La pandémie de Covid-19 a mis à jour l’urgence d’un changement drastique de modèle économique pour notre Pays, passant avant tout par sa reconstruction industrielle. Comme très souvent, l’Etat a pleinement joué en France sa fonction « providentielle », ce qui a considérablement atténué les effets d’une crise sans précédent.
Bien entendu conscients de la perte de substance productive continuellement enregistrée par le Pays depuis maintenant plus de 40 ans, perte de substance encore illustrée en 2020 par un déficit courant record de nos comptes extérieurs de près de 45 Mds d’Euros (soit 2% du PIB), les pouvoirs publics ont également mis en place de façon louable la Charte du Label Relance en début d’année 2021.
L’Epargne « domestique » Privée, qui a atteint des niveaux très élevés en raison de la crise, doit donc être puissamment réorientée vers ces thématiques essentielles et constituer, avec l’investissement public, un effet de levier fondamental seul à même de préserver à terme l’équilibre économique, social et territorial du Pays.
Les propositions présentées ci-après s’inscrivent dans le cadre de cette réflexion. Elles ont été construites à partir d’un diptyque de « révolutions coperniciennes », tant en matière de supports d’investissement qu’en termes de dispositif de gestion.
En préambule de ces propositions, il convient dans un premier temps de détailler le niveau d’Epargne disponible des ménages français, et son évolution depuis 2 ans, se traduisant par un stockexcédentaire très important :
- Le pouvoir d’achat des ménages a été globalement préservé en 2020 grâce aux dispositifs de prestations sociales et d’indemnisations d’activité partielle, dispositifs ayant compensé la baisse des revenus directs d’activité. Selon les calculs de l’INSEE, le revenu disponible brut des ménages a progressé en 2020 de 1,1%, après +3,1% en 2019, et le pouvoir d’achat de 0,6% après +2,1% en 2019. A contrario, la consommation est restée sur le 1er trimestre 2021 en recul de 5% par rapport au niveau d’avant crise. Les mesures de restrictions sanitaires, dont la fermeture des commerces « non essentiels » pendant les nombreux confinements, ont contraint les ménages à réduire leur consommation, les conduisant ainsi mécaniquement à épargner.
- Le taux moyen d’épargne devrait donc rester très élevé en 2021, à plus de 21% des revenus, bien au-delà de celui qui prévalait en 2019 (environ 15%). Cette tendance marquée à la hausse est bien entendu également observée dans les pays « comparables ».
- Entre le début de la crise et la fin de l’année 2021, les ménages français devraient ainsi avoir épargné environ 200 Mds d’Euros supplémentaires, selon les calculs de la Banque de France, soit presque le double des montants affectés par le Gouvernement au plan de relance. En 2020, l’Epargne des Français a déjà progressé de 100 Mds d’Euros. Dans le détail, c’est essentiellement la composante d’Epargne financière, dont le taux a triplé (passant de 4,6% à 12,1% des revenus), qui explique cette évolution.
- Cette hausse du niveau d’Epargne a été permise grâce aux mesures directes de soutien mises en place par le Gouvernement (300 Mds d’Euros de Prêts Garantis par l’État et 124 Mds d’Euros d’Aides Directes). Le mécanisme de Prêts Garantis par l’Etat a canalisé les liquidités correspondantes vers les entreprises pour les aider à traverser la crise en évitant chômage de masse et faillites. Dans toute l’Europe, la pandémie de Coronavirus a constitué l’une des périodes d’intervention étatique les plus intenses depuis des décennies. La France a été l’un des pays les mieux préparés à agir, compte tenu de sa longue histoire de dirigisme économique et des liens étroits prévalant entre l’Administration Publique et le monde économique.
- Parallèlement, l’indicateur de confiance des ménages publié par l’INSEE, situé près de dix points sous sa moyenne historique en début d’année 2021, montre que les Français restent inquiets face à la situation économique et notamment face à la dégradation du marché du travail. Les débuts chaotiques de la vaccination, l’apparition des variants et la poursuite des restrictions n’ont pas contribué à rassurer la population quant à la sortie de crise. Or, la confiance reste la clé de la reprise, c’est elle qui fera croître la consommation et diminuer le taux d’Epargne. La distinction entre les motifs d’Epargne est essentielle pour l’avenir.
- Malheureusement, cette situation de crise sanitaire a encore amplifié les inégalités patrimoniales, les ménages les plus aisés ayant mécaniquement dû réduire leurs dépenses « hédonistes », une fois leurs besoins essentiels pourvus. Les moins aisés ont à l’inverse dû s’endetter pour pouvoir continuer à assumer leurs dépenses courantes. Dans le contexte d’incertitudes générales sur la situation économique, notamment en termes d’emploi, cette Epargne forcée s’est transformée en Epargne de précaution. Les Français ont ainsi alimenté leurs Livrets A de plus de 35 Mds d’Euros en 2020, portant l’encours total de ce produit désormais non rémunérateur à plus de 450 Mds d’Euros. Ce comportement « de précaution » devrait se prolonger en 2021.
