Commentaires et Propositions du think tank France Audacieuse sur le projet de loi PACTE
Groupe de travail : Alexia Germont – Nathalie Kaleski – Yves Lebidois
Le projet de loi intitulé « Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises », dit projet de loi PACTE, fait l’objet du 15 janvier au 5 février 2018 d’une consultation publique ouverte à l’ensemble des citoyens par le biais d’une plateforme numérique.
Ce mode d’association des citoyens à la co-construction des projets de lois est une étape majeure de développement progressif d’une démocratie plus ouverte et plus participative, gage de meilleure rédaction puis appropriation des textes législatifs par la société civile.
Deux ambitions sont affirmées par le Gouvernement à travers ce projet de loi :
- d’une part, « faire grandir nos entreprises pour leur permettre d’innover, d’exporter et créer des emplois » et,
- d’autre part, « repenser la place des entreprises dans la société et mieux associer les salariés à leurs résultats ».
Afin d’atteindre ce double objectif, le gouvernement propose 9 thèmes distincts servant de cadre à la déclinaison de propositions de lois. Les 9 thèmes sont traités selon la chronologie suivante :
- Innover
- Partager
- Transformer
- Exporter
- Rebondir
- Transmettre
- Financer
- Développer
- Créer
L’analyse du projet de loi PACTE par France Audacieuse se concentre sur certaines dispositions sur lesquelles elle a mené une réflexion spécifique et relève également les points qui lui paraissent être incomplets.
1. Sur la forme du projet de loi PACTE
Sur la forme, France Audacieuse souligne le caractère illogique de l’ordre de traitement de ces thèmes qui ne correspond pas au cycle de vie attendu, et donc aux préoccupations des entreprises.
En conséquence, France Audacieuse propose de revoir la présentation du projet de loi PACTE selon l’ordre suivant :
2 questions transverses :
- Transformer
- Financer
Une approche séquentielle liée à la vie de l’entreprise :
- Créer
- Développer
- Innover
- Partager
- Exporter
- Transmettre
- Rebondir
2. Sur le fond du projet de loi PACTE
France Audacieuse a souhaité se concentrer, dans un premier temps, sur les modifications proposées par le Gouvernement quant à l’éco-système dans lequel évoluent les entreprises, regroupé sous le chapitre « Transformer » (2.1). Puis, dans un deuxième temps, France Audacieuse a concentré son analyse sur le volet « Financer » (2.2). Enfin, France Audacieuse souligne l’absence de certaines dispositions dans le projet de loi PACTE (2.3).
2.1 Recommandations et Propositions sur le volet « Transformer »
Trois modifications sont ici proposées par l’exécutif :
- ouvrir la possibilité aux entreprises qui le souhaitent d’adopter un objet social élargi
- mettre en place des fondations actionnaires
- renforcer l’égalité femmes-hommes dans la gouvernance et les fonctions de direction des entreprises
2.1.1 Ouvrir la possibilité aux entreprises qui le souhaitent d’adopter un objet social élargi
Le droit positif permet aujourd’hui d’ores et déjà d’adopter un objet social élargi incluant, si les actionnaires le souhaitent, une problématique complémentaire au seul développement des profits.
Aussi, tel qu’envisagée dans le projet de loi, l’introduction de la possibilité d’adopter un objet social élargi suppose une modification du code civil créant ainsi un risque réel de fragilisation d’un équilibre juridique qui fonctionne actuellement. Par ailleurs, le risque d’un simple effet d’annonce est réel, pour des entreprises qui adopteraient cet objet social élargi sans toutefois le mettre en pratique, l’objet social n’étant qu’un cadre fixant « l’arbre des possibles » et non une feuille de route.
Par ailleurs, il faut noter que des statuts juridiques divers permettent d’ores et déjà en droit français d’accompagner des projets alternatifs à la simple réalisation de profits. Il s’agit bien entendu notamment des associations loi 1901, mais également des structures juridiques telles les coopératives ou bien encore les sociétés d’assurance mutuelles qui placent les clients au cœur du dispositif.
France Audacieuse n’est donc pas favorable à la création d’un statut d’entreprise à mission comme envisagé par le Gouvernement du fait de l’insécurité juridique liée à la modification du code civil.
En revanche, France Audacieuse propose de développer une conduite « audacieuse » des entreprises inclusives assumant une vision économique de moyen terme prenant en compte les intérêts des différentes parties prenantes. En effet, notamment en matière de RSE, la seule réglementation ne suffira pas à insuffler un changement de comportement.
