des membres d’autres couches sociales comme les petits travailleurs indépendants, qui étaient auparavant dans des catégories politiques distinctes. Deuxième élément: les partis nationaux-populistes ont su mieux que d’autres se mettre à l’avant-garde d’un nouveau clivage qui traverse nos sociétés : le clivage société « ouverte » /société « fermée ». Au travers de ces enjeux, on a assisté à un éclatement des peuples de gauche et de droite dans les pays européens, c’est un clivage qui réorganise nombre d’affrontements au-delà du clivage gauche-droite. Par exemple, le clivage Macron-Le Pen au second tour de l’élection présidentielle est l’expression politique de ce clivage qui s’impose au clivage gauche-droite, avec un national-populisme qui s’exprime comme une avant-garde alors que le populisme de gauche est, lui, encore gêné par son internationalisme.
Enfin il y a un troisième élément, un facteur purement politique : installée sur les décombres des régimes autoritaires, la démocratie pluraliste et représentative exprime un épuisement depuis les années 1980. Le populisme a su exploiter cette fatigue civique et offre une réponse politique à la crise des trois modernités : économique, sociale et politique.
Réagissant à ces deux interventions, Alexia Germont souligne les trois points qu’on peut dégager: la force du vécu, l’individualisme, le passage à l’action.
Premièrement, la force du vécu : on voit que, lorsque les citoyens s’expriment, on ne peut rien opposer à la façon dont leur sentiment est exprimé ; on ne peut discuter idée contre idée ; on est très vite heurté quand il n’y a pas convergence, on sent très vite qu’il y a une coupure et qu’on ne peut aller à la rencontre de l’autre, car ce que les gens ressentent est parfois plus fort que la réalité qu’on peut essayer d’analyser.
Deuxièmement, l’individualisme : c’est toute la difficulté de sortir par le haut et de trouver des solutions qui permettrait au collectif d’exister. Et il est à craindre que pour toutes les personnes qui auront participé au Grand Débat National et qui ne retrouveront pas dans les résultats leurs propositions, il y ait beaucoup plus de pistes de déception que de satisfaction.
Troisièmement, le passage à l’action : de quelle façon peut-on passer de l’idéologie à l’action ? Et s’il y a bien un rejet populiste des corps intermédiaires du fait de la préférence pour le chef, à l’inverse, de quelle façon les attentes de ce peuple, de toutes ces personnes agrégées individuellement, pourront-t-elles être satisfaites quand elles considèrent qu’il n’y a pas de chef capable de les représenter, comme le montre l’exemple des gilets jaunes qui ont du mal à accepter la représentation par quelqu’un ? Est-on alors ici dans le cadre de ce qu’on définit comme populisme ?
Enfin, en écho à l’analyse qui a été faite du populisme en courants identitaire ou protestataire qui parfois se mêlent, elle rappelle le propos d’Albert Schweitzer selon lequel, le nationalisme est un patriotisme qui a perdu de son élégance.
Rayan Nezzar rappelle ensuite l’essence du populisme: c’est une revendication fondamentale qui est propre au mouvement populiste qui consiste à dire, nous sommes le peuple ; le populisme aspire au monopole de la représentation populaire. Ce mouvement nie de ce fait la complexité, la pluralité des points de vue ou d’intérêts dans une société démocratique, et ne peut construire de débat. Le populisme n’est pas un mal nécessaire de la démocratie car au bout du chemin il n’y a plus de débat ni de démocratie. Il n’y a pas besoin de débat car tout peut s’incarner dans la parole du chef et l’opposition n’est alors pas légitime.
A l’appui de ses propos il évoque différents exemples :
– Marine Le Pen qui, au début de la crise des Gilets jaunes, parle de peuple central – ou pays central par contraste avec l’expression France périphérique – qui est un peuple légitime par opposition aux élites qui seraient aux marges et aux partis traditionnels qui seraient minoritaires au sein de la population.
– Victor Orban qui justifie sa politique migratoire non par un discours xénophobe du type de ceux qui étaient tenus dans les années 1930-40, mais par un discours différentialiste : le peuple hongrois a une identité et ne veut pas en changer. Et l’Union européenne comme l’opposition ne sont pas légitimes face au parti de Victor Orban qui représente les intérêts légitimes des vrais Hongrois.
– le populisme local du président Georges Frêche qui ne se disait pas populiste, mais populaire parce que seul apte à représenter les vraies gens.
L’essence du populisme est ainsi dans cette opposition entre les représentants authentiques du peuple et les autres qui n’en sont pas dignes. Et dans les régimes populistes s’opposer au pouvoir, c’est alors être un ennemi du peuple.
