“Rencontre avec une France attractive : visite du Château de Vaux-le-Vicomte”. Regards Décalés par Ariane Sauvage
A ne pas manquer en ce week-end du 19-20 Septembre 2020 : la 37 ème édition des Journées européennes du Patrimoine ! Châteaux, sites industriels ou jardins historiques, mille découvertes vous attendent.
Au programme sur France Audacieuse, une visite/interview au château de Vaux-le-Vicomte, parfait exemple d’une préservation réussie du patrimoine français.
La France peut continuer à s’appuyer sans hésiter sur ses vieilles pierres. Avec ses 44. 000 monuments historiques classés et inscrits, dont 30.000 châteaux répartis sur tout le territoire, et ses musées, l’Hexagone attire toujours plus de 80 millions de touristes par an.
Le président Macron lui-même déclarait en 2018 : « Le patrimoine, c’est une cause nationale ». Ce à quoi son épouse, Brigitte Macron, reprend comme en écho lors de l’inauguration du Salon International du Patrimoine Culturel (“SIPC”), en octobre 2019, où elle était accompagnée de Stéphane Bern et du ministre de la Culture : « Le patrimoine nous réconciliera tous».
Cependant ces belles façades sont souvent hantées par de mauvais esprits, à savoir les coûts vertigineux auxquels doivent faire face beaucoup de propriétaires, de villages et de régions pour entretenir ou restaurer leurs châteaux, sauver leurs églises ou autres lieux.
Près de deux mille bâtiments historiques seraient ainsi en péril absolu. Avec une certaine érosion de l’aide de l’État depuis vingt ans se pose aussi la question : à quel point faut-il permettre aux entreprises privées de faire du mécénat ?
Elles se sont déjà rendues indispensables sur beaucoup de chantiers mais une loi de réduction des incitations fiscales pour les entreprises mécènes est en préparation. Une chose est sûre : la protection du patrimoine depuis trente-cinq ans a fait de grands progrès, et son image avec elle. En parallèle des déclarations politiques, sans bruit mais avec constance, la technologie s’est glissée dans le débat, et aujourd’hui des expressions comme numérisation 3D, relevé laser, visites virtuelles, souvent les produits d’entreprises françaises, apparaissent régulièrement dans la présentation des vieilles pierres.
Des outils qui complètent parfaitement cet extraordinaire vivier de savoir-faire dans des domaines variés : forges, art du verre, taille de pierre, boiseries, marqueterie, et beaucoup d’autres, dont la France peut se prévaloir. D’ailleurs la thématique du Salon du Patrimoine 2019 était : le Futur en Héritage, ou comment se situer entre transmission et innovation, comment se tourner vers demain. Comme l’exprime si bien l’un des membres de la plateforme Adopte un château, créée en 2015, « le patrimoine est devenu branché ».
Beaucoup d’acteurs du secteur ont bien compris que désormais le château doit devenir un enjeu transversal, situé entre la culture et le tourisme, mais aussi le social et l’économie. Le traumatisme généré par l’incendie de Notre-Dame a au moins eu le bon impact de sensibiliser encore davantage les mentalités à l’importance de sauvegarder les héritages de la France d’hier pour contribuer à son attractivité d’aujourd’hui.
A titre d’exemple, une visite à Vaux-le-Vicomte, le plus grand monument privé de France, à 60 kilomètres de Paris, va nous permettre d’appréhender ces problématiques en 3 dimensions, justement. Et de dimensions, Vaux n’en manque pas : quatre niveaux à visiter dans le château, un Musée des équipages, 13 km de murs d’enceinte, 33 hectares de jardin à la française…bref, une ampleur certaine. Ce qui ne l’empêche pas de rester aussi cette apparition féérique, à l’esthétique parfaite, qui surgit lentement au bout d’une petite route de Seine-et-Marne.
Entretien avec Alexandre de Vogüé, membre actif de la famille propriétaire du château.
