Les enjeux maritimes français
Note d’éclairage
par le Vice-amiral d’escadre (2S) Jean Hausermann
Les Assises de l’économie de la mer, qui se sont déroulées à Bordeaux les 19 et 20 novembre 2024, viennent de se clôturer. Elles constituent l’un des principaux rendez-vous annuels de la communauté maritime française. Cet événement réunit experts, professionnels, décideurs politiques, et représentants des collectivités territoriales pour échanger et débattre sur l’avenir de l’économie maritime.
L’année de la Mer, pour sa part, débutera le 1er janvier 2025. Elle est organisée dans la perspective de la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan, qui aura lieu à Nice en juin 2025, et que la France co-organise avec le Costa Rica. Ce rendez-vous de diplomatie environnementale aura pour thèmes la Protection de la biodiversité, la préservation des grands fonds marins, la lutte contre la pêche illégale et toutes les pollutions, et la transition énergétique.
Ces deux événements sont là pour nous rappeler l’importance que revêt la mer pour notre pays et, comme disent les marins, de « faire le point ». Où en sommes-nous ?
Quelques repères
La France, avec plus de 10,2 millions de km² d’espaces maritimes, est présente dans toutes les régions océaniques du globe, grâce à ses régions, départements et collectivités d’outre-mer.
Ce vaste domaine maritime offre une diversité de ressources humaines et naturelles, constituant un atout majeur pour notre pays, mais aussi une responsabilité. L’ambition maritime française doit prendre en compte tous les enjeux qu’ils soient économiques, environnementaux, stratégiques ou sécuritaires.
De nombreux défis subsistent, notamment en matière de sécurité et de lutte contre les activités illicites. La France doit faire face à des menaces provenant des narcotrafiquants et à l’augmentation des migrations maritimes et de la pêche illégale, qui mettent à l’épreuve le dispositif original de l’Action de l’État en mer (AEM). L’AEM est une organisation administrative et opérationnelle qui confie à une autorité administrative unique (le préfet maritime pour chaque façade métropolitaine) :
- La représentation de l’État en mer ;
- La coordination des missions de l’AEM entre les administrations disposant de moyens d’intervention en mer ;
- Une capacité pour toutes les administrations intervenant en mer à constater les infractions en mer dans un large spectre de missions.
Le préfet maritime est le garant de la sécurité en mer. À ce titre, il veille en permanence à la bonne cohabitation des usages. Plus largement, le préfet maritime veille à l’exécution des lois, des règlements et des décisions gouvernementales. Investi du pouvoir de police générale, il a autorité dans tous les domaines où s’exerce l’action de l’État en mer, notamment en ce qui concerne la défense des droits souverains et des intérêts de la Nation, le maintien de l’ordre public, la sauvegarde des personnes et des biens, la protection de l’environnement et la coordination de la lutte contre les activités illicites. https://www.debatpublic.fr/sites/default/files/2023-11/NAMO_Fiche_28_AEM.pdf
Quels enjeux ?
D’un point de vue stratégique, la mer possède une importance aux diverses facettes. En premier lieu, celle de la survie même de la nation, puisque que l’on y dissimule les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins chargés d’une part significative de notre dissuasion nucléaire. Leur dilution dans l’immensité de l’océan et leur furtivité assurent leur invulnérabilité. Ensuite, parce que les ¾ de nos importations et de nos exportations passent par la mer. La France en est donc dépendante, en particulier pour ses approvisionnements énergétiques. Mais c’est également une opportunité puisque 90% du commerce mondial passe par la mer. L’économie française peut ainsi commercer en toute indépendance avec l’ensemble du globe.
Le transport maritime français est dominé par de grandes compagnies d’envergure mondiale, mais il doit faire face à une concurrence internationale ardue et à des impératifs de décarbonation exigeants. D’ailleurs, à l’occasion des Assises de l’économie de la mer 2024, Fabrice Loher, ministre délégué chargé de la Mer et de la Pêche, et Nathalie Mercier-Perrin, présidente du cluster maritime français (CMF), ont présenté la mise à jour de la feuille de route « décarbonation » de la filière maritime. Les 400 navires sous pavillon français restent en faible nombre au regard du rang économique du pays.