Rappelons que l’article L225-102-1 du code de commerce prévoit actuellement que les informations de performance extra-financière devant être intégrées dans le rapport de gestion doivent seulement être disponibles sur le site internet des sociétés soumises à cette obligation. Sans rajouter une obligation de rapport complémentaire, la publication volontaire et spontanée dans un portail numérique multilingue de ces informations par les ETI et les sociétés cotées pourrait permettre un développement plus rapide des axes de performance extra-financière.
Ainsi, pour mettre en œuvre cette proposition, France Audacieuse suggère que l’Etat développe une plate-forme numérique qui recense et promeuve les entreprises inclusives.
Cet outil d’information collaboratif pourrait être mis en place par une action conjointe des services de Bercy et du Ministère des Affaires étrangères. L’outil numérique multilingue serait alors mis à disposition des entreprises qui le souhaitent et pourrait également contenir un volet pédagogique. Il donnerait alors une visibilité tant en France qu’à l’étranger aux sociétés, qu’elles soient cotées ou non cotées, adoptant cette conduite « audacieuse » d’entreprise inclusive.
Les entreprises inclusives pourraient être définies comme étant celles intégrant une mission sociale (ciblant essentiellement les salariés de l’entreprise concernée), sociétale (avec des actions d’envergure plus large et ciblant des populations extérieures à l’entreprise concernée) ou environnementale (ciblant essentiellement la préservation de l’environnement et le développement durable).
Résumé
Proposition de loi PACTE : Ouvrir la possibilité aux entreprises qui le souhaitent d’adopter un objet social élargi
Proposition de France Audacieuse : Non favorable à l’adoption de cette proposition, mais favorable au développement d’une conduite « audacieuse » des entreprises inclusives assumant une vision économique de moyen terme prenant en compte les intérêts des différentes parties prenantes. Ce développement pourrait passer par la création conjointe par Bercy et le Ministère des Affaires Etrangères d’une plateforme numérique commune multilingue qui recense et promeuve les entreprises inclusives.
2.1.2 Mettre en place des fondations actionnaires
Rappelons tout d’abord que les fondations actionnaires ont été rendues possibles en droit français par la loi Dutreil n°2005-882 du 22 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. Ce texte législatif était particulièrement innovant en autorisant la détention de parts ou d’actions de sociétés commerciales par une fondation reconnue d’utilité public. Depuis la mise en place de ce cadre juridique, seules 4 fondations actionnaires ont été crées en France, alors qu’il existe 1000 fondations actionnaires en Allemagne, 1000 en Suède et 1350 au Danemark.
Un rapport remis mi-avril 2017 par l’Inspection Générale des Finances à Bercy a souligné le rôle économique des fondations actionnaires majoritaires qui constituent un outil privilégié de politique industrielle. En effet, les fondations actionnaires permettent des investissements à long terme, en protégeant l’entreprise contre les OPA et donc contre les délocalisations ou les restructurations non maîtrisées, et favorise la stabilité du capital.
En terme de transmission d’entreprise et de mise en avant des valeurs portées par les fondateurs, les fondations actionnaires constituent un outil particulièrement intéressant. De même, les acteurs de l’économie sociale et solidaire reconnaissent la souplesse portée par les fondations actionnaires en matière de gouvernance.
Afin d’aider au développement de ce cadre juridique et sensible aux propositions formulées par l’IGF, France Audacieuse propose d’autoriser :
- la création d’une entreprise par une fondation (et pas seulement, comme dans le schéma actuel, l’apport de titres par une entreprise à une fondation)
- la création d’une alternative à la Fondation Reconnue d’Utilité Publique qui est une structure juridique quelque peu complexe et contraignante par la présence d’un représentant de l’Etat au conseil d’administration.
Résumé
Proposition de loi PACTE : Mettre en place des fondations actionnaires
Propositions de France Audacieuse : Favorable à l’assouplissement du cadre déjà existant et, dans la lignée des propositions de l’IGF, en autorisant (1) la création d’une entreprise par une fondation et (2) la mise en place d’une alternative juridique à la Fondation Reconnue d’Utilité Publique
2.1.3 Renforcer l’égalité femmes-hommes dans la gouvernance et les fonctions de direction des entreprises
Le projet de loi proposé par le gouvernement précise que « l’évolution du cadre législatif a permis de faire progresser la parité au sein des organes de gouvernance dans les grandes entreprises et les entreprises cotées. Des progrès restent toutefois nécessaires dans les entreprises non couvertes par ce texte. Des évolutions sont également envisageables pour favoriser l’équilibre femmes-hommes dans la composition des équipes d’encadrement et de direction ».