- Les patrimoines financiers, tout particulièrement les plus élevés d’entre eux, ont donc crû fortement en 2020, accentuant ainsi la hausse déjà observée en 2019. Ainsi, le patrimoine financier des ménages a augmenté de 15% environ en moins de 2 ans. L’examen des flux et des encours les plus récents, tels que reflétés par les tableaux ci-dessous, montre que les placements des ménages sont restés orientés très majoritairement vers les Produits de Taux, en particulier les Dépôts Bancaires rémunérés et/ou à vue, ainsi que les Actifs en Numéraire.
- Sur un total de 5.500 Mds d’Euros d’encours de placements financiers au 3ème trimestre 2020, les Produits de Taux à faible risque occupent une place importante de 66% du total, dont près de la moitié est en Assurance Vie / Fonds Euros. Les placements liés aux Fonds Propres, en Actions principalement, ne représentent que 32% du total.
Cette répartition montre clairement que l’Epargne française reste encore modestement dirigée vers le développement de l’économie et des entreprises.
Il est donc nécessaire d’entreprendre des réformes radicales afin de contribuer à un meilleur financement de l’Economie productive du pays et de favoriser une épargne longue orientée prioritairement vers le renforcement des Fonds Propres des PME (Petites et Moyennes Entreprises) et des ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) innovantes dans les domaines des technologies digitales et numériques, de la transition énergétique et des sciences de la vie.
Ces entreprises constituent en effet pour l’avenir un gisement primordial de croissance et d’emploi, de capacité d’investissement productif et de compétitivité de notre Economie. Une importance particulière doit être accordée à cette question en ce moment, car nos pertes de parts de marché industrielles ont de nouveau repris leur cycle déclinant.
Cette mobilisation historiquement inédite de l’Epargne nationale vers les industries du futur devra :
- Tenir compte de la préférence atavique des Français pour la sécurité et pour la liquidité de leur patrimoine financier ;
- Partir de l’épargnant, dont il faut restaurer la confiance, dans un cadre fiscal attractif, accepté et stable dans le temps ;
- Tirer toutes les leçons de l’échec patent de la multiplicité des supports d’Epargne existants, hérités de l’histoire, obéissant à des objectifs et à des règles fiscales spécifiques souvent complexes et illisibles pour les épargnants, le cas échéant à grand renfort de nombreuses niches fiscales et sociales, mais n’ayant pas permis de dégager structurellement une Epargne actionnariale longue.
Nous proposons par conséquent le plan d’action suivant, construit autour de 2 axes clairs et efficaces :
1. Une simplification des supports d’investissement orientés vers l’Epargne longue en Actions, assortie d’une exemption significativement accrue de tous prélèvements fiscaux et/ou sociaux
Cette simplification des supports intègrerait les mesures suivantes :
a) Au sein du dispositif de l’Assurance Vie, incitation marquée à une détention plus longue et à une prise de risques plus importante.
Cette incitation impliquerait pour les nouveaux contrats une modification des durées exigées pour bénéficier des avantages fiscaux, tout en créant au sein de ces mêmes contrats des compartiments permettant de flécher une partie des placements vers les ETI et les PME innovantes dans les domaines susmentionnés. Ces compartiments seraient totalement exempts de tous prélèvements fiscaux et/ou sociaux.
b) Création de Fonds Participatifs accessibles au grand public qui puissent à la fois intervenir sur les actions cotées et sur les actions non cotées.
La création de tels Fonds permettrait de faciliter le co-investissement sur les plateformes de financements participatifs entre institutionnels et particuliers. Les instruments participatifs permettent en effet de répondre à la volonté de certains dirigeants d’entreprises de ne pas ouvrir leur capital, tout en renforçant leurs quasi-Fonds Propres (remboursement après désintéressement complet de tous les autres créanciers). Pour les investisseurs, ces instruments permettent d’accéder à une rémunération prévoyant une clause de participation aux résultats de l’emprunteur.
c) Modifications en profondeur du régime actuel du PEA (Plan d’Epargne en Actions) et du PEA-PME (Plan d’Epargne en Actions – PME), intégrant :
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- Le déplafonnement des sommes versables ;
- L’alignement du régime de succession sur celui de l’Assurance Vie ;
- Le rééquilibrage du dispositif en faveur des titres non cotés, en privilégiant la définition européenne des PME ;
- Une simplification drastique des processus de souscription / suivi / traitement, passant par :
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- Le développement des processus numériques,
- La fluidité des facultés de transferts entre établissements teneurs de comptes,
- Un rôle de centralisation technique accrue de l’Administration Fiscale.