Les ports maritimes français, bien que compétitifs, doivent encore améliorer leur position face à la concurrence dominante des ports de l’Europe du Nord et de Méditerranée. Ils bénéficient d’une situation géographique avantageuse mais doivent relever les défis industriels, numériques et environnementaux d’aujourd’hui.
L’industrie navale française, incluant la construction, la réparation et la déconstruction navales, est un secteur dynamique réalisant plus de 15,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020 et employant plus de 57 000 personnes. La France est bien positionnée dans la construction navale pour les paquebots de croisière et la plaisance, mais la compétition mondiale est de plus en plus rude.
Les câbles sous-marins de communication, transportant plus de 95 % des communications mondiales, sont essentiels pour le bon fonctionnement du cyberespace. Leur protection est cruciale face aux risques d’endommagement et d’attaques informatiques. La pose, l’entretien et la réparation des câbles sous-marins sont des spécialités françaises, mais la concurrence chinoise et l’émergence des GAFAM dans ce domaine requièrent des gains de compétitivité constants.
L’éolien offshore français, bien que naissant, présente des opportunités, notamment avec la technologie de l’éolien flottant. L’inauguration du premier parc éolien en mer au large de Saint-Nazaire en 2022 est un signe prometteur pour l’avenir de cette filière. L’accélération du déploiement de l’éolien en mer est essentielle pour atteindre l’objectif de 45 GW d’électricité (soit l’équivalent de la production de 30 réacteurs nucléaires récents) produite en mer d’ici 2050, conformément aux engagements du Président de la République.
La pêche est un secteur pourvoyeur d’emplois, mais le solde commercial pour la pêche reste déficitaire. L’Union européenne est le quatrième plus grand producteur de poissons. La pêche française, diversifiée en matière d’espèces et de techniques, contribue au dynamisme des territoires côtiers. Cependant, elle fait face à des crises successives, comme le Brexit, la pandémie de COVID-19 et la hausse des coûts du carburant.
Le nautisme et la plaisance représentent enfin un secteur important, générant 5,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 et produisant environ 45 000 unités par an. Dans le domaine sportif, la France est la première nation organisatrice de grandes courses au large.
L’économie bleue
L’économie bleue, ou économie océanique, est un terme utilisé pour décrire les activités économiques associées aux océans et aux mers. La Banque mondiale définit l’économie bleue comme « l’utilisation durable des ressources océaniques au profit des économies, des moyens de subsistance et de la santé des écosystèmes océaniques ».L’économie maritime française façonne ainsi durablement les territoires en permettant l’implantation de filières industrielles d’excellence. En 2021, l’économie bleue représentait 1,5 % du PIB français, avec plus de 40 milliards d’euros de valeur ajoutée et 525 000 emplois, soit 1,8 % des emplois nationaux.
Ce poids est comparable à celui de grands pays comme l’Allemagne ou les États-Unis, mais inférieur à celui d’États comme le Royaume-Uni ou l’Italie.
La mer impacte toutes les régions françaises, même celles éloignées des côtes, car presque tout ce que nous consommons passe par le transport maritime, et les données circulent quasi exclusivement via des câbles sous-marins. L’économie bleue française, diversifiée et performante, doit faire face à des défis majeurs, notamment en matière de transition énergétique et écologique.
En effet, l’océan est vital pour la production d’oxygène, l’absorption du carbone et l’atténuation du réchauffement climatique. Il est donc crucial de mieux connaître l’océan, source de vie et de prospérité, pour en prendre davantage soin. La recherche scientifique française joue un rôle particulièrement éminent dans ce domaine.
Et demain ?
Avec ses 20 000 km de côtes et ses territoires ultra-marins, la France est une nation maritime majeure, un pays du nord et du sud, de tous les continents, avec une présence dans tous les bassins océaniques. Malgré ses domaines d’excellence, notre économie bleue se trouve à un tournant, avec des défis importants à relever et des opportunités à saisir, notamment dans l’éolien offshore, la construction navale, et le transport maritime. En renforçant la compétitivité et l’innovation, la France peut consolider sa position maritime mondiale tout en promouvant une croissance durable et respectueuse de l’environnement.
Note publiée le 24.11.2024