France Audacieuse souhaite souligner que les entreprises actuellement soumises à la loi Coppé Zimmerman ne sont pas toutes respectueuses des obligations qui leur incombent, les sanctions prévues n’étant pas dissuasives. En effet, la loi prévoit l’invalidation de toute nouvelle nomination d’administrateur qui ne respecterait pas le quota, la suspension du versement des jetons de présence de l’ensemble des administrateurs tant qu’ils ne se conforment pas à la loi. Les décisions du conseil d’administration ne sont pas visées par une quelconque nullité
Il ne s’agit donc nullement de légiférer plus avant mais de faire réellement appliquer les lois en place. Dans ce cadre, France Audacieuse est favorable à l’incitation des entreprises, sur une base de volontariat, à l’utilisation de processus de certification concernant le respect de l’égalité femmes-hommes.
Résumé
Proposition de loi PACTE : Renforcer l’égalité femmes-hommes dans la gouvernance et les fonctions de direction des entreprises
Proposition de France Audacieuse : Favorable, mais sans mise en place d’une législation complémentaire, en incitant les entreprises, sur une base de volontariat, à l’utilisation d’une certification concernant le respect de l’égalité femmes-hommes
2.2 Recommandations et Propositions sur le volet «Financer»
Six modifications sont ici proposées par l’exécutif :
- Simplifier et rendre plus efficace le droit des sûretés pour permettre un financement facilité des entreprises
- Renforcer les sanctions en cas de dépassement des délais de paiement
- Encourager les nouveaux investisseurs en renforçant le droit des actionnaires minoritaires
- Simplifier l’accès des PME aux marchés boursiers
- Créer un plan d’épargne en actions pour les jeunes
- Orienter l’épargne des français vers les entreprises
France Audacieuse souhaite se concentrer sur le thème très opérationnel du droit des sûretés qui touche le quotidien des entrepreneurs.
Le projet de loi proposé par le gouvernement précise que « le classement Doing Business de la Banque mondiale pointe la complexité et l’opacité du cadre français des sûretés, qui est pourtant un élément déterminant pour la confiance des investisseurs et des financeurs, et ainsi de l’octroi de financements aux entreprises. Une clarification de la hiérarchie des sûretés et de leur effet en procédure collective, une modernisation de certaines sûretés, ainsi que l’amélioration de l’accès à l’information par l’unification et l’accès en ligne des registres d’information pourraient être envisagées ».
France Audacieuse souscrit à ce constat mais trouve pertinent de saisir l’occasion de cette remise à plat du cadre français des sûretés pour favoriser le développement du mécanisme de fiducie-sûreté. En effet, la fiducie est une opération tripartite par laquelle un constituant transfère des biens, des droits ou des sûretés, présents ou futurs, à un fiduciaire qui, les tenant séparés de son patrimoine propre, agit dans un but déterminé par un contrat écrit au profit d’un bénéficiaire (pouvant être le constituant ou le fiduciaire ou un tiers). L’intérêt de la fiducie-sûreté, (comparée au gage, au nantissement ou à une hypothèque où le débiteur reste propriétaire) réside dans le fait que la fiducie-sureté emporte transfert de propriété à un fiduciaire qui peut être le créancier lui-même.
Il paraît donc pertinent de développer ce mécanisme relativement récent en droit français notamment en ramenant la durée actuelle de 10 ans du droit de communication de l’administration fiscale à l’issue du contrat de fiducie à une durée de 3 ans plus l’année en cours
Résumé
Proposition de loi PACTE : Simplifier et rendre plus efficace le droit des sûretés pour permettre un financement facilité des entreprises
Proposition de France Audacieuse : Nécessité de développer le mécanisme de fiducie sûreté en ramenant la durée actuelle de 10 ans du droit de communication de l’administration fiscale à l’issue du contrat de fiducie à une durée de 3 ans plus l’année en cours.
