Conférence de l’ANAJ-IHEDN à l’Ecole Militaire
« Externalisation de la Défense et de la Sécurité en France :
le cas des partenariats public-privé»
Jeudi 15 décembre 2016
Cette conférence a été organisée par l’ANAJ IHEDN (Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) à l’Ecole Militaire.
Guillaume Farde, Directeur associé du Groupe Spallian et professeur à Sciences Po, est d’abord intervenu sur les risques et les limites de l’externalisation dans le contexte particulier de la Défense Nationale.
En introduction, il a tout d’abord souligné qu’étudier le processus d’externalisation, c’est étudier un phénomène court sur une dizaine d’années seulement. Ce processus a débuté en 2002 puis a connu un ralentissement à compter de 2012. Il a rappelé que ce phénomène était pris en étau politiquement puisqu’à gauche, on le considère comme peu acceptable car il correspond à la libéralisation de l’Etat, tandis qu’à droite, on le perçoit comme une forme de désagrégation de l’Etat régalien. Il a également mentionné que l’externalisation en France correspond seulement à 5% du budget de la défense, tandis qu’au Royaume-Uni, on s’approche bien plus de 25%.
Puis il a souligné les causes de la résistance à l’externalisation de la Défense.
Rappel historique préalable :
- Historiquement, il existe une conception française toute particulière des services publics régaliens. Par comparaison, chez les Anglo-Saxons, la Défense c’est à la fois de la sécurité et un bien marchand. Une philosophie politique très française explique que les armées ont tout fait elles-mêmes de 1789 à la chute du mur de Berlin.
- La rupture intervient vers la fin des années 1990/2000 lors de l’effondrement du bloc soviétique, impliquant le reformatage des armées (professionnalisation et projection).
- Puis le mouvement du « New Public Management » a lancé l’idée d’un Etat minimaliste s’inspirant du management de l’entreprise pour la transposer à l’administration : en France, c’est le mouvement de la Revue Générale des Politiques Publiques (RGPP)
Les causes de la résistance : l’externalisation de la Défense et de la Sécurité est perçue comme inquiétante car :
- l’externalisation reste un processus risqué : on demande à deux catégories de personnes de travailler ensemble notamment sur la rupture dans la continuité de la défense. Car si rupture il y a, c’est l’Etat qui est défaillant. Quid en cas de sous performance ou grève de l’entreprise privée externalisée ? Il existe par ailleurs un risque de la perte de compétence à long terme pour l’Etat une fois la mission déléguée. Enfin, il existe un risque d’irréversibilité qui représente le risque ultime lorsque le retour du personnel public est impossible ou à un coût trop élevé.
- L’externalisation souffre d’un déficit de méthode : par le passé, le Ministère de la Défense n’avait pas fixé de cap stratégique sur l’externalisation qui ne doit bien être qu’un moyen et non une fin en soi. Souvent, ils se sont débarrassés des secteurs donc on ne voulait plus. A noter que dans son Guide Méthodologique de 2003, le Ministère de la Défense n’a pas voulu donner de définition de ce qui était externalisable. Par ailleurs, les entreprises ont pu faire preuve d’opportunisme lors de l’externalisation et cela a cassé la confiance réciproque : les ministères régaliens ne peuvent pas être considérés comme des vaches à lait.
Quel avenir pour l’externalisation ?
Dans un contexte de budgets contraints, l’externalisation présente des avantages et notamment celui de l’approche capacitaire, à savoir rentrer pleinement dans l’ère du service. Par exemple, aujourd’hui le ministère de la Défense ne raisonne plus en terme de nombre d’hélicos dont elle a besoin mais bien de temps de vol, ce qui est beaucoup plus souple. Cela permet le transfert du risque d’inutilisation vers le privé qui doit devenir un vrai partenaire avec une obligation de résultat sur de la disponibilité.
Cette approche n’est pas faisable sur tous les secteurs mais au moins sur la formation et en matière d’opérations sur place (par opposition à projetées en opérations extérieures)
Il conclut sur le fait que l’externalisation de la Défense et de la Sécurité en France, c’est le sens de l’histoire via des PPP (partenariats public-privé).