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Dans ce cadre, un Passeport Financier serait mis en place, a minima pour tous les résidents fiscaux français.
Basé sur le même principe d’identification unique et partagée que celui du numéro d’immatriculation Sécurité Sociale, ce Passeport Financier serait enfin la pierre angulaire d’identification commune et reconnue « tout au long de la vie » pour chaque épargnant, tant auprès de l’Administration Fiscale que de chaque Etablissement Bancaire et/ou Financier. Une fois initié, il permettrait ensuite à chaque Epargnant d’ouvrir / transférer / transmettre ses Comptes / Plans d’Epargne en un seul « click ».
d) Création d’un Produit de Génération « Jeune » pour les moins de 35 ans, le Plan d’Epargne Retraite en Actions « Jeune » investi dans les domaines de la transition énergétique, des technologies digitales et numériques et des sciences de la vie. Ce Plan d’Epargne Retraite en Actions « Jeune » serait :
- Sans aucun plafonnement
- Aligné sur le régime de succession de l’Assurance Vie,
- Totalement exonéré de prélèvements fiscaux et/ou sociaux sur les plus-values et sur les produits de dividendes.
Des modalités de sortie avant la retraite seraient possibles, mais limitées à des cas de force majeure à définir.
e) Un réexamen minutieux du système d’orientation de l’Epargne et des niches fiscales résiduelles associées, passant par la suppression de celles qui altèrent indûment le discernement des investisseurs sans rendement ni intérêt économique d’ensemble.
2. Un dispositif de gestion des actifs fiable, rassurant et performant, reposant sur :
a) Deux institutions publiques ayant fait leurs preuves : le Fonds de Réserve des Retraites et la Banque Publique d’Investissement
- Le Fonds de Réserve des Retraite
Le Fonds de Réserve des Retraites ne gère pas en direct, il sélectionne des gérants et alloue des mandats selon l’allocation d’actifs désirée. A ce jour, le Fonds de Réserve des Retraites jouit d’une excellente réputation. Les avantages de ce type de structure sont nombreux avec des frais de gestion très réduits (contrepartie de la taille des mandats alloués) et un accès aux meilleurs gérants au niveau mondial. Les performances du Fonds de Réserve des Retraites sont appréciables avec une performance annualisée nette de frais de 4,9% entre le 31/12/2010 et le 31/12/2019 à comparer avec une performance annualisée sur la même période de 11.4% pour les actions internationales, 6.4% pour les Actions Zone Euro et 4.4% pour les Obligations Européennes.
Le Fonds de Réserve des Retraites contribue au financement de l’Economie française à hauteur de 19% des encours (5% en Actions non cotées, 6% en Obligations non cotées, 8% en Actions cotées) en actifs de sociétés françaises.
- La Banque Publique d’Investissement
Avec ses plus de 500 salariés, BPI France gérait en 2019 un portefeuille d’environ 36 Mds d’Euros d’actifs. La majorité de ces actifs (18,5 Mds d’Euros) concerne des valeurs moyennes. La doctrine d’investissement de BPI France est de créer des effets d’entraînement via des prises de participation minoritaires, d’agir comme un investisseur avisé, de participer aux Conseils d’Administration et Comités Consultatifs et d’investir de manière patiente en cherchant des rentabilités à plus long terme.
En partenariat avec des capitaux privés, les actions de la BPI concernent aussi le financement de l’innovation principalement sous forme de crédits bancaires (prêts à l’innovation, prêt à l’amorçage) et de façon minoritaire sous la forme de subventions (état / régions).
Elle offre également la garantie de prêts bancaires, le cofinancement, aux côtés des banques, de prêts bancaires à moyen et long terme et le financement des besoins à court terme (créances publiques et grands donneurs d’ordres privés). Elle assure enfin la distribution de l’ensemble des soutiens financiers à l’export.
Le 1er octobre 2020, BPI France a lancé son premier fonds de Private Equity dans lequel les particuliers peuvent investir. Baptisé BPI Entreprises 1, ce FCPR ambitionne d’inciter les particuliers à investir dans l’économie réelle. Il s’agit d’un fonds de fonds, qui détiendra une participation de 5% dans un portefeuille de 145 fonds d’investissement ayant investi dans 1.500 entreprises entre 2005 et 2016, pour la plupart françaises et non cotées.
L’idée du lancement d’un Fonds Souverain important en taille à l’image de ce qui se fait dans plusieurs autres pays reste évidemment une préconisation forte afin d’aider à l’innovation et au développement des entreprises moyennes. Ce Fonds pourrait être géré par la BPI.
b. Un soutien à la proposition de lancement d’un Fonds à Capital Garanti.