2.3 Thèmes non traités par le projet de loi PACTE : développement du capital-risque et de l’intelligence économique au service de la croissance des entreprises
2.3.1 Développement du capital-risque
France Audacieuse a invité lors de la deuxième édition des Rencontres qu’elle organise, Philippe Tibi, Professeur de finance et de stratégie à l’Ecole polytechnique et co-auteur avec Francis Kramarz du livre « Plus de marché pour plus d’Etat!», autour du thème « Le capital-risque : outil de transformation du capitalisme, outil de souveraineté au 21eme siècle». Celui-ci, lors de son intervention, a fait des propositions que France Audacieuse soutient.
Rappelons que l’épargne des Français est très importante (4500 milliards d’euros) mais n’est pas libre car investie dans des produits comme l’assurance vie ou des produits administrés comme le livret A, qui ne peuvent pas s’investir dans le capital risque.
La BPI fait par ailleurs un très bon travail, car sans elle il n’y aurait pas de capital risque en France mais cela ne suffit pas. Pour accélérer, il faut beaucoup plus d’argent que ne peut en fournir la BPI. La difficulté française et européenne réside dans le faible nombre de fonds, et dans la faiblesse de la dotation des fonds existants. Il y a très peu de fonds ayant une taille suffisante pour accompagner les firmes dans leur croissance (processus de scale up). Avec un fonds de 100 millions d’euros (taille moyenne des fonds) cela donne des participations moyennes de 3 millions d’euros par entreprise (pour partager les risques) ; même à plusieurs cela ne permet donc pas des financements extrêmement importants. Il n’y a pas de fonds de 500 millions ou 1 milliard qui permettent de créer un « ticket » de 30 millions, qui permettra de faire décoller une entreprise.
Dans leur ouvrage, Philippe Tibi et Francis Kramarz proposent d’abord de créer un choc de financement.
En France, 10 milliards d’euros sont aujourd’hui investis dans le capital-risque, or il faut doubler rapidement ce montant. Il y a de l’argent disponible: le FRR, la PREFON, l’ERAFP, les fonds de sécurisation des retraites AGIRC-ARRCO; Au total près de 100 milliards d’euros. On pourrait ainsi affecter des montants de plusieurs milliards sans risque excessif pour les épargnants (c’est ce qu’enseigne la théorie du portefeuille).
Parmi les initiatives récentes, le fonds d’innovation de rupture envisagé par le gouvernement s’élèverait bien à 10 milliards mais en fait seuls les intérêts seraient là pour le financement de l’innovation : cela ne ferait que 300 à 400 millions d’euros par an ce qui n’est pas suffisant.
Et il faut ensuite de l’argent qui arriverait chaque année.
Il faut aussi créer de vrais fonds de pension en France, par exemple avec des instruments comme les retraites type article 83. On pourrait ainsi créer des fonds de pension ouverts à tout le monde qui permettraient d’apporter plusieurs milliards chaque année, de créer un robinet de financement permanent pour développer l’industrie française. Un fonds de pension, c’est aussi une réserve de capital.
Résumé
Proposition de France Audacieuse : Soutenant les propositions faites par Philippe TIBI, développer le capital risque en créant un choc de financement en passant des 10 milliards d’euros actuellement investis dans le capital risque à 20 milliards et création de véritables fonds de pension ouverts à tous.
2.3.2 Développement de l’intelligence économique en soutien de la croissance des entreprises
France Audacieuse trouve regrettable que l’occasion de la loi PACTE ne soit pas saisie par le gouvernement pour réaffirmer et amplifier l’importance de la démarche de l’intelligence économique venant en soutien de la croissance des entreprises.
France Audacieuse préconise une formation systématique des entrepreneurs à la démarche a minima par l’envoi par email au dirigeant, lors de la création de toute entreprise, d’un guide explicatif. Sur la base du volontariat, ce guide devra susciter l’intérêt du dirigeant qui pourrait alors suivre une formation courte dispensée par la chambre de commerce et d’industrie dont il dépend géographiquement.
Cette sensibilisation ne pourrait qu’être bénéfique à la stabilité du tissu économique français.
Résumé
Proposition de France Audacieuse : Mise en place d’une formation systématique des entrepreneurs à l’intelligence économique a minima par l’envoi par email au dirigeant, lors de la création de toute entreprise, d’un guide explicatif. Sur la base du volontariat, ce guide devra susciter l’intérêt du dirigeant qui pourrait alors suivre une formation courte dispensée par la chambre de commerce et d’industrie dont il dépend géographiquement
Conclusion
France Audacieuse se tient à la disposition du Ministère de l’Economie et des Finances pour développer les points évoqués dans la présente note.