Julia Maris, directeur Général de Défense Conseil International (DCI), énarque et auditeur IHEDN, est ensuite intervenue pour donner un éclairage très pratique sur une externalisation qui a fonctionné : HeliDax, le centre français de formation des pilotes d’hélicoptères militaires, géré par DCI dans le cadre d’un PPP signé en 2008.
Historiquement, à Dax, se déroulait la formation initiale des pilotes de l’Armée de Terre. Quelques chiffres de comparaison entre avant la mise en place du PPP et après :
- Avant le PPP, la formation c’était 54 hélicoptères Gazelle… depuis Helidax, c’est 36 hélicoptères.
- Avant le PPP, la disponibilité était inférieure à 60%… depuis Helidax, elle est supérieure à 90%
- Avant le PPP, la moyenne des heures de vol/an était de 350 heures, … depuis Helidax elle est désormais de 600 h/an
- Avant le PPP, on avait besoin de 175 personnes pour faire fonctionner le site, … depuis Helidax c’est 54 personnes
- Avant le PPP, on avait besoin de 3,6h de maintenance pour 1 heure de vol, … depuis Helidax, on est tombé à 1h de maintenance pour 1h de vol.
Pourquoi de tels effets positifs ? Tout d’abord parce que la signature du PPP a vu la mise en place d’une flotte neuve. Mais aussi parce que l’introduction du secteur privé a amené plus de souplesse dans l’écosystème : quand c’est l’Etat qui gère, s’il a besoin d’une commande, il s’agit d’un marché public avec toute la lourdeur que cela impose. De même, les recrutements se font par la voie de concours.
Ce qui a fait le succès de ce PPP, c’est principalement que l’Etat a été capable de se projeter dans la durée (on parle ici de 22 ans, durée du partenariat) avec une réelle capacité prévisionnelle annuelle. Aussi, au-delà des cadres contractuels, il a fallu conserver de la souplesse pour éviter de nombreux avenants. Il a également fallu calibrer le juste prix pour que le Ministère de la Défense s’y retrouve dans la durée.
Néanmoins, des difficultés existent autour des PPP :
- on ne peut que constater que la souplesse du Common Law anglo-saxon permet une plus grande fluidité entre le public et le privé. En France, on a un droit public spécifique, des concours publics, les PPP font appel à des mécanismes très complexes d’ingénierie financière. En Franc on connaît donc un réel handicap du fait de l’étanchéité entre la sphère privée et la sphère publique.
- On devrait favoriser les passerelles entre le public et le privé des avocats, tout en faisant attention aux conflits d’intérêt potentiels avec la Commission Ethique. Cela favoriserait le processus de réforme de l’Etat
- Le logiciel LOUVOIS est malheureusement une externalisation qui ne fonctionne pas (et non un PPP). Une des raisons de ce fiasco réside dans le fait que l’on a voulu à tout prix automatiser la paye des militaires au lieu de procéder d’abord à la simplification de la multitude des régimes spécifiques. Ceci n’est pas spécifique à la Défense, c’est bien le cœur des difficultés rencontrées par tout projet informatique qui souvent finit hors délai et hors budget
A garder en mémoire : le PPP ne correspond absolument pas à une privatisation mais à de la délégation de service public.
Conclusion de France Audacieuse
Hommage doit être rendu à l’ANAJ-IHEDN pour l’organisation de cette conférence à la fois très synthétique sur la théorie et très vivante sur un exemple opérationnel.
La grande réussite de cette soirée tient essentiellement à la compétence des deux intervenants, particulièrement efficaces.
La complexité de l’environnement juridique des PPP ne doit pas être sous-estimée. L’avenir se prête à la conclusion de tels accords, dans un contexte budgétaire contraint.
La thématique Défense-Sécurité intérieure et extérieure est particulièrement suivie par France Audacieuse.
Alexia Germont – 20 décembre 2016