11ème Convention des Professions Financières
« Renversons l’esprit d’immobilisme français ! »
Mardi 10 janvier 2017
Cette soirée était organisée par le Centre des Professions Financières autour d’une table-ronde et de la remarquable intervention d’Henri de Castries, Président de l’Institut Montaigne qui, à elle seule, justifie la rédaction de la présente note de travail.
I – Table-ronde
La table-ronde a été animée par Stéphane Soumier, journaliste économique à BFM Business, autour d’un fil conducteur : comment renverser l’esprit d’immobilisme français. Elle a réuni des personnalités bien connues des professionnels du monde la finance, à savoir :
- Marie-Anne Barbat-Layani, Directrice Générale de la Fédération Bancaire Française
- Olivier Goy, président fondateur de Lendix
- Hugues Le Bret, président co-fondateur du compte Nickel
- Jalil Chikhi, Google France
- Bernard Spitz, Président de la Fédération Française de l’Assurance
- Hubert de Vauplane, Avocat Associé chez Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP
Après avoir brièvement présenté Lendix, Olivier Goy a insisté sur le fait que l’aventure Lendix n’avait été possible que suite au mouvement de dérégulation et notamment la suppression du monopole bancaire. Alors que le marché du prêt en France couvre environ 80 milliards d’euros par an, Lendix se positionne en complément du système bancaire classique soit pour répondre à la rapidité des besoins exprimés par les entreprises, soit pour financer des machines parfois localisées à l’étranger.
Hugues Le Bret rappelle quant à lui qu’en France, 1,2 millions de personnes sont interdites bancaires et ont donc seulement droit à un livret A et à un droit « quasi-théorique » au « droit au compte ». Il souligne par ailleurs très opportunément que pour susciter une innovation, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- Evolution de la réglementation européenne
- Evolution de la technologie
- Définition adéquate d’un besoin du consommateur
Hubert de Vauplane a pour sa part rappelé que l’innovation en matière bancaire portait ses fruits puisque l’on assiste aujourd’hui aux premières coopérations ou acquisitions par des banques de FinTech. Il a également insisté sur le fait que la place de Paris a su lancer des financements court terme à travers notamment la démocratisation des EuroPPP et STEP (Short-Term European Paper).
Marie-Anne Barbat-Layani a insisté sur le fait que l’OCDE avait identifié le secteur bancaire français comme l’un des 6 atouts pour booster la croissance en France. Elle a souligné que l’industrie bancaire était performante regroupant 4 banques françaises parmi les 9 grandes banques européennes. Elle a néanmoins pointé la lourdeur de la réglementation bancaire qui n’est pas favorable au financement en fonds propres des entreprises et formulé le vœu que la réglementation bancaire n’interdise pas aux banques de continuer à faire leur métier, tout en conservant la sécurité nécessaire au système.
Bernard Spitz a par ailleurs insisté sur l’impact de la révolution numérique qui force le secteur des banques et des assurances à innover tout en rappelant que la France est malheureusement réputée pour son instabilité fiscale potentielle.
Jalil Chikhi a quant à lui souligné le retard de la France en terme d’utilisation Google, avec notamment une « fuite des clics » vers l’international… alors qu’à horizon 2020, l’opportunité pour la France liée au numérique a été évaluée à 100 milliards d’euros.
La table-ronde a été clôturée par l’intervention, très attendue par l’auditoire, d’Henri de Castries.
II – Intervention d’Henri de Castries
Henri de Castries a démarré son propos avec cette citation d’Edgar Faure : « Attention, voici que s’avance l’immobilisme et nul d’entre nous ne sait comment l’arrêter », précisant qu’il élargissait son propos hors de la seule sphère financière.
Dans un premier temps, il s’est attaché à comprendre pourquoi l’on pouvait avoir le sentiment que certaines démocraties, dont la France, sont immobiles. Trois éléments de réponse ont été avancés :
- L’immobilisme est toujours relatif : en effet, le PIB/tête continue globalement de progresser depuis 10 ans, tout comme la qualité de vie, des logements et de l’équipement de la population française. Mais la France se compare à des états qui la rattrapent en utilisant nos techniques, nos technologies, nos savoir-faire. Le partage finit par nous donner un sentiment de recul.
- Le vrai immobilisme, c’est le recul de la démographie qui pèse sur le fonctionnement de nos sociétés.
- La stagnation est également économique, intellectuelle et parfois technologique.