Ce que les années 2010 ont modifié dans la perception du populisme, c’est que l’on sait aujourd’hui que les populistes peuvent gouverner et être réélus. Et les deux défis posées aux démocraties libérales, c’est d’une part de s’écarter de ces populismes qui trahissent les valeurs et menacent le pluralisme de la démocratie, et d’autre part, de s’écarter de cette technocratie qui consisterait à confisquer le débat en disant qu’il n’y a qu’une seule politique et de ce fait à nier également la pluralité des points de vue; entre les deux, il y a ce débat, démocratique, pluriel qu’il faut retrouver pour défendre cette démocratie.
François Adao, reprenant des propos de François Dubet sur la crise de représentativité, souligne trois paradoxes du populisme:
– les leaders du populisme ne ressemblent pas au peuple qu’ils prétendent représenter même si, comme l’indique François Dubet, ils partagent leur haine,
– ceux qui votent pour des partis populistes, aspirent à plus de participation mais on voit qu’ils ne participent pas en réalité, plus à la vie politique,
– enfin le conflit société ouverte/société fermée serait un conflit d’intérêt.
Répondant sur ce dernier point, Rayan Nezzar indique que dans cette révolte généralisée des classes moyennes, il y a trois fractures qui nourrissent le populisme.
- Une fracture sociale : depuis les années 1980, l’accroissement des richesses s’est déformé en faveur de la rémunération du capital au détriment de celle du travail : cinq points de PIB sont ainsi passés des salaires vers le capital ; cela a concerné l’ensemble des économies développées, la France étant un peu à part. Deuxième élément, dans certains pays, Il y a une concentration accrue des richesses, en termes de revenus et d’accumulation de patrimoine : 91 % de la croissance économique sont allés vers 1 % de la population ; aux Etats-Unis, avant la crise des subprimes, les Américains ont consommé chaque année 110 % de leurs revenus pour conserver leur mode de vie. En Allemagne il y a cette même forme de précarisation : il y a le quasi plein-emploi mais avec un développement plus important qu’en France ou dans d’autres pays, des activités à temps partiel (une femme sur deux en Allemagne est à temps partiel). En France les inégalités et la pauvreté n’ont pas explosé mais il y a une absence de mobilité sociale d’où la fracture sociale.
- Une fracture territoriale qui active un clivage très présent au sein du mouvement des Gilets jaunes : le clivage entre centre et périphérie. On le voit au Royaume-Uni par exemple : la périphérie et les villes qui ont un sentiment de déclassement ont voté pour le Brexit, Londres et les autres centres urbains qui avaient bénéficié de l’ouverture, ont voté contre. En France aussi on a constaté cette fracture. Durant le quinquennat de François Hollande la croissance économique en Île-de-France a été réelle et deux fois supérieure au reste de la France: il y a eu plus de 625 000 créations dans 14 métropoles et 135 000 dans le reste de la France. Les chiffres globaux correspondent donc à des moyennes qui masquent des fractures : Marine Le Pen faisait en 2012 des scores deux fois plus élevés dans les villes de – de 2000 habitants.
- Une fracture politique et démocratique : le clivage entre le peuple et les élites, entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, avec un retrait de la vie démocratique. En France, plus de 3 millions de personnes ne sont pas inscrites sur les listes d’où un clivage démocratique qui s’observe aussi dans les comportements électoraux : la fracture est donc aussi dans la réalité et pas que dans le discours des populistes.
Réagissant aux propos des intervenants depuis le début de la soirée, Alexia Germont s’interroge sur la violence verbale qui accompagne l’expression de revendications et ne facilite pas l’expression d’un débat serein. Elle souligne que le populisme c’est aussi dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre. Par exemple, le discours populiste sur l’Europe dira que tout ce qui s’est passé de mal depuis le début est de la faute de l’Union Européenne.
Puis répondant aux questions et observations du public, les intervenants poursuivent le débat.
Rayan Nezzar souligne qu’on remarque chez les nouvelles générations une recherche de sens ou d’utilité accrue et non pas d’utilitarisme alors que le marché du travail national est fondé sur une société avec des statut ou des contrats, d’où un décalage avec les attentes de ces générations et une inversion des valeurs liées à certaines tâches dont la rémunération peut-être bien inférieure à l’utilité sociale accordée à cette tâche ; par exemple la rémunération des professeurs dans le secteur primaire ou secondaire, est très inférieure à la moyenne de l’Union européenne (de l’ordre de 15%) alors qu’il y a un consensus général en France pour dire que c’est important d’investir dans l’éducation.