Comment pourriez-vous nous décrire Vaux-le-Vicomte, en termes professionnels ? Une cellule économique ? Une demeure familiale à entretenir ?
C’est une PME, une entreprise familiale, complètement dédiée à la préservation d’un des chefs d’œuvre du XVIIème siècle, et dont la mission est évidemment de le préserver, mais aussi de le restaurer, de le faire vivre et de le partager auprès du plus grand nombre. Et ensuite de le transmettre dans le meilleur état possible aux prochaines générations. Cette entreprise est structurée entre une SCI qui est propriétaire des murs et une SA qui chapeaute toutes les activités commerciales.
Nous sommes la cinquième génération d’une même famille à posséder Vaux-le-Vicomte. La propriété a été classée aux Monuments historiques en 1929. En 1968, après que mon père Patrice de Vogüé en est devenu propriétaire, il a décidé qu’elle serait désormais ouverte aux visites, afin de couvrir les dépenses nécessaires pour la préservation des lieux.
Ce passage de propriété privée à publique a exigé bien sûr que l’entreprise familiale se professionnalise et a mené à ce que la gestion soit transmise à mes deux frères et moi-même. L’un de mes frères est gérant de la SCI, en charge des finances et de la programmation culturelle, il vit à Paris. L’autre vit à Maincy, le village dont dépend la propriété, où il a restauré l’ancienne filature à tapisserie, il est Directeur commercial du domaine, en charge de la restauration. Quant à moi, je vis dans les communs du château.
Avez-vous toujours été attiré par la gestion de patrimoine historique ?
Non, pas toujours. J’aime la montagne et j’ai fait mon service militaire chez les chasseurs alpins. Je suis alors devenu guide de haute montagne professionnel à Chamonix, activité que j’ai exercée pendant vingt ans. Je ne suis impliqué dans la gestion de Vaux que depuis 2011.
J’étais d’abord directeur de la communication et du marketing, puis en 2013, j’ai fondé le service du mécénat, et comme j’étais lié en particulier aux donateurs français et américains, j’ai du coup aussi fondé le cercle des « International Friends of Vaux-le-Vicomte ».
Je suis aussi responsable de la collection des œuvres d’art. A mes yeux, notre mission est claire : préserver la splendeur de Vaux-le-Vicomte de façon à faire vivre à nos 300.000 visiteurs annuels une expérience immersive du Grand siècle.
Quel est le plus grand défi à vous yeux pour la préservation de Vaux ?
Le vrai défi est de préserver la continuité de ce type d’entreprise dans un monde où il est évident que le divertissement a complètement changé, où il faut se réinventer sans fin pour assurer l’équilibre du budget.
Et bien sûr, quand on parle de Vaux, on parle aussi des jardins ?
Oui, bien sûr, on parle des 500 hectares clos de murs, et des 500 hectares à l’extérieur qui sont pour le moment en agriculture conventionnelle. Nous sommes en train de réfléchir très sérieusement à la transformation de ces terres, plus précisément à un projet de production, de transformation et de vente sur place de produits issus d’’une agriculture raisonnée, respectueuse de la terre et des hommes. Nous sommes convaincus que nos visiteurs, ne demanderont qu’une chose : consommer et acheter ces produits, certains transformés sous leurs yeux.
L’idée serait d’en faire une source de profits dont une partie devra être réinjectée dans le château, qui reste le plus gros poste de dépenses. Les comptes sont équilibrés depuis quatre ou cinq ans maintenant mais on ne sait jamais de quoi demain sera fait, donc il faut assurer un flux de revenus supplémentaires, à l’intérieur du château avec des évènements, et aussi avec une activité externe au château, sur les terres.
Que pourrions-nous en faire ? Un complexe hôtelier ? Un parcours d’accrobranches ? Un autre Puy du Fou ? Cela fait un moment déjà que nous réfléchissons à tout cela.