Cet immobilisme porte des conséquences sociales très lourdes car la prospérité connue il y a quelques décennies maintenant se nourrissait d’un contrat social qui portait sur la sécurité, la liberté d’expression et de vote, l’équité du système éducatif et le plein emploi. Or ce contrat social n’est plus nécessairement rempli, ce qui explique le sentiment d’immobilisme (sentiment souvent plus ressenti autour de la sphère étatique que des entreprises).
Pourquoi avons-nous ce sentiment ? Selon Henri de Castries, cela vient de la perception que nous avons de nous-mêmes, à savoir celle d’un pays au centre de l’axe. Or, lorsque l’on est au centre de l’axe, on reste immobile. Il faut donc renverser l’immobilisme français avant que celui-ci ne nous renverse en changeant de perspective et en comprenant que nous sommes désormais dans la périphérie de la roue. Nous devons désormais admettre que :
- nous sommes en concurrence avec la Chine et les USA notamment et que le système est de plus en plus granulaire. De ce fait, l’innovation est complétement éclatée, rendant les systèmes centralisés, étatiques ou rigides de moins en moins pertinents pour le développement
- le développement et l’échelle de celui-ci s’accélère : si une proposition est pertinente, il n’y a quasiment plus de limite à sa pénétration du monde, mettant en exergue la vitesse, l’universalité et les effets d’échelle.
- Il existe aujourd’hui des biens immatériels qui sont des actifs alors qu’il y a désormais des biens matériels qui ne sont plus des actifs.
Dans un second temps, Henri de Castries s’est attaché à comprendre comment faire pour retrouver des marges de manœuvre. En pratique, il a insisté sur la nécessaire reprise de notre souveraineté économique que nous avons perdue depuis 1979. Dans un pays où la dette équivaut pratiquement au PIB, il considère qu’ouvrir les allocations chômages aux démissionnaires est une aberration économique, visant ici en filigrane la proposition d’Emmanuel Macron. Il a rappelé que notre rendement et notre capacité d’investissement étaient nécessairement obérés par l’excès de dette.
Il a souligné le « triangle magique » permettant de retrouver notre place : sécurité – compétitivité et éducation sont, selon lui, les trois piliers à développer. Compte tenu de l’auditoire, il a souhaité concentrer ses développements sur les deux derniers piliers :
- il a donc insisté sur la nécessité de réinventer l’Ecole Publique Universelle et Obligatoire du XIXème siècle via la lecture, l’écriture et le calcul, auquel il convient aujourd’hui de rajouter la logique et le codage. L’école primaire doit concentrer les moyens alloués. L’Education doit permettre que les citoyens aient un emploi soit à travers le monde de l’entreprise soit celui de l’apprentissage. L’enseignement supérieur doit également promouvoir l’excellence, citant les progrès extraordinaires effectués par l’université Tsing Hua, à Pékin, qui se situe désormais presque au niveau de Harvard.
- En matière de compétitivité, il a mis au rang des priorités la maîtrise des dépenses publiques ainsi que la baisse des impôts sur le revenu des investissements.
Pour conclure son propos sur un ton optimiste, il a rappelé que cette réécriture de notre contrat social est possible, beaucoup d’autres pays ayant réussi leur réforme. Prenant l’exemple du Portugal, il a rappelé cette maxime qu’il cite souvent : « Quand la tempête se lève, certains construisent des murs, d’autres des moulins à vent ».
Michel Pébereau, Président du Centre des Professions Financières, a enfin clôturé cette soirée de façon très positive en rappelant que la finance française est un des hauts lieux de l’emploi en France et que cette constatation prenait toute sa mesure à l’heure du Brexit et de l’opportunité que celui-ci représente pour la place financière de Paris.
Conclusion de France Audacieuse
Comme toujours, le Centre des Professions Financières permet aux acteurs du monde bancaire et financier de se retrouver autour d’intervenants et de débats de qualité.
L’intervention d’Henri de Castries, particulièrement pédagogique et pertinente, a permis de donner à cette soirée un supplément d’âme. Son discours particulièrement riche permet à ceux qui le souhaitent d’en tirer de très nombreux enseignements. En cela il ouvre le champ des possibles.
L’éducation des citoyens au monde de l’économie en général et de la finance en particulier est une réelle nécessité pour notre pays. Le Centre des Professions Financières s’y emploie. Qu’il en soit sincèrement remercié.
France Audacieuse, think tank #libredansleton de la société civile, prendra également sa part dans le décryptage de notre monde complexe, depuis la place qui est la sienne.
Alexia Germont – 11 janvier 2017