Cycle Entretiens sur l’Europe
« Peut-on parler d’une démocratie européenne ?»
Conseil d’Etat
Mercredi 1er février 2017
Cette dixième conférence du cycle des Entretiens sur l’Europe du Conseil d’Etat avait pour modérateur Michel BARNIER, négociateur en chef chargé de la conduite des négociations de l’Union européenne avec le Royaume-Uni, ancien ministre, conseiller d’Etat (h).
Il introduit le débat en indiquant que la question « Peut-on parler d’une démocratie européenne », telle qu’elle est posée, peut surprendre. En effet, l’Europe est le berceau de la démocratie. Et l’Union Européenne, en son article 2 du Traité de l’Union Européenne (« TUE ») a dressé les valeurs qui unissent les peuples de notre continent autour d’un idéal démocratique. Le marché intérieur est aussi la preuve que pour unir les hommes il fallait aussi en avoir envie et besoin. Souvenons-nous que l’Europe a débuté d’abord avec la CECA puis le marché commun. Cette promesse démocratique doit nous appeler à la vigilance actuellement. Au niveau européen, le système de démocratie représentative n’a pu être transposé tel quel bien entendu. Il existe un organe de nature fédérale : la Commission Européenne et 2 chambres qui se partagent le pouvoir législatif (le Parlement et le Conseil). Selon l’expression de Jacques Delors, l’Union Européenne est donc une fédération d’états-nations.
Mais il serait paradoxal de remettre en cause le caractère démocratique de l’Union européenne. Pourtant, cette critique prospère actuellement car elle permet à beaucoup de s’exonérer à bon compte de leurs responsabilités.
Toutefois il reconnaît qu’il existe une fatigue qui affecte l’Union avec la baisse du taux de participation qui s’accentue à chaque élection européenne. Les causes sont nombreuses : la complexité intrinsèque du processus législatif, les partis politiques qui importent leurs débats hexagonaux, la mondialisation perçue comme une menace pour leur niveau de vie. Sur ce point, Michel Barnier a souhaité ne pas mettre dans le même sac le populisme et le sentiment populaire qui exprime une angoisse, une souffrance que la Commission européenne et les hommes et femmes politiques seraient bien inspirés d’entendre. Il faut donc des réponses innovantes au nombre desquelles la bonne protection, qui est un investissement en commun, et non le protectionnisme qui en est l’opposé.
Enfin, la question actuelle du référendum soulève plusieurs paradoxes. En un sens, rien n’est plus démocratique. Mais les Pays-Bas puis la France puis le UK ont parlé. Certes, ces décisions ont été prises démocratiquement mais les référendums demeurent trop souvent un vote national alors que leur issue à un impact sur et pour l’Union.
Michel Barnier conclut son propos introductif par un mot plus personnel. Il rappelle cet article avant mai 1968 qui titrait « La France s’ennuie ». II note que l’on pourrait porter un regard comparable sur l’Europe aujourd’hui qui est interpellée sans s’en apercevoir. L’Europe ne peut plus être sur la défensive. Il lui faut désormais assurer sa sécurité et sa défense. Et les Européens doivent voir le Brexit avec raison et l’Europe avec passion.
Mario Monti, président de l’université Bocconi, sénateur, ancien président du Conseil des ministres de la République italienne, ancien commissaire européen prend alors la parole, en français, pour indiquer que selon lui, l’on peut parler d’une démocratie européenne. Néanmoins, il lui semble que le véritable sujet devrait être « où va notre démocratie ? ».
Prenant un recul historique, il souligne que la Déclaration Schuman du 9 mai 1950 au Quai d’Orsay reste l’acte le plus important de toute la construction européenne. Avec gravité, il se demande comment nous aurions jugé cet acte fondateur sur le plan démocratique. Aujourd’hui nous exigerions un référendum dans chacun des 5 pays fondateurs. Alors que la vision de long terme est encore plus nécessaire qu’en 1950.
La question du déficit démocratique européen doit être traitée mais elle est moins cruciale que ce que l’on veut bien croire. Le rôle du Parlement Européen s’est accru au fil des années. Certes il existe une désaffection des citoyens pour les travaux du Parlement Européen. Mais la démocratie est disponible. Et les actes du Conseil européen sont soumis ex-post à l’examen du Parlement Européen, qui devient ainsi de plus en plus percutant.
Il faut donc bien plus travailler sur l’accroissement de la perception de la démocratie au niveau européen. Notons au passage que nos démocraties nationales ne sont pas perçues comme fonctionnant très bien non plus. Mario Monti insiste sur le fait que si l’Union Européenne a des performances vraiment insuffisantes ces dernières années, c’est parce que les gouvernements nationaux n’ont même plus l’intention de la construire. En pratique, le fonctionnement de l’Europe est donc vu comme très insatisfaisant, notamment le Conseil européen.
Les ministres nationaux vont à Bruxelles avec une réserve et non pas pour apporter leur pierre à l’édifice européen. Aujourd’hui, ils incarnent bien plus une position nationale, notamment David Cameron qui a souhaité ce référendum par pure position personnelle et pas même pour son parti. Mario Monti indique que la seule chose positive qu’il retient du Brexit c’est que les autres hommes politiques ont vu que le jeu personnel sur le dos de l’Europe ne payait pas.