La culture bio, travailler la terre à l’ancienne nous tente beaucoup, et en plus c’est complètement dans l’air du temps. Redévelopper le potager de Fouquet, par exemple, qui est en friche aujourd’hui, avec des produits maraîchers. Nous avons un restaurant sur le domaine, fondé par ma mère dans les années 80, nous pourrions y proposer notre pain bio de la propriété ou nos fruits et légumes certifiés bio, ce qui serait un circuit de production-distribution très court, presque une autarcie. Ou bâtir un moulin, ouvert au public, y produire du pain avec une levure naturelle, des grains issus de variété de blé anciennes, etc….
Pour ma part, je crois beaucoup au marché du bio, qui est en croissance de 15 à 20% chaque année, d’ailleurs toute la grande distribution s’y met aussi. La vigne serait aussi une bonne option car nous pourrions vendre des bouteilles de vin avec l’étiquette Vaux-le-Vicomte aux touristes étrangers. Les Chinois, les Asiatiques, les Américains adorent ça car il y a une image de terroir et d’histoire qui est attachée au produit, ils ont l’impression de partir avec un morceau du patrimoine et de l’expérience qu’ils ont vécue sur place.
Quand nous avons refait la toiture, nous avons ainsi vendu des ardoises pour aider au financement, ça a très bien marché, donc pourquoi pas le vin ? Il y a d’autres châteaux qui ont fait cela aussi, avec succès.
En somme le défi est d’adapter des images, des concepts du passé qui ne sont plus des cellules économiques auto-suffisantes, au monde moderne ?
Oui, mais cela rejoint les questions de la survie du patrimoine français en général. La Culture, le Patrimoine en tant que tel, s’il ne se passe rien, c’est voué à l’échec. Une grosse partie des châteaux français est ouvert au public aujourd’hui.
Il y a quinze ans, les petits châteaux dans les régions attiraient encore 30 à 60.000 Visiteurs par an. Aujourd’hui, ce chiffre est à diviser par deux. Bien souvent, uniquement parce qu’ils ne se sont pas réinventés. En clair, soyons réaliste, un château tout seul, cela n’intéresse plus personne.
Il est devenu indispensable d’apporter du divertissement : des chambres d’hôtes, des évènements costumes, une soirée, une fête, un moulin, des jeux de piste…et là, les gens viennent, cela devient une activité trans-générationnelle car tous les membres de la famille peuvent venir et en profiter. C’est à nos yeux en tout cas la seule façon de s’en sortir. C’est un énorme enjeu.
A l’Association de la Demeure historique, qui regroupe des propriétaires privés comme nous, il y a une cellule qui s’est créée pour contrer cette baisse de fréquentation, pour aider les propriétaires, ceux qui veulent en tout cas, à transformer leur lieu en activité culturelle et touristique. Mais c’est certainement une rupture entre une nouvelle génération et celle des parents.
De fait, vous-même à Vaux semblez avoir multiplié les initiatives ?
C’est vrai, nous avons un programme assez varié : soirées aux chandelles, en été, fêtes et décorations de Noël en Décembre, locations de costumes pour les enfants, location de voiturettes électriques pour visiter le parc, jeux de pistes, et beaucoup d’autres encore…On peut aussi louer le château pour des fêtes, des évènements automobiles, et bien sûr pour des films : un James Bond, ainsi que La Folie des Grandeurs, L’homme au Masque de fer avec Leonardo DI Caprio, Les Visiteurs, et beaucoup d’autres ont été tournés ici.
Comment avez-vous réussi à lutter contre une catastrophe naturelle comme la pyrale du buis ?
Malheureusement oui, comme 98% des jardins français, nous avons eu l’invasion de cette chenille venue d’Asie et il a fallu en mars dernier arracher les buis des deux parterres principaux, qui sont face au château côté jardin. Ils dataient de 1923 et pour nous qui avons toujours vécu là, c’était un crève-cœur. Nous avons alors décidé de mettre en place une création éphémère.
Je me suis beaucoup occupé de cet appel à candidature auprès d’artistes et de paysagistes pour un projet contemporain qui serait installé pendant cinq ans sur ces deux parterres. C’est l’artiste Patrick Hourcade qui l’a emporté, avec son projets « Rubans éphémères », des plaques d’aluminium gris métallique qui reprennent le suivi des anciennes arabesques du buis, et qu’on a vendues aux donateurs pour financer une partie de l’œuvre.
Au bout de cinq ans, les donateurs pourront repartir avec leur plaque, numérotée, signée par l’artiste, ce qui donne cinq ans à la communauté scientifique pour parvenir à une solution contre la pyrale du buis, soit avec des moyens bio, soit en trouvant une plante de remplacement. Cela m’a beaucoup intéressé, cette recherche de projets, et mon rêve serait de réitérer l’exercice dans cinq ans, donner un prix Le Nôtre par exemple, avec un cahier des charges précis, un jury, etc…
Quelles sont vos relations avec les collectivités locales ?
Comme beaucoup d’autres, notre département de Seine-et-Marne a un budget qui se réduit comme peau de chagrin mais il a débloqué quand même un financement pour la restauration d’une fontaine avec une aide de 20.000 euros. La Région Ile-de-France nous a soutenus généreusement l’année dernière en nous octroyant un budget de 870.000 euros sur trois ans, pour soutenir trois différents projets, subventionnés entre 30 et 50% par la région.
En effet, Valérie Pécresse (Présidente du Conseil régional), dans l’idée de faire revenir les visiteurs étrangers après les attentats de 2015, a réussi à débloquer via les instances européennes un budget d’aide au tourisme de 10 millions. Sur trois axes : la sécurité-sûreté, les langues étrangères et le numérique.
Il se trouve que nous avions trois projets de cette nature en préparation. La sécurité par exemple est un souci constant. Sans parler d’attaque terroriste, toujours possible, ou de vol des collections, il est temps d’installer des caméras numériques et d’autres de vidéo-surveillance, installer un PC de sécurité dans la propriété, donner des badges aux employés, etc.
300.000 visiteurs par an, c’est un beau succès, non ?
Oui, c’est beaucoup, c’est vrai. Et à la fois, pas beaucoup pour un château qui a une telle importance dans l’Histoire de France, dans l’histoire des jardins et de l’architecture. Nous visons d’en avoir 400.000 en 2022. Un vrai défi, certes difficile, mais quoi qu’il advienne, toute cette entreprise reste à mes yeux aussi attachante que passionnante. »
Chiffres en friche
Vaux-le-Vicomte, c’est :
- un domaine classé de 500 hectares, disposé sur un axe long de 4 kilomètres, dont 33 hectares de jardins à la française avec 13km de murs d’enceinte aux delà desquels s’ajoutent 500 hectares de terres agricoles tout autour.
- les jardins sont traversés de 8km de canalisations pour alimenter ses fontaines et parterres d’eau.
- les soirées aux chandelles nécessitent 2000 bougies, châteaux et jardins confondus, et ce tous les samedis de Mai à Octobre.
- l’entreprise, qui accueille 300.000 visiteurs par an, fonctionne sur un budget de 8 millions d’euros annuel.
- les recettes se composent au plus haut à 47% de la vente des billets, au plus bas des subventions publiques à 3%. Le reste se répartit entre le restaurant (28%), la location pour évènements privés, (5%) la boutique (9%) et le mécénat ou dons privés (8%).
- les dépenses vont au plus haut à 48% dans la masse salariale, pour les 65 employés de la propriété, au plus bas à 4% dans l’achat de marchandises diverses. Entre les deux s’échelonnent l’entretien et la maintenance (10%), les impôts et taxes (2%), la communication (5%), l’entretien-maintenance (10ù) et la restauration liée au Monument historique (9%). A titre d’exemple la stratégie pour financer la restauration du Grand Salon vise à lever 930.000 euros.
- des projets ? Monter à 400.000 visiteurs par an d’ici à 2022. Et augmenter si possible de 50% le nombre de visiteurs internationaux, notamment chinois, dans la même période. L’objectif de la campagne de mécénat 2018-2020 serait de lever 6 millions d’euros, pour financer des projets tels que la restauration de la coupole du Grand Salon, réaliser un voyage sonore 3D, faire une exposition thématique sur La Fontaine, grand ami de Nicolas Fouquet.
Sur le plan national :
- notre pays compte 8.000 musées, dont 1200 « musées de France », 44.000 monuments historiques classés et inscrits, dont 15.000 monuments religieux et 1100 sites archéologiques, et 40 sites culturels inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
- Avec de surcroit ses parcs et jardins, ses Festivals, ses savoir-faire, le Patrimoine représente un atout majeur pour le tourisme, on estime à près de 100.000 emplois et 15 milliards d’euros les retombées économiques de ce secteur. Le Ministère de la Culture lui attribuera, pour sa protection et sa valorisation, 1 milliard d’euros en 2020, soit 9% de son budget.
- 41% du patrimoine français se situe en zone rurale, appartenant aux communes et aux communautés de communes. Une vraie opportunité pour faire vivre les territoires et créer de l’emploi.
- la politique de protection du patrimoine de la France date de 1830. Les musées et monuments nationaux ont enregistré près de 45 Millions d’entrée en 2018. Pour les seuls monuments nationaux, la fréquentation a dépassé 10 millions d’entrée, c’est un nouveau record. Six français sur dix ont visité une exposition, un monument ou un musée dans l’année. En moyenne, un Français donne 267 Euros par an pour la sauvegarde du patrimoine. Organisées depuis 1984, les Journées du Patrimoine attirent chaque année 12 millions de visiteurs. Le Loto du Patrimoine, popularisé par Stéphane Bern, a rapporté 21 millions d’euros en 2018.
Le salon de l’Histoire :
La genèse de Vaux-le-Vicomte est intimement liée à la vie de Nicolas Fouquet, célèbre figure du XVIIème siècle français. Né en 1615, Nicolas Fouquet réalise à la fois une ascension fulgurante et une fortune colossale durant une sombre époque pour la France, qui traverse à partir de 1635 une guerre avec l’Espagne, les troubles de la Fronde et des famines subséquentes. Séduisant, ambitieux, d’une intelligence hors du commun, il connaît une consécration méritée, selon lui en tout cas, quand le cardinal Mazarin, mentor et Premier ministre du jeune Louis XIV, le nomme Surintendant des Finances en Février 1653. Non sans lui adjoindre au passage l’un de ses plus fidèles secrétaires, Jean-Baptiste Colbert. Fouquet semble alors parfaitement incarner la devise familiale « Quo non ascendet ? » (« Jusqu’où ne montera-t-il pas ? ») et son emblème : l’écureuil, motifs que l’on retrouve souvent sur les murs du château. C’est en 1641 qu’il acquiert une terre noble au sud-est de Paris, bien placée puis qu’elle est à mi-distance entre deux résidences royales, Vincennes et Fontainebleau. Il se contente au début de faire raser le vieux château qui s’y trouvait et de racheter des parcelles avoisinantes. Puis à partir de sa nomination, il décide d’y créer sa demeure. Grand collectionneur, féru d’art, il est doté d’un goût extraordinaire et son intuition pour choisir son entourage s’avère excellente puisqu’il engage à son service parmi les trois meilleurs créateurs de son temps, l’architecte Louis Le Vau, le peintre Charles Le Brun et le jardinier paysagiste, André Le Nôtre, un triumvirat qu’on appellera plus tard la triade de Vaux, une vraie DreamTeam comme on la baptiserait à notre époque. Tous trois ont à peu près la quarantaine, ils ont déjà affermi leurs talents dans les nombreux développements urbains que connait le Paris de l’époque, en décorant les églises ou les hôtels