Le tissu productif français a progressivement décroché par rapport à ses principaux concurrents depuis maintenant plusieurs décennies pour bonne partie en raison d’un manque de Fonds Propres de beaucoup de ses entreprises sous-jacentes.
Dans ce contexte, le plan de relance prévoit la mise en place de prêts participatifs dont le concept a été développé précédemment. Naturellement, ce dispositif doit être vigoureusement complété et la réorientation de l’Epargne financière des Français vers les filières manufacturière, technologique et scientifique d’avenir est un enjeu national central.
Mais il faut sortir d’une contradiction. Les entreprises ont besoin de Fonds Propres pour financer des investissements par nature risqués alors que les épargnants veulent de la sécurité et préfèrent se tourner vers des placements sans risques et liquides (possibilité de récupérer rapidement cet investissement). Avec la baisse tendancielle des Fonds « Euros », spécificité française avec un capital garanti, mais dont les rendements sont en baisse constante (en moyenne 1,2% en 2020), l’Epargne « sans risques » rapporte peu et surtout n’irrigue pas le tissu productif français.
Pourtant, investir dans des Fonds d’Investissement dans des entreprises non cotées s’avère en moyenne très rentable, mais ceci est de facto réservé aux publics très aisés et informés, ce qui est une source d’inégalité supplémentaire.
En conséquence, une réponse adaptée à la démocratisation de l’Epargne, allant dans le sens de l’intérêt général, est de mettre en place une formule qui réduit les risques en proposant des Fonds d’Investissement à Capital Garanti.
L’Etat pourrait alors jouer le rôle d’assureur en dernier ressort, chargé de garantir la mise de fonds de l’épargnant, tout en étant rémunéré pour ce service. Le rendement des Fonds d’Investissement atteint en moyenne 10%, duquel il faudrait alors enlever 2 à 3% pour les frais de gestion et 2% pour la rémunération de l’Etat assumant la fonction d’assureur. Le rendement pour l’épargnant serait alors de l’ordre de 5%, avec un capital garanti, ce qui est très attractif compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt actuels. Des sommes importantes pour la relance de l’économie productive pourraient ainsi être mobilisées.
Dans ce projet défendu par Michel DIDIER, Président de Rexecode, l’épargnant place son argent dans un fonds qui lui garantit son capital et lui permet de récupérer sa mise à tout moment. Il dispose en permanence d’un droit de cession de ses parts, ce qui répond précisément à l’objectif de liquidité.
L’acquéreur-« assureur » serait une Institution Publique capable de mutualiser ses achats à un niveau suffisant afin de diminuer sensiblement, voire de supprimer le risque sur les « positions » détenues en dernier ressort.
Cette stratégie visant à assurer cette garantie devrait générer un effet de levier et permettre une captation de l’Epargne en direction des entreprises, en reproduisant en quelque sorte le même fonctionnement que celui des Fonds Euros adaptés aux Obligations Souveraines qui a montré son efficacité. Cette mesure permettrait donc à l’Etat d’inciter puissamment au déblocage de l’Epargne privée.
Ce projet de Fonds d’Investissement se situerait ainsi entre les avantages de long terme du Plan d’Epargne en Actions sur la valorisation de l’Epargne (mais sans avantage fiscal) et ceux du contrat d’Assurance Vie en Euros.
En synthèse de ce concept, l’enjeu fondamental est de diriger l’épargne vers davantage de prise de risque afin que cette épargne irrigue le tissu industriel par un apport en Fonds Propres. Pour y parvenir, au-delà de l’octroi d’avantages fiscaux « traditionnels », il faut assurer aux épargnants garantie et liquidité. L’Etat doit ainsi devenir un facilitateur.
La période actuelle est propice à cette réflexion structurelle puisque nous vivons un moment de changement idéologique majeur. L’enjeu sous-jacent est de répondre aux défis vitaux du Pays en matière de compétitivité future sur les secteurs économiques essentiels. Il appartiendra au secteur financier de contribuer de manière encore plus citoyenne à ces défis, étant par essence le point nodal de ces grandes transformations que les pouvoirs publics devront « fluidifier » et « sécuriser ».
En conclusion, si l’on considère que la reconquête des filières manufacturière, technologique et scientifique d’avenir constitue plus que jamais pour notre Pays une Grande Cause Economique Nationale, toutes les énergies attachées aux solutions de bon sens et de terrain doivent se mobiliser en ce sens. Les propositions que nous mettons en avant à cet égard, tant en matière de supports d’investissement clairs et efficaces qu’en termes de dispositif de gestion public bipolaire « garanti » permettraient enfin de viser, selon nous, la constitution d’un Fonds Souverain Français dont la cible à 5 ans ne saurait être inférieure à 200 Mds d’Euros d’encours.
Par Olivier Stéphanopoli