Pascal Perrineau renvoie au livre de Dominique Régnier qui évoque la notion de populisme patrimonial qui veut défendre un patrimoine, matériel ou immatériel. Le populisme de sociétés, comme les Pays-Bas, la Suisse, la Suède, la Norvège ou le Danemark, qui ne sont pas des sociétés de pays pauvres, veut défendre le patrimoine matériel ; et il y a aussi le patrimoine immatériel de petites sociétés fragiles avec des populations relativement homogènes et qui ont vécu l’immigration comme un élément menaçant ainsi la Hongrie était aux avant-postes lors de la crise migratoire de 2015 ; c’était dans ce pays que le taux de demandes d’asiles pour 1000 habitants a été alors le plus important de toute l’Europe. Il y a de temps en temps des phénomènes tout à fait concrets et objectifs à côté de passions tristes et de fantasmes: dans un monde politique affadi et technicisé, les populismes ont su réactiver la figure du bouc émissaire et désigner du doigt des catégories considérées responsables de tout, comme les étrangers, les intellectuels ou les technocrates ; il y a une réinvention de la causalité diabolique qui fonctionne de façon très efficace.
François Dubet indique que l’expérience des inégalités et de l’injustice ont beaucoup changé de nature en 30 ans ; avant il y avait des inégalités sociales, maintenant les inégalités affectent chaque individu qui se sent en quelque sorte responsable d’avoir raté sa vie et plus les inégalités se sont réduites plus le sentiment de frustration et de la colère s’est accentué ; l’expérience des inégalités est devenu une sorte d’épreuve personnelle et la colère a explosé.
Pourquoi cette colère ? Il faut renvoyer à la pensée de Nietzsche : l’égalité des chances c’est parfait pour les vainqueurs car on ne doit son succès qu’à soi-même mais celui qui rate, sa seule issue est alors la haine or il est très difficile de donner une forme politique à ce type d’émotion, de transformer la colère en programme politique car il y a une dissociation du monde de l’indignation et du monde de l’action. Il y a enfin une individualisation croissante du sentiment de discrimination : lors de sa création la Halde prenait en compte 4 critères de discrimination, on en est aujourd’hui à 22. Mais s’il y a une vision sombre de la vie sociale française d’en haut, de près ce n’est pas si sombre que cela. Les partis sont devenus des banques de colère et de la peur – il n’y a pas de banque de l’espoir- mais il y aussi des actions formidables et porteuses d’espoir qui se déroulent en dehors de l’action collective.
Pascal Perrineau précise, à propos du grand débat national, que la fonction expressive individuelle est écrasante : dans les réunions on voit que chacun parle de soi d’abord, quel que soit le milieu social, mais ensuite chacun sort de son isolat et s’invente du sens collectif.
Le grand débat a touché une infime minorité de la population inscrite, entre 1,5% et 2,5 %, généralement que la démocratie participative touche 1% de la population inscrite sur les listes électorales.
Or les populismes sont porteurs d’une vraie demande de démocratie directe ou semi-directe et adressent de vraies questions à la démocratie représentative même s’ils y apportent de mauvaises réponses. La démocratie représentative pourrait donc s’adjoindre ces formes de démocratie citoyenne (ateliers citoyens etc…) qui pourraient devenir pérennes.
Rayan Nezzar , évoquant l’Europe, indique que si 2 Français sur 3 jugent l’adhésion à l’Union européenne positive pour la France, 4 sur 5 sont, à titre individuel, pessimistes sur l’avenir de l’Union européenne car il y a une défiance. Pour y répondre il faut parler de protection. L’élargissement à 28 Etats membres ne s’est pas fait avec un approfondissement démocratique ni social : il n’y a pas de socle européen de droits sociaux. Il faut aussi une vision d’une Europe qui projette dans les grands défis économiques et climatiques dans le monde. L’échelon de l’Europe est un échelon pertinent pour y répondre. Il faut donc une action coordonnée au plan national or il n’y a pas à l’heure actuelle de débat européen mais 28 débats nationaux. Enfin, l’un des enjeux est de faire de l’Europe un vrai lieu de débat ; c’est le cas au Parlement européen. Il y a un vrai consensus. Cela peut bloquer mais c’est bien différent de la situation en France où la majorité n’a pas besoin de l’opposition pour gouverner. Au niveau européen il y a une forme de RIC, outil qui a permis de faire émerger le débat sur le glyphosate. Il y a donc au niveau européen certains outils pour régénérer la démocratie représentative, en y adjoignant un discours politique éthique.
Alexia Germont conclut le débat en envisageant les issues possibles du côté européen, malgré les reproches sur la lourdeur des structures, le manque d’éthique et d’incarnation de l’Union européenne. L’Europe doit muer. Il faut remettre de la démocratie, du cœur et du rêve dans le projet européen car on ne fait pas avancer les peuples sans âme. Il faut une nouvelle gouvernance, essayer progressivement d’avoir une union européenne plus harmonisée secteur par secteur.
Enfin Stéphane Brabant conclut avec brio la soirée avec le traditionnel exercice de synthèse en dégageant les idées fortes du débat qu’il termine par un message d’espoir sur le vivre ensemble et la jeunesse d’aujourd’hui pour dépasser les populismes.
Nathalie Kaleski
Secrétaire Générale de France Audacieuse