particuliers qui surgissent du sol, ils sont prêts pour un coup de maître et déploient leur savoir-faire sur ce terrain que leur offre le fastueux Surintendant des Finances, lequel peut jouir d’autant d’argent que de liberté. Charles Le Brun, le plus âgé, et déjà un artiste consacré, est mis en charge de la décoration intérieure du château. Le Vau, quant à lui, œuvrant avec un maître-maçon reconnu, Michel Villedo, -dont l’un des gendres travaille…dans les services de Colbert- réalise avec les bâtiments le fruit parfait du mariage entre l’art classique et le baroque. Quant à Le Nôtre, qui a étudié la botanique avant de suivre des cours d’hydrologie et de géométrie, il s’est initié par ailleurs au dessin et à la perspective dans l’atelier de l’artiste Simon Vouet, où il s’est d’ailleurs lié d’amitié avec Le Brun. Quand Fouquet le choisit comme paysagiste de Vaux, il a assez d’expérience pour appliquer sans hésiter ses connaissances en mathématiques à la plantation des arbres, à l’installation des fontaines et des statues. Il crée aussi des illusions d’optique, des déséquilibres savamment maîtrisés entre les eaux et les parterres. Grace à lui, à travers Vaux, la création de paysage se transforme en Art et dès lors le fameux jardin à la française s’imposera rapidement à toute l’Europe.
La suite appartient à l’Histoire. En 1661, Mazarin meurt et Fouquet s’attend à être nommé Premier ministre. Oubliant au passage que Louis XIV, ayant atteint sa majorité, a hâte d’imposer son pouvoir et n’a pas du tout l’intention de prendre aucun ministre. De surcroit, Mazarin, avant de mourir, a confié au jeune monarque son fidèle Colbert, lequel s’est pris à la fois de méfiance et de haine contre le Surintendant. Colbert, dont l’emblème est la couleuvre, est à peu près aussi froid et méthodique que l’autre est brillant et impatient, et il n’a de cesse de dresser le roi contre Fouquet, sans trop de mal car Louis aussi a du mal à supporter la réussite et l’influence de celui-ci.
A l’été 1661, Louis XIV revenant de Fontainebleau demande à son Surintendant de le recevoir dans sa merveille de Vaux qu’il n’a jamais vu achevée. Flatté ou aveugle, Nicolas Fouquet ne peut se retenir de lui offrir le 17 Août une fête grandiose, avec buffet fastueux, feux d’artifice, jets d’eau montant vers le ciel, où en plus se joue au jardin la dernière pièce de Molière, sur musique de Lully. Le roi décide de mette fin à cette rivalité et le fait arrêter trois semaines plus tard à Nantes par d’Artagnan, son Capitaine des mousquetaires. S’en suivront un long procès de trois ans, pour, entre autres, détournement de fonds, une condamnation à l’exil, jugement que le monarque cassera pour exiger la prison où Nicolas Fouquet mourra en 1680. Entre temps Louis XIV reprend la Dreamteam à qui il confie la création de Versailles. La veuve de Fouquet se réduit à vendre Vaux-le-Vicomte, racheté par le duc de Villars en 1705, puis cédé au duc de Praslin en 1764.
Abandonné au XIXème siècle pendant une trentaine d’années, il n’est cependant pas oublié des écrivains. Dont Alexandre Dumas, qui contribue à faire entrer l’histoire de Fouquet et celle de Vaux-le-Vicomte dans la légende en en faisant l’objet de son roman le Vicomte de Bragelonne, qui clôt sa trilogie des Mousquetaires. En 1875, le château et les terres sont mis aux enchères à la bougie et rachetés par un industriel français, Alfred Sommier. Ce dernier est tombé complètement sous le charme de Vaux et entreprend d’importants travaux de rénovation. Le château, comme beaucoup d’autres de cette époque, sert aussi d’hôpital militaire pendant la guerre de 14-18 et voit passer Clémenceau et le maréchal Foch. Puis il passe par héritage à la famille de Vogüé, c’est donc aujourd’hui la cinquième génération après Alfred Sommier qui en a la charge.
par Ariane Sauvage