Pour conclure ses propos, Mario Monti souligne que ce cercle vertueux de passage à la démocratie depuis les 60 dernières années est en risque. Aussi, les deux branches de l’alternative sont connues :
- soit on améliore la capacité de notre démocratie européenne à être comprise par les citoyens,
- soit on perd l’intégration européenne et la démocratie ensemble.
Jan Pieter Hendrik Donner, vice-président du Conseil d’Etat du Pays-Bas prend ensuite la parole pour rappeler que l’Union risque réellement une implosion. Toutefois, aucun Etat membre n’a de perspective sans coopération ou intégration européenne. Il rappelle que l’Union s’est pourvue de beaucoup de démocratie (peut-être trop ?) car il y a des procédures démocratiques nationales qui viennent en surplus du processus démocratique communautaire. En réalité ce sont les gouvernements nationaux qui bloquent l’action européenne. De son point de vue, nuançant les propos tenus par Mario Monti, ce sont les résultats économiques et sociaux de l’Union qui sont remis en cause et non la perception de la démocratie. C’est donc un mécontentement avec le contrat social européen qui, à l’origine, était d’assurer une paix durable et renforcer la sécurité. Puis c’est la volonté d’assurer la croissance et la prospérité qui a pris le dessus et les citoyens ne se reconnaissent plus dans ce mécanisme. L’étude de Madeleine Albright montre qu’aucun Etat seul dans le monde ne peut résister aux grandes mutations numérique ou au terrorisme par exemple.
Il faudrait donc reformuler le contrat social sur lequel repose la construction européenne : il ne vise pas ici une question de rédaction mais bien la pratique. Rappelons que l’Union fonctionne sur la base de pouvoirs complémentaires au principe de souveraineté nationale.
Pour conclure son propos, il indique que l’Europe est, sans aucun doute, une démocratie. Mais il ne faut pas se laisser emporter par une lecture fédéraliste car le caractère démocratique de l’Union est inséparable de celui des états membres. Comme le disait Pascal, « Il faut mettre ensemble la justice et la force ». L’Union européenne n’a pas prévu la force pour faire appliquer son droit car, pour mémoire, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne se suffit à lui-même. Il rappelle enfin qu’un recul de l’état de droit dans un état membre est un risque pour la démocratie européenne tout entière, car l’identité de l’Europe est fondée sur sa diversité.
Antonio Vitorino, avocat, ancien président de Notre Europe-Institut Jacques Delors, ancien ministre de la défense du Portugal évoque alors la dimension institutionnelle.
Bien sûr l’Union Européenne est une démocratie mais elle peut être améliorée, comme toute démocratie nationale. Mais l’ingéniérie institutionnelle ne sera pas suffisante car l’Europe est un bouc émissaire facile pour les états membres :
- Pour les populistes, il n’y a pas d’autre démocratie qu’une démocratie de proximité. Or ce n’est pas exact. Et la difficulté tient de ce qu’il faut rendre aux élections européennes tout leur caractère européen. Une piste pourrait être la mise en place de listes transationales au Parlement Européen mais il faut changer les traités pour que cela soit possible.
- Les citoyens ont la perception que leur vote n’a pas d’incidence. Aussi, le choix des candidats à la présidence de la Commission doit être plus ouvert et public.
- La solution ne saurait être la dévolution du pouvoir aux états membres car ce ne serait pas efficace. Il est également inenvisageable de créer de nouvelles institutions car le système serait alourdi.
- Le Parlement Européen a gagné des pouvoirs législatifs contrairement aux parlements nationaux mais on a exagéré le détail des lois européennes. Mais un soulagement du Parlement Européen des détails exigerait un renforcement de la Commission pour surveiller la transposition en droit national.
- Les dirigeants nationaux n’ont pas conscience que le niveau européen est un levier dont ils ont besoin pour régler leurs problématiques nationales. On n’a pas de leaders européens forts sans avoir des leaders nationaux forts.
Conclusion de France Audacieuse
Ce débat de très haut niveau a permis une mise en perspective salutaire pour celles et ceux amenés à faire des propositions de renouvellement du contrat social européen.
Gardons en mémoire que le débat autour de la légitimité démocratique des institutions communautaires a jalonné l’histoire de la construction européenne. L’Union européenne n’a eu de cesse de se rapprocher du modèle de la démocratie représentative. Pourtant, la participation des citoyens aux institutions et au débat public européen reste encore faible. Le déficit démocratique de l’Union doit donc être comblé. Deux voies s’oppose pour y parvenir entre celle proposée par les partisans d’une Europe recentrée au profit des Etats… ou celle défendue par les partisans d’une Europe fédérale à l’échelle de l’Union ou de la zone euro.
Retenons enfin la clarté du discours de Michel Barnier dont le rôle est aujourd’hui clé dans les négociations de l’Union européenne avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit.
Afin de préparer au mieux les propositions qu’elle formulera prochainement en matière de renouvellement du contrat social européen, France Audacieuse participera le 8 mars prochain au prochain débat qui se tiendra au Conseil d’Etat sur le thème « Quels droits pour les citoyens européens ? ».
Alexia Germont – 